Je vous remercie sincèrement de m'accueillir pour l'examen de cette proposition de loi, qui porte sur un enjeu exceptionnel, celui des catastrophes naturelles. Exceptionnelles, elles le sont du fait de leur rareté, ce qui rend tentant le fait de repousser toute réforme à plus tard ; mais elles le sont surtout en raison des dégâts qu'elles provoquent et qui imposent, à chaque fois, de répondre vite et fort à ceux qui les ont tragiquement subis.
Plus largement, le présent texte est un marqueur important pour nos civilisations. Qu'il s'agisse des derniers jours de Pompéi, du grand tremblement de terre de Lisbonne ou, bien plus récemment, du cyclone Katrina, l'histoire est jalonnée de terribles événements qui nous rappellent sans cesse la faiblesse humaine face à la puissance de la nature. À chaque fois, les événements sont venus apporter un démenti formel au vieux rêve de Descartes, qui pensait la science capable de nous rendre maîtres et possesseurs de la nature.
C'est désormais le réchauffement climatique qui nous rappelle à notre modeste condition : les calamités qui lui sont liées se multiplient, en nombre comme en intensité. Nous l'avons durement constaté depuis le début du quinquennat avec l'ouragan Irma, les inondations dans l'Aude, dans le Var ou encore plus récemment avec la tempête Alex. Chaque année, les biens de milliers de Françaises et de Français sont victimes des glissements de terrain, des coulées de boue ou de la sécheresse. Ce n'est pas encore la fin du monde mais, pour les malheureux dont la maison est ravagée, c'est déjà un peu la fin de leur monde.
Chacun a bien conscience que l'urgence législative doit répondre à l'urgence climatique. Le Président de la République en a fait un impératif, le Sénat une proposition de loi ; c'est aujourd'hui en étroite concertation avec le Gouvernement que le rapporteur Stéphane Baudu, dont je tiens à saluer la qualité du travail, présente un texte qui répond aux deux préoccupations qui doivent guider la réforme du régime des catastrophes naturelles : améliorer le droit des Français face aux aléas climatiques tout en préservant l'équilibre d'un régime fondé sur notre solidarité nationale.
Je rappelle en effet la particularité de ce régime unique au monde, qui, depuis près de quarante ans, a permis à des millions de nos concitoyens, non seulement de reconstruire, mais surtout de se reconstruire. Ce régime est assis sur un principe clair, qui est l'expression même de notre République : chaque assuré contribue au même taux quels que soient son territoire ou son exposition au risque. C'est ainsi que, pour vingt euros en moyenne, les Français se protègent contre les catastrophes naturelles et, surtout, protègent leurs compatriotes. Cela est d'autant plus remarquable que jamais, en quarante ans, à une exception près, ce régime n'a eu à recourir à la garantie de l'État.
Cependant, préserver cette solidarité nationale amène nécessairement à préserver la viabilité financière du régime, alors que les effets du réchauffement climatique accroissent le risque de catastrophe naturelle. En aval, cela passe par l'adaptation du régime aux nouveaux sinistres, comme le phénomène de sécheresse : celui-ci est malheureusement appelé à s'amplifier dans les prochaines années, tant en fréquence qu'en intensité et en étendue : le Gouvernement entend faire de nouvelles propositions dans les prochains mois en la matière.
En amont, cela passe par l'adaptation de notre politique de prévention des risques. Sur ce point, le Gouvernement a déjà engagé des actions résolues, en augmentant de 50 % les ressources du fonds Barnier pour 2021, et en mettant en place plusieurs plans spécifiques contre les inondations, la sécheresse et les cyclones à destination des collectivités, des constructeurs et des territoires d'outre-mer. Mais cette proposition de loi est l'occasion d'ouvrir la voie à d'autres réponses structurelles sur la problématique de la prévention contre les catastrophes naturelles en général.
Nous discuterons ainsi de deux amendements qui permettraient, d'une part, de confier à la caisse centrale de réassurance une mission d'évaluation des actions de prévention, et, d'autre part, d'inciter les acteurs qui le peuvent – les collectivités territoriales, les grandes entreprises – à déployer leurs propres actions de prévention. Je me réjouis que ce texte ait pris le parti de développer la prévention plutôt que d'augmenter la surprime des assurés, ce qui aurait constitué la solution de facilité pour garantir la viabilité du système d'indemnisation des catastrophes naturelles.
Je pense, comme beaucoup d'entre vous, qu'il n'est pas possible d'assurer l'équilibre du régime au détriment des assurés. Bien au contraire, la proposition de loi se traduira par des bénéfices concrets pour les sinistrés, qui obtiendront un accompagnement renforcé. Elle propose en effet d'allonger les délais de dépôt des demandes et de déclaration des sinistres, mais surtout de créer un référent dans chaque département, chargé d'accompagner dans leurs démarches les maires qui se sentent parfois isolés, voire dépourvus de solutions face à l'ampleur des calamités.
Le présent texte propose une indemnisation plus rapide, mais aussi plus généreuse. Les délais de publication de l'arrêté de reconnaissance sont réduits. Et demain, les frais de relogement d'urgence seront assumés par la solidarité nationale.
Le Gouvernement entend aller plus loin, par voie d'amendement, en proposant notamment de plafonner les franchises pour les petites entreprises, dont les montants parfois trop élevés les empêchent de reprendre leur activité à la suite d'un sinistre.
Enfin, la proposition de loi répond à la demande légitime d'une plus grande transparence, ce qui est indispensable pour renforcer la confiance dans le régime des catastrophes naturelles. La Commission nationale consultative des catastrophes naturelles permettra d'instituer un débat public et démocratique sur le fonctionnement du régime, grâce aux élus et aux associations de sinistrés qui y participeront.
En résumé, je veux souligner le mérite du rapporteur de cette proposition de loi : il est parvenu à combiner le renforcement des droits des assurés avec la préservation des devoirs de la solidarité nationale. Cette dernière nous honore et nous oblige : tout est toujours une question d'équilibre. J'insiste sur cette notion d'équilibre : il faut se garder de solutions qui, prises isolément, semblent être pertinentes, mais qui, accumulées, pourraient en revanche mettre en péril l'architecture d'ensemble de notre régime.
Étendre excessivement les frais pris en charge par le régime reviendrait en effet à mettre en danger sa soutenabilité financière, et à risquer de le voir péricliter, privant ainsi nos concitoyens de cet indispensable outil. En outre, l'objectif de reconstruction résilient, tout à fait pertinent, ne doit pas ouvrir la voie à une indemnisation excessive pour des préjudices mineurs, faute de quoi c'est la cohérence même du régime qui pourrait être mise à mal.
De même, un excès de contraintes sur le fonctionnement de la commission interministérielle, s'il répond à un objectif louable de transparence, pourrait réduire sa réactivité et son efficacité. Il rallongerait ainsi les délais d'instruction, au détriment d'une indemnisation rapide de nos concitoyens.
L'indemnisation des catastrophes naturelles est un travail d'orfèvre. Nous disposons, en France, d'un modèle unique, qui, s'il est capable de surmonter les ouragans et les tremblements de terre, résiste plus difficilement aux grains de sable susceptibles d'enrayer sa mécanique – c'est souvent le cas en orfèvrerie.
Jean Giraudoux écrivait que « le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse ». Je ne sais pas si nous sommes grands, mais je sais que nous pouvons avoir tendance à oublier que nous contemplons les calamités de trop loin quand certains les vivent de bien trop près. La République doit être aux côtés des sinistrés dans l'épreuve terrible que représente une catastrophe naturelle. Elle l'est, et, grâce à vous, elle entend bien le rester.
C'est pourquoi le Gouvernement est totalement convaincu de la nécessité de faire évoluer le système. Il soutient l'initiative du député Stéphane Baudu, ce d'autant plus qu'elle participe de sa volonté plus générale de mieux prévenir les effets du réchauffement climatique. Face aux injustices liées à l'aléa météorologique, grâce à ce texte dont je vous remercie, la République oppose la stabilité de la solidarité.