C'est avec une émotion toute particulière que je prends la parole en mémoire de notre ancien collègue Jean-François Cesarini, disparu le 29 mars, dont je salue la famille, les proches et amis présents. Il n'avait pas 50 ans ; il n'aura pu achever son unique mandat parlementaire. Pourtant, nous retiendrons de lui qu'il a vécu intensément le peu d'années que la destinée lui avait laissées. Au moment de lui dire adieu, au lieu d'une formule funèbre et convenue dont il se serait sans doute moqué, je voudrais, avec amitié, avec respect, lui adresser deux mots moins protocolaires et tout simples : chapeau, l'artiste !
Car Jean-François Cesarini était d'abord, intrinsèquement, un artiste. Parolier, chanteur, comédien, il ne se contentait pas d'aimer les arts et la culture : il les vivait et, en eux, il revivait. De cet enfant d'Avignon, nous connaissions l'officiel ; il y avait aussi le off. L'officiel, c'était le chef d'entreprise, le militant politique, le député investi dans la vie associative et dans la promotion économique de son territoire. Le off, c'était l'humaniste plein de verve et de fantaisie qui aime la poésie, qui monte sur scène, chante, interpelle le public et à travers lui la société, jouant en plein festival dans une pièce de théâtre dont le titre, Demain vite !, aurait pu devenir sa devise.
« Demain », car ce social-démocrate de toujours travaillait à un avenir de justice sociale et de progrès. Vivant au siècle des nouvelles technologies, il en avait discerné le pouvoir disruptif et voulait que notre pays soit à la pointe de l'innovation, de toutes les innovations. « Vite », car le temps lui manquait. Il le savait, d'ailleurs, depuis ce sinistre rendez-vous médical que la cruauté du sort avait placé entre les deux tours des élections législatives de 2017. Au candidat gonflé à bloc, qui venait les voir à la veille d'un grand meeting, les médecins révélèrent qu'un mal incurable minait déjà sa bonne humeur et sa vitalité. D'autres auraient renoncé ; d'autres auraient démissionné. Lui décida de mener plusieurs vies en une, plusieurs combats de front, mettant à profit chaque minute pour faire avancer ses idées.
Avec lui, au second tour, ses idéaux de tolérance et de progrès triomphaient largement, sa personnalité radieuse fédérant toutes les familles politiques de l'arc démocratique.
Avec lui, dans le Vaucluse, l'ancienne cité des papes devenait la capitale de la French tech culture.
Avec lui, au Palais-Bourbon, le discours parlementaire sonnait tout à coup comme une tirade du répertoire ; ce fut par une chanson de sa composition qu'il accueillit chaleureusement une délégation étrangère.
Au sens propre, Jean-François Cesarini savait faire bouger les lignes : jamais cette expression n'eut autant de sens que pour le gamin des faubourgs monté à l'assaut des sommets, le comédien amateur qui ne voulait pas devenir un professionnel de la politique, mais s'efforçait d'être un citoyen complet. Sa vie n'avait pas été simple ; il lui a fallu l'enchanter pour surmonter les déceptions d'une jeunesse passée à l'ombre des grands ensembles, dans l'une de ces tours sans âme où l'on a tôt fait de désespérer. Les quartiers populaires, la détresse sociale, n'étaient pas pour lui des sujets académiques ni des thèmes de colloque. Il a vécu, intimement, cette existence grisaille, avec l'idée ancrée en lui qu'on pouvait s'en sortir et qu'il n'y avait pas de fatalité. La philosophie, la poésie, la culture ? Autant de fenêtres vers un futur plus prometteur et plus juste.
Aussi Jean-François Cesarini ne séparait-il pas le progrès social du progrès technique ; il voulait à la fois la création de richesses et le partage des opportunités, l'égalité des chances et l'émancipation. C'est pourquoi il est entré en politique, tel qu'il était, sans se renier : comme vous tous ici, je salue l'énergie de son engagement et la puissance de ses convictions progressistes. Pour lui, débattre n'était pas un vain mot. La discussion, l'échange, la controverse nourrie et passionnée, mais toujours respectueuse de l'autre et des idées d'autrui, constituait son élément naturel. Aussi cet hémicycle, tendu de velours rouge comme un théâtre à l'italienne, fut-il la grande scène nationale où il put enfin donner toute sa mesure. Je le dis : si nous avons perdu un collègue, la République, elle, a perdu un talent – un talent singulier, unique, irremplaçable, un brio dans l'art oratoire et le débat contradictoire qui démentait tous les commentaires pessimistes sur le désenchantement de la politique.
Hélas, Jean-François savait par Tchékhov que « la brièveté est soeur du talent ». Il savait qu'il n'aurait pas le temps de bâtir, mais seulement celui de poser des jalons et de donner l'exemple. Alors, en artiste accompli, avant de nous tirer sa révérence, il nous adressa un dernier message de résilience et d'espoir.
Le mot de « dévouement » semble faible, en effet, quand on évoque les derniers jours de Jean-François Cesarini. En mars, au moment où la crise du coronavirus vient frapper la France, il sait, quant à lui, que ses jours sont comptés ; loin de se décourager, il met toute son imagination au service de la collectivité. Membre de notre groupe d'études consacré au cancer, il connaît le milieu hospitalier, ainsi que la conscience professionnelle des soignants, qu'il met en valeur : « Je suis régulièrement hospitalisé, ainsi je réalise la grandeur de l'effort qui est réalisé. Merci de nous protéger », écrit-il dès le début de la pandémie. Très vite, c'est un véritable parcours numérique qu'il met en ligne pour aider ses concitoyens à effectuer leurs démarches et à s'occuper pendant le confinement. Tel était Jean-François Cesarini, humaniste agissant, moderne héritier des Lumières, capable de conjuguer altruisme et technologie.
En lui disant au revoir, c'est enfin l'homme de courage que je salue en votre nom à tous : courage au service de ses convictions, courage au service de ses concitoyens, courage devant la maladie d'un élu exerçant jusqu'au bout de ses forces le mandat qui lui avait été confié.
À sa famille, à ses amis, à ses collaborateurs, au nom de tous les députés de l'Assemblée nationale et en mon nom personnel, je présente mes sincères condoléances attristées.
La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.