Intervention de Yannick Kerlogot

Séance en hémicycle du lundi 7 décembre 2020 à 16h00
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Kerlogot, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Ce caractère dérogatoire implique que tout transfert de propriété de biens culturels soit validé, après étude, par les parlementaires. Est-il encore nécessaire de le rappeler ? Aucun objet patrimonial conservé dans les musées d'État ne peut être restitué sans l'accord des parlementaires : des lois doivent être votées au cas par cas – c'est l'objet du présent texte. Même quand une restitution est sollicitée au terme d'une convention de prêt à un musée étranger, comme c'est précisément le cas pour le sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui est exposé au MCN – Musée des civilisations noires – de Dakar, elle ne peut être définitivement validée que par le Parlement. L'article 2 du texte a, du reste, été adopté par les deux chambres sans polémique.

À l'exception de restes humains patrimonialisés rendus à la Nouvelle-Zélande et à l'Afrique du Sud, la France n'avait, jusqu'à présent, pas restitué de biens culturels nécessitant un travail législatif semblable à celui qui nous occupe : les restitutions au Bénin et au Sénégal seraient les premières réalisées par notre pays. Elles s'intègrent, qui plus est, dans des dispositifs de coopération patrimoniale et culturelle qui existent déjà et sont appelés à se renforcer avec le temps.

En ma qualité de rapporteur, en me fondant sur les informations que j'ai pu recueillir lors des auditions et des échanges avec les ministères concernés, je ne peux partager l'idée exprimée lors de la commission mixte paritaire – CMP – selon laquelle, quand il s'agit de restituer des biens culturels, « la diplomatie prévaut sur le patrimoine dans les arbitrages interministériels ». Nous avons eu l'occasion de le préciser à plusieurs reprises depuis le début de l'examen du projet de loi : les demandes béninoise et sénégalaise ont fait l'objet d'une démarche scientifique et historique initiée de concert par les ministères des affaires étrangères et de la culture, qui ont mobilisé les conservateurs des musées concernés pour confirmer le caractère « mal acquis » des objets revendiqués.

À ce titre, comme j'ai pu le faire en commission mercredi, je tiens à vous communiquer des informations qui m'ont été récemment transmises par le ministère de la culture. Elles démontrent la volonté qui anime aujourd'hui les conservateurs du musée du quai Branly, dont la mission consistant à rechercher les provenances des biens culturels va être renforcée. Ainsi, depuis un an, est entrepris un travail d'examen des collections visant à identifier les objets acquis par la violence ou par la contrainte administrative, et ceux dont la provenance reste contestée.

Cette initiative porte sur l'ensemble des collections des quatre continents. Un premier périmètre d'oeuvres sur lesquelles pèsent des suspicions a été circonscrit – pour l'Afrique, 240 objets sont concernés. Ces oeuvres devront faire l'objet de recherches approfondies pour confirmer ou infirmer ces suspicions. Pour ce faire, les bourses de recherche du musée ont été réorientées vers les questions de provenance. De nouvelles bourses plus spécifiques sont en cours de création, notamment avec des partenaires tels que la Bibliothèque nationale de France et l'Institut national d'histoire de l'art.

Pour coordonner tous ces travaux, à la fois en interne et avec les partenaires extérieurs, un poste de chargé de recherches a été spécifiquement créé – la conservatrice recrutée à cet effet arrive ce mois-ci. En outre, dès que le contexte sanitaire le permettra, des missions seront effectuées dans les différents pays d'Afrique concernés pour permettre la fluidité des échanges. Dans le sens inverse, des conservateurs africains seront invités à venir travailler à Paris : en 2021, par exemple, le directeur du musée national du Tchad viendra étudier la création d'un inventaire des collections tchadienne en Europe, sur le modèle de ce qui a été réalisé pour le patrimoine kanak dispersé. Rappelons par ailleurs que le Tchad a formulé en 2019 une demande de restitution concernant 10 000 objets.

Comme vous le constatez, des moyens complémentaires permettront d'approfondir l'indispensable travail de recherche préalable à toute restitution. C'est l'occasion de rappeler que la France est saisie de deux types de demandes de restitution : d'une part, concernant des objets symboliques, prestigieux, inventoriés, comme celle exprimée par la Côte d'Ivoire concernant le tambour du peuple Atchan, et d'autre part des réclamations en nombre, qui relèvent davantage d'une revendication, somme toute légitime, mais qui ne sont pas l'expression d'une réflexion aboutie.

Pour en revenir au Tchad, il va de soi que le type de coopération proposée par la France, que je viens de citer, devra permettre aux autorités tchadiennes de mieux saisir la réalité historique de la provenance d'objets de leur pays dans nos collections publiques. Le Tchad sera plus à même de comprendre la nécessité de revoir sa demande officielle à la lumière des connaissances scientifiques qui auront été partagées.

Financièrement, pour le musée du quai Branly, l'estimation budgétaire des différents postes de dépenses concernés par l'examen des collections s'élève à un total de 200 000 euros par an.

Toutes ces informations complémentaires montrent qu'il existe aujourd'hui une réelle volonté de renforcer les démarches de recherche.

J'en viens à la création par le Sénat d'un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens. Je reste convaincu qu'un tel organisme serait redondant au regard de la coopération interministérielle telle qu'elle s'est opérée dans le cadre des restitutions qui nous occupent. Il présenterait aussi le risque, je l'ai déjà dit, d'entamer l'acte de confiance qui doit prévaloir dans une démarche de restitution entre deux États.

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