Nous sommes appelés à approuver un accord de coopération qui transforme le franc CFA d'Afrique de l'Ouest en eco. Bruno Le Maire l'a jugé si important qu'il permettrait de couper le cordon entre la France et les États de l'Union monétaire ouest-africaine. Cet accord est le premier du genre depuis 1973 et il serait confortable d'y voir un bouleversement profond des relations que nous entretenons avec l'Afrique de l'Ouest, notamment les anciennes colonies. Bien sûr, la politique et la diplomatie sont aussi affaires de symboles, mais elles ne sauraient s'y réduire. Or ce texte nous laisse au milieu du gué.
Rénover nos relations avec les États d'Afrique de l'Ouest impliquera bien davantage que cet accord signé en Côte d'Ivoire, très opportunément pour l'hôte, Alassane Ouattara. Depuis, hélas, le président ivoirien a remporté des élections qu'aucun observateur rigoureux n'accepte de qualifier de démocratiques. Contrevenant à la constitution ivoirienne, il commence un troisième mandat consécutif, sans que les autorités françaises s'en émeuvent beaucoup. Bien sûr, le refus d'ingérence constitue une condition sine qua non pour rénover nos relations avec les États africains, mais aussi une trop commode justification pour fermer les yeux lorsque sont bafoués les principes démocratiques les plus élémentaires.
Les fondements des relations franco-africaines n'ont guère été assainis. Il s'agit toujours d'intérêts financiers et de ressources accaparées par des oligarchies et des affairistes – là-bas, certes, mais également ici ! Du point de vue strictement économique, les standards de la mondialisation néolibérale ne seront pas non plus ébranlés. La nouvelle monnaie, l'eco, reste solidement arrimée à l'euro. La parité et la convertibilité rassurent quant à la stabilité ; toutefois, la lutte contre l'inflation est d'abord une politique au service des rentiers, et ne permet pas de financer les investissements dont les États ouest-africains ont tant besoin, ni de lutter contre le chômage massif qui frappe leur population particulièrement jeune. Ces faiblesses sont d'ailleurs au coeur de la crise sécuritaire qui affecte ou menace un très grand nombre des États de l'UMOA. Or au lieu d'apporter une aide capable de supprimer les causes, nous nous obstinons à ne parler que des effets : la guerre, le terrorisme – djihadiste ou non – et le banditisme.
Certes, ce texte allège un peu la dépendance des États d'Afrique de l'Ouest à l'égard de la France et de l'Europe, et peut faire espérer que, petit à petit, on apprenne la leçon. Bientôt, peut-être, on cessera de considérer les États africains comme un pré carré, et de penser que la question des migrations africaines est un processus dont il faut protéger l'Europe, pour y voir plutôt une hémorragie dont il faut protéger l'Afrique. À l'inverse, on considérera peut-être bientôt que les nombreux étudiants africains qui viennent en France représentent une chance et un véritable investissement pour la prospérité de tous. Une fois cela compris, peut-être s'apercevra-t-on enfin que l'augmentation des droits d'inscription à l'université pour les étudiants étrangers est une injustice et une incroyable sottise ; peut-être cessera-t-on de nouer avec les États d'Afrique de l'Ouest des accords commerciaux déséquilibrés, qui empêchent le développement endogène, menacent les agricultures et la pêche vivrières, et participent à la destruction des écosystèmes.
À cet instant, je veux partager avec vous une pensée pour les victimes de l'émigration clandestine, en particulier pour les 140 personnes au moins qui ont perdu la vie en mer en quittant le Sénégal, il y a environ un mois. Nombre d'entre elles ne parvenaient plus à vivre du produit de leur pêche et venaient chercher en Europe un mirage de prospérité. Je regrette que leur noyade n'ait pas suscité davantage de réactions et de compassion.
Je n'ai pas quitté notre sujet en les évoquant : c'est en pensant à la réalité humaine que nous devons nous prononcer sur cet accord monétaire. Certes, son ambition ne pouvait être démesurée et d'autres négociations importantes sont en cours pour remplacer les accords de Cotonou ; certes, il semble faire un pas dans la bonne direction. Mais, voyez-vous, quand les enjeux sont si immenses, on ne peut se satisfaire des symboles. Nos peuples, de part et d'autre de la Méditerranée, demandent davantage. Et ils ont raison : ils le méritent !