Intervention de Julien Denormandie

Séance en hémicycle du mardi 8 décembre 2020 à 15h00
Éloge funèbre de jean-françois cesarini

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Il me revient de m'associer, au nom du Gouvernement, à l'hommage rendu ce jour à notre collègue et ami Jean-François Cesarini. J'ai la chance – oui, la chance – d'être au nombre de ceux dont la vie a croisé la sienne : ces rencontres qui vous marquent, ces échanges qui vous construisent, ces partages qui vous unissent. Au moment de commencer ce discours, je voudrais avoir une pensée pour la famille de Jean-François, ici présente, et lui faire part de toute l'émotion qui est la nôtre alors que nous lui rendons hommage.

Retracer le parcours de Jean-François, c'est marcher dans les pas d'un homme qui voulait être utile aux autres, par instinct et par conviction, parce qu'il ne se satisfaisait jamais de ce qu'il voyait d'absurde ou d'injuste. Rebelle, sans doute, révolté, assurément : il évoquait volontiers L'Homme révolté, cet essai de Camus dont la lecture, lorsqu'il avait 20 ans, l'avait profondément marqué et façonné. « L'art et la révolte ne mourront qu'avec le dernier homme », peut-on y lire. Cette révolte indissociable de l'art, cette révolte qui est l'aventure de tous est une prise de conscience dont Jean-François ne s'est plus jamais défait. Féru de philosophie, de littérature et d'art, homme d'idées et homme d'action, il apportait en politique son obsession du concret et de l'utile, attisée par l'urgence d'agir pour ceux qui ont besoin d'un appui, d'une béquille.

Car Jean-François fut avant tout un citoyen engagé. Pour lui, la politique n'était pas tout ; en revanche, tout était politique. Pour lui, la politique ne constituait pas une carrière, ni une fin en soi, mais tout au contraire une passion, comme une évidence. Chef d'entreprise dans l'immobilier, puis entrepreneur du numérique au service de la citoyenneté et des territoires, ceux qui travaillent alors à ses côtés lui reconnaissent un véritable don pour mettre en valeur les jeunes talents de la région. Issu de la famille de la social-démocratie, dont la liberté de choix et l'émancipation constituent les combats les plus importants, Jean-François était viscéralement épris de justice sociale ; protégeant l'idéal sans négliger le réel, il refusait la facilité, les fausses solutions. Il avait créé dans le Vaucluse, il y a quelques années, la première antenne locale de Terra Nova, un « laboratoire d'idées », comme on disait à l'époque : elle eut le mérite, et non des moindres, de susciter déjà le débat au-delà des partis.

Défendre pied à pied les valeurs de justice sociale, d'écologie, de liberté d'entreprendre, qui lui étaient chères, le faire avec une exigence constante, ne rien céder à la facilité : voilà sans doute ce qui a convaincu ses concitoyens de l'élire au sein de cette belle assemblée. Député au service de la Nation, Jean-François a su gagner la confiance et le respect, la complicité aussi de ses collègues, devenus, pour bon nombre d'entre eux, ses amis. À ses côtés, j'ai été témoin de son engagement en faveur de son département du Vaucluse, de sa belle ville d'Avignon, en particulier des quartiers en difficulté, avec, toujours, un surcroît d'attention pour ceux qui ont le plus besoin d'être accompagnés par l'État, par le collectif. Convaincu que droits et devoirs sont intimement liés, il n'a eu de cesse de rechercher l'équilibre, le chemin de crête qui oblige parfois à faire un pas de côté, à mordre la ligne, mais ne s'éloigne jamais des fondamentaux.

Comment ne pas souligner le courage, l'incroyable courage de Jean-François ce jour de février où, depuis sa chambre d'hôpital, il est apparu, le sourire large, le regard fier et rieur, sur l'écran géant de la salle Victor-Hugo, à quelques mètres d'ici, pour prendre part au premier colloque consacré aux tiers-lieux, dont nous venions ensemble de créer l'association ? Au sein du groupe La République en marche, au sein de la majorité, sa voix était de celles qui portent et que l'on écoute ; une voix discordante, parfois, car l'unité n'est pas l'uniformité. Dans ce monde du théâtre qu'il aimait tant, on dit de certains acteurs qu'ils ont « une gueule » : ce quelque chose de différent, impossible à définir, mais qui les rend si attachants et donne envie de les suivre. Avec son charisme, sa volonté affirmée, Jean-François avait la trempe de ceux qui redoublent d'énergie et de détermination face aux obstacles, de ceux qui ne reculent pas devant un mur, mais le contournent, de ceux qui bâtissent et agissent. Aujourd'hui, cette voix chaleureuse, cette voix chantante et puissante qui, au fond, disait tout de lui, nous manque infiniment.

Acteur de sa vie, à l'aise devant la caméra, derrière le micro, accompagné d'un piano, Jean-François était, selon ses propres mots, « hyper fier d'être député ». Il avait l'humilité et la soif propres à ceux qui ne se vantent jamais d'avoir traversé petites et grandes épreuves, mais n'en oublient rien et s'en nourrissent. Tout, dans son parcours, fait écho à ces valeurs qu'il n'a cessé de défendre : ne jamais se résigner, ne jamais se complaire, ni céder à la facilité quand les choses sont complexes ; réformer pour améliorer ; faire un pas de côté, faire différemment ; se dire que contre les inégalités, contre les absurdités, tout n'a pas été tenté. Le parcours de Jean-François, c'est la preuve que rien n'est écrit, qu'il n'y a pas de destin tout tracé. Cette preuve qu'il nous lègue aujourd'hui, nous la garderons à jamais en mémoire.

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