Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mercredi 2 décembre 2020 à 21h00
Assemblée de guyane — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Cette proposition de loi relative à la répartition des conseillers et conseillères de l'assemblée de Guyane entre les sections électorales tire les conséquences de l'augmentation de la population de ce territoire. C'est un ajustement technique, institutionnel, qui ne soulève pas de difficultés particulières et auquel nous ne sommes pas opposés.

Cette discussion nous donne l'occasion de rappeler le contexte d'une telle réforme et les carences démocratiques qui subsistent, mettant en péril à plus ou moins long terme l'édifice institutionnel.

Les nécessaires adaptations législatives dans les outre-mer comme dans l'ensemble du pays ne doivent pas se limiter à des ajustements institutionnels ; elles doivent tenir compte des conditions réelles d'exercice des droits démocratiques par les citoyens et citoyennes. C'est particulièrement le cas dans des territoires comme la Guyane qui sont malheureusement souvent laissés pour compte. Ainsi, on ne saurait oublier de relever la situation particulièrement grave du point de vue sanitaire, dans cette collectivité.

Depuis le début de la crise du covid-19, associations, syndicats, collectifs de citoyens et citoyennes et ONG – organisations non gouvernementales – ont alerté le Gouvernement sur les spécificités des territoires d'outre-mer et les risques particuliers qu'ils encourraient. En Guyane, dès le mois d'avril 2020, la situation est devenue de plus en plus inquiétante. Pourtant, les défaillances structurelles des systèmes de santé, la pauvreté et la précarité qui touchent particulièrement cette région n'ont pas été suffisamment prises en considération ni anticipées ; les populations en ont payé le prix. L'état déplorable des infrastructures hospitalières et le manque de personnel ont plongé le département dans une crise dix fois pire que celle traversée en métropole, selon le président de Médecins du monde. Cette association fait notamment état de cantons entiers privés d'accès à l'eau. Comme en Guadeloupe et à Mayotte, les canalisations sont en ruine, si bien qu'entre 50 % et 60 % de l'eau des réseaux est perdue.

Ce type de problèmes d'infrastructure et de structure est malheureusement récurrent. Dans son rapport sur la pauvreté en France, l'Observatoire des inégalités constate ainsi que parmi les départements français, ceux d'outre-mer sont les plus touchés par la pauvreté, la Guyane et Mayotte étant dans la situation la plus grave. Associations et collectifs ont également mesuré l'insécurité alimentaire dans les quartiers précarisés de Cayenne ; le résultat, publié par Santé publique France, montre que la situation est alarmante. L'étude réalisée en juillet et en août par la Croix-Rouge, Médecins du monde, le centre hospitalier de Cayenne et l'ARS – agence régionale de santé – de Guyane dans les quartiers pauvres de cette ville est également édifiante : 93 % des adultes et 80 % des enfants avaient pris moins de trois repas la veille de l'enquête ; pour 45 % des adultes et 32 % des enfants, c'était même un seul repas. Près de 40 % des ménages n'avaient pas reçu une ration énergétique adéquate la semaine précédente ; une baisse de la consommation de produits frais a en outre été notée. Rappelons enfin que la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté – chiffre largement sous-évalué, selon Lisa Cann, chargée de projet à Médecins du monde.

Au vu de la gravité de la situation, nous déplorons l'insuffisance des moyens engagés, notamment dans le budget de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2021. Vous soulignez à raison que la hausse de la population en Guyane justifie la revalorisation du nombre de sièges de son assemblée délibérante ; il faudrait en faire de même concernant le budget. Si l'on tient compte de la hausse de la population dans les territoires concernés et de l'inflation, celui-ci n'a en réalité augmenté que de 1,82 %, majoritairement sous la forme d'allègements de cotisations patronales. C'est dérisoire étant donné la situation et l'augmentation de 5,6 milliards de dépenses fiscales à laquelle ces territoires seront confrontés.

Sans égalité de droits ou justice sociale, les institutions démocratiques continueront à tourner à vide. C'est vrai partout en France, et singulièrement dans les territoires d'outre-mer comme la Guyane, qui sont historiquement et structurellement défavorisés. En 2017, le grand mouvement social qui a secoué cette région rappelait que, comme les fusées, la Guyane devait décoller. Pour atteindre cet objectif, il faudra bien plus que l'ajustement institutionnel proposé par ce texte.

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