Parce qu'elle est globale, la problématique de la restitution des oeuvres d'art ne peut se régler par le fait du prince. Elle concerne tout aussi bien l'Afrique que l'Europe, avec les demandes de la Grèce notamment, ou encore le Moyen-Orient, avec les requêtes de l'Irak, et bien d'autres.
L'Afrique veut se réapproprier son histoire et faire de la culture l'un des axes de son développement. À cet effet, certains pays africains ont donc décidé de réclamer la restitution d'oeuvres qu'ils estiment être leur propriété. Si l'on peut considérer que le pillage des oeuvres africaines par les puissances coloniales de l'époque est un fait incontestable, on ne doit pas oublier, ici comme ailleurs dans le monde, d'autres vecteurs de disséminations endogène des oeuvres d'art, comme le changement de croyances, de représentation du vivant, et autres évolutions spirituelles et artistiques. Ainsi va l'histoire de l'humanité : la légalité des butins de guerre de 1892 nous heurte, de nos jours, à raison.
Dans cette perspective historique, on doit placer en miroir les exactions des troupes coloniales et la pratique de l'esclavage du roi Béhanzin. La restitution des oeuvres d'art ne peut être fondée sur la repentance. Il s'agit de construire de nouvelles relations avec les peuples du monde, en particulier ceux d'Afrique, fondées sur le respect réciproque de nos intelligences collectives.
L'universalité muséale implique que l'on puisse avoir accès aux collections patrimoniales les plus diverses provenant du monde entier, assumant ainsi une fonction culturelle d'éveil. Ce rapport à l'universalité d'accès aux oeuvres d'art suppose la réciprocité. Il est certes nettement plus facile de contempler les joyaux de l'art africain dans les capitales occidentales que dans les musées d'Afrique. La circulation des oeuvres oublie souvent leur territoire d'origine.
On peut ainsi s'interroger sur le bien-fondé de prêts d'oeuvres d'art dont les destinataires revendiquent la propriété. On prétend que la France fut la salvatrice de l'art africain en rapatriant des collections dans l'Hexagone. Toutefois, au moment de la spoliation des vingt-six statuettes, le royaume du Dahomey était tout aussi capable de cette préservation. Même s'il est vrai que le continent africain, excepté quelques places fortes, manque de moyens et d'infrastructures pour accueillir des expositions d'envergure, cela ne constitue en rien un empêchement définitif au retour de l'art africain chez lui.
J'ai étudié le rapport dressant un état des lieux des objets africains détenus en France, écrit par Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l'université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal. Il préconise un programme de restitution des biens culturels très audacieux, mais la réalité nous apprend que la majorité des pays africains ne désirent pas cette amplitude de restitution – le Congo, par exemple, ne souhaite exprimer aucune demande de restitution.
Alors, faut-il restituer ? Même si le concept est louable et se justifie amplement, se posent la question légale de l'inaliénabilité des collections nationales, ainsi que la question de la légitimité des requêtes en propriété et de la nécessité de réserver les restitutions aux établissements publics. En effet, les collections privées sont exclues du champ d'action du phénomène de restitution. On peut observer par exemple qu'un des trônes du roi Béhanzin, exposé au Bénin, appartient à une fondation privée franco-béninoise très favorable au processus de restitution ; on pourrait imaginer qu'alliant les paroles aux actes, cette fondation privée fasse don de ce patrimoine exceptionnel à l'État béninois.
Votre précipitation dans ce dossier des restitutions a perturbé nombre d'États africains, qui voient s'ouvrir une boîte de Pandore dont, comme vous d'ailleurs, ils n'appréhendent pas toutes les dimensions. Derrière cet acte de contrition, on distingue plutôt une nouvelle opération de communication du Gouvernement qu'une réflexion large sur les relations entre la France et les États africains.