Intervention de Hervé Saulignac

Séance en hémicycle du mardi 24 novembre 2020 à 15h00
Sécurité globale — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

Cette proposition de loi a suscité tout à la fois colère, émotion, incompréhension et, je dois le dire, bien peu de sérénité, y compris, parfois, de la part de ses défenseurs.

Tout au long des débats, le groupe Socialistes et apparentés a tenté en vain de vous ramener à la raison, y compris en vous demandant de retirer ce texte à la suite des événements graves survenus hier soir à Paris. Nous avons inlassablement défendu des libertés publiques malmenées. Nous l'avons fait cependant sans jamais remettre en cause la nécessaire protection due aux forces de l'ordre. Enfin, nous avons rappelé combien il ne suffisait pas de protéger ceux qui nous protègent, tant il est vrai que tous les Français aspirent à être protégés ; or vous avez, à l'évidence, pensé la sécurité de certains aux dépens de celle des autres, dès lors que la liberté est la première sécurité, et non l'inverse.

Malheureusement, monsieur le ministre, vous vous êtes retrouvé prisonnier de vos propres promesses. Le 2 novembre, vous déclariez avoir fait la promesse de ne « plus pouvoir diffuser des images de policiers et de gendarmes sur les réseaux sociaux ». Bilan des courses : vous ne tenez pas les promesses que vous avez faites aux forces de l'ordre ; l'article 24 est inopérant et va produire du contentieux à l'infini.

Comment pouvait-il en être autrement ? Vous avez eu, à la faveur de l'examen de cette PPL, l'occasion de vous tailler le costume du patron dont on a toujours besoin quand on s'installe place Beauvau. En fin de compte, la marque que vous avez imprimée est un coup de tampon indélébile sur le visage d'une République qui a besoin qu'on la soigne et non qu'on la maltraite.

Légiférer utilement suppose de regarder en face la réalité sociale du pays. Les Français ont peur : peur d'un virus, peur du terrorisme, peur du réchauffement climatique, peur de perdre leur emploi, peur pour l'avenir de leurs enfants, peur du confinement, j'en passe et des meilleures. Face à la peur, nous pensons qu'il faut apaiser, créer de la confiance, tracer des perspectives positives. Nous vous avons invité à ne pas ajouter de la défiance à la défiance. Mais vous êtes restés sourd à nos appels. Sourd car la peur est un état bienvenu pour qui veut l'instrumentaliser aux fins d'asseoir son autorité. C'est dans une France sous tension que l'on peut brandir des périls pour justifier le renoncement à tel ou tel bout de liberté.

Ainsi, les drones vont pouvoir voler à peu près partout, les armes seront plus nombreuses dans l'espace public, les polices municipales renforcées, les sociétés privées de sécurité mobilisables et les images captées par les forces de l'ordre exploitables avec une facilité déconcertante.

Mais que s'est-il passé dans ce pays pour que l'on en vienne à connaître une telle dérive autoritaire ? Faut-il que non seulement le peuple ait peur, mais le Gouvernement aussi, pour mettre à ce point nos libertés fondamentales en question ?

À cet égard, les tergiversations sur l'article 24 en disent long. Vous posez une question que nul ne conteste : l'incitation à la haine qui vise parfois nos forces de l'ordre et qu'il faut réprimer sans indulgence ; le code pénal est là pour ça. Or vous apportez une réponse déliée du sujet en créant un délit de presse et en punissant tous les Français dont vous malmenez les libertés. « Le but manifeste de porter atteinte » reste en effet une intention, un projet, un dessein. Vous allez au-devant de graves contentieux. Vous provoquez surtout une immense confusion, tant du côté des forces de l'ordre que de celui de nos compatriotes. Vous placez gendarmes et policiers dans une situation inextricable, dès lors qu'ils devront apprécier, notamment sur les directs, l'intention de leur porter atteinte ou pas. Ces mêmes policiers et gendarmes sont pour beaucoup exténués moralement et physiquement. Vous devez entendre leur lassitude et ne pas bricoler des amendements à la dernière minute qui vont compliquer plus encore le quotidien de ceux que vous prétendez protéger.

Le déséquilibre de ce texte provient de ce qu'il pense presque exclusivement l'image comme un moyen de contrôle et non comme un outil de transparence au service de la vérité et de la démocratie. Vous préférez les images qui observent les citoyens à celles qui regardent le monde. La proposition de loi serait bien peu de chose si elle ne s'inscrivait dans la lignée des nombreux textes qui rognent sur les libertés anciennes qui font notre République.

Monsieur le ministre, depuis 2015, un peu plus de 1 800 jours se sont écoulés, dont la moitié ont été vécus sous le régime de l'état d'urgence. Nous vous le disons avec force : nous refusons la banalisation de cette situation que vous contribuez à installer.

Les libertés ne menacent pas la lutte contre la pandémie, non plus que la lutte contre le terrorisme. Les images ne sont pas des armes pointées sur la sécurité publique. Elles sont ce que l'on en fait. Nous n'avons pas tous été élus pour légiférer en permanence sur des renoncements, des interdits, des modalités de surveillance et des sanctions. Quand allons-nous enfin fabriquer un droit émancipateur, promouvoir des libertés nouvelles et des progrès pour tous ? Ce texte est fort loin de nous rapprocher d'une telle perspective : vous nagez même dangereusement à contre-courant. Les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront unanimement contre la proposition de loi.

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