Notre assemblée est réunie pour examiner un projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021. Pour faire face à l'urgence d'une épidémie à laquelle notre pays n'était pas préparé, la loi du 23 mars 2020 a institué l'état d'urgence sanitaire. Au début de l'été, la sortie en a été organisée vers un régime transitoire, autorisant le Gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles jusqu'au 31 octobre. Malgré la mise en oeuvre de ce régime d'exception, qui restreignait considérablement nos libertés fondamentales, le Gouvernement n'a pas été capable d'éviter l'accélération de la propagation du virus à la rentrée. Le Président de la République a donc, de nouveau, déclaré l'état d'urgence, à compter du 17 octobre, prorogé jusqu'au 16 février 2021.
L'état d'urgence sanitaire aura donc bientôt un an et je me remémore les propos de l'ancien ministre Gérard Collomb : un état d'urgence ne peut pas être prolongé indéfiniment, sinon, il ne s'agit plus d'un régime exceptionnel. Alors, pourquoi cette nouvelle prorogation, par le biais d'un texte validé en catastrophe mercredi dernier en conseil des ministres et devant être examiné dès le lendemain en commission des lois ? Parce que, une fois encore, le Gouvernement réagit dans la précipitation et sans stratégie.
Vous deviez initialement nous proposer un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, qui avait été adopté en conseil des ministres le 21 décembre. Mais le Gouvernement a dû retirer son projet de loi en catastrophe face au tollé suscité par certaines dispositions, comme celle qui permettait au Premier ministre de conditionner le déplacement des personnes et l'exercice de certaines activités à la présentation d'un test de dépistage ou encore à l'administration du vaccin. La cacophonie issue d'un texte mal préparé, et surtout mal présenté, nous conduit ainsi à cette prolongation de l'état d'urgence sanitaire.
Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour décider si notre assemblée doit, ou non, prolonger ce régime dérogatoire à nos règles de droit. En premier lieu, évidemment, la situation sanitaire : si nous sommes loin des chiffres observés lors du pic épidémique de la deuxième vague, elle n'en est pas moins préoccupante. Ce mardi, 23 608 personnes étaient testées positives au covid-19 et le taux d'incidence était de 190,9 pour 100 000 habitants sur le territoire national. Par ailleurs, 2 839 personnes étaient hospitalisées en service de réanimation. Depuis le début de l'année 2020, l'épidémie a causé le décès de plus de 70 000 citoyens français ; nous pensons tous, à cet instant, à leurs familles.
Il apparaît également que les incertitudes sur l'évolution de la situation à court et moyen termes sont nombreuses. Il existe de réels facteurs de risque d'aggravation ; il est à ce jour particulièrement difficile de mesurer l'ampleur de la prévalence en France des nouveaux variants, détectés notamment au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, et leur effet précis sur la propagation de l'épidémie.
En deuxième lieu, notre assemblée doit s'interroger sur l'efficacité de votre stratégie en matière de lutte contre l'épidémie, et déterminer si vous faites bon usage des pouvoirs qui vous sont confiés. Je pourrais revenir sur la pénurie de masques, mais tout un chacun l'a en tête. Je pourrais revenir également sur les échecs du déconfinement et de la stratégie initiale de tests, mais je préfère m'attarder sur vos dernières décisions : la fermeture des commerces, que votre majorité a choisi de qualifier de non essentiels, a provoqué un vif émoi de la part des commerçants et de la population et suscité une opposition ferme du groupe Les Républicains. Leur réouverture n'a pas entraîné la dégradation massive de la situation sanitaire que certains de vos experts annonçaient, parce que ces professionnels et les Français ont été exemplaires. Les fêtes de Noël, que certains voulaient interdire et sur lesquelles ils dissertaient quant à la place à réserver à papy et à mamie, n'ont pas été désastreuses sur le plan sanitaire, car les Français ont été, comme depuis le début de cette épidémie, responsables.
Enfin, faisons un premier point sur le couvre-feu, avancé à dix-huit heures le 2 janvier dans quinze départements et dans l'ensemble du pays depuis samedi dernier. Passons sur la vaste entourloupe de la concertation des élus locaux, organisée à la va-vite par le Gouvernement. Dans mon département du Territoire de Belfort, tous les élus interrogés y étaient opposés ; le couvre-feu est tout de même entré en vigueur le 2 janvier. Nous n'attendions rien de cette concertation, mais nous avons tout de même été déçus. Comme nous l'annoncions, cela n'a fait que concentrer des flux de population au même endroit et au même moment, au contraire des recommandations prônées depuis des mois. Sur le plan sanitaire, le Gouvernement annonce des résultats très positifs du couvre-feu ; je veux y croire, mais il se trouve que les chiffres de mon département disent l'inverse.
Le bilan de ces mesures démontre que la stratégie sanitaire de la France devrait davantage être co-construite, que notre Parlement devrait y être associé autrement qu'en vous accordant tous les six mois des pouvoirs étendus, que les élus locaux devraient être plus consultés qu'actuellement. Nous avons constaté l'efficacité des maires, des présidents de département, des présidents de région, pour obtenir puis faire distribuer des masques, pour organiser des campagnes de tests et enfin pour installer des centres de vaccination, alors que le Gouvernement est à nouveau dépassé. Cette co-construction permettrait d'éviter les couacs qui fragilisent votre stratégie sanitaire et font reculer l'acceptation de vos mesures par les citoyens. Or de co-construction il n'y aura pas, car le Parlement n'aura plus son mot à dire jusqu'au 1er juin si nous votons cette loi.
Pour conclure, je reformulerai une question qui vous a été déjà posée par mon collègue Antoine Savignat en commission : au vu de l'échec du Gouvernement sur les masques et, plus grave encore, du mensonge de certains de ses membres sur leur utilité, au vu de l'échec de la stratégie de déconfinement, au vu du retard considérable pris par notre pays sur le déploiement de la campagne de vaccination alors que des dizaines de millions de Français attendent de se faire vacciner, contrairement à ce qui peut être raconté çà et là, accorderiez-vous au Gouvernement, si vous étiez à notre place, cette confiance que vous nous demandez ? Au nom du groupe Les Républicains, je réponds aujourd'hui non à cette question. C'est pourquoi nous voterons majoritairement contre ce projet de loi ; mais nous nous tenons évidemment, comme depuis le début de cette crise, à votre disposition pour aider notre pays à sortir au plus vite de cette crise sanitaire.