C'est l'un des problèmes auxquelles la République devrait aussi savoir s'attaquer.
La trahison de la promesse républicaine forme le terreau dans lequel ceux qui nous combattent viennent cueillir nos compatriotes, qu'ils transforment en armes contre nous. Le chef de l'État a clairement dressé ce diagnostic dans son discours des Mureaux, dont je salue la force. Pour la première fois, des propos directs, courageux et francs ont été prononcés sur ce sujet. Malheureusement, le texte qui nous est présenté quelques mois après ne tient plus grand compte du constat, tout du moins de nos échecs éducatifs, culturels, sociaux et d'intégration.
Le texte est donc bancal à nos yeux. Il vise à mieux surveiller, contrôler, encadrer, pénaliser les activités administratives et associatives, les modalités d'expression autorisées et bien d'autres choses encore, mais jamais à dessiner la solution en matière d'éducation, de formation, de mixité sociale et de sexe, de mobilité géographique et sociale, tout simplement parce que le Président de la République ne croit pas aux politiques collectives, mais seulement aux réussites individuelles. Preuve en est ce qu'il a fait – ou plutôt ce qu'il n'a pas fait – du rapport que lui a remis Jean-Louis Borloo en 2018. N'attaquant que les expressions, les actions, mais pas les racines du mal, le projet de loi ne s'attaque pas à l'ensemble de l'écosystème qui favorise la propagande islamiste.
Reste ce que le texte contient et qui, pour une large part, apporte des progrès dans la protection et la défense des valeurs de la République, qu'il nous appartient de protéger, mais aussi de faire aimer.
Au-delà des causes, le discours des Mureaux nommait clairement les conséquences problématiques : un islam radical qui, je le disais, dévoie la religion musulmane pour faire miroiter un projet de société et d'État contraire à la République à ceux que celle-ci a laissés au bord du chemin. Les constats formulés par le Président de la République étaient justes et lucides, mais les solutions ont souvent été laissées en points de suspension. La première version du texte était intitulée « projet de loi visant à lutter contre les séparatismes », l'utilisation du pluriel ayant suscité nos interrogations. Finalement, lors de sa présentation en conseil des ministres le 9 décembre – une date qui n'avait évidemment rien d'anecdotique – , la notion de séparatisme avait disparu du projet de loi, au sein duquel l'islamisme radical et politique n'est jamais cité, si ce n'est furtivement dans l'exposé des motifs, et dont les mesures sociales ont totalement disparu.
Ainsi, monsieur le ministre de l'intérieur, madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, le texte que vous nous présentez est difficile à appréhender pour plusieurs raisons. À sa lecture, il est impossible de comprendre quelle est sa cible réelle. Il traite une multitude de sujets, de la neutralité du service public à la haine en ligne, en passant par l'instruction en famille ou la dignité de la personne humaine, et se perd parfois dans le détail de situations isolées ou marginales. Surtout, il tente de traiter les conséquences sans aborder les causes. D'un objectif clair énoncé par le chef de l'État nous sommes passés à un projet de loi qui modifie des piliers de la République, la loi de 1905, les grandes lois sur l'école et celle du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, qui porte sur la liberté d'association. In fine, le texte prend le risque de rater sa cible – ce qui constitue, selon nous, son principal problème.
Avant tout, nous voulons éviter que le projet de loi se limite à une proclamation et soit uniquement déclaratif, sans application effective sur le terrain : en somme, une loi de programmation sans réelle programmation pour la faire vivre. Nous sommes conscients que l'exercice est difficile, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée. Nous ne devons pas nier les difficultés, sans toutefois alimenter les défenses. Les choses doivent être dites et je veux remercier le Gouvernement de l'avoir enfin fait dans cet hémicycle. Quel est l'objectif ? Quel est l'adversaire ? Vous les avez nommés, les uns et les autres, dans vos discours. Nous aurions aimé qu'ils apparaissent aussi dans le texte.
Ce projet de loi vise à s'appliquer principalement à l'islamisme politique totalitaire, et non à la religion musulmane, à un projet politique qui dévoie cette religion pour imposer un autre projet, qui combat clairement les valeurs qui font de nous des Français et des républicains. Nous partageons, tout d'abord, l'affirmation de la neutralité au sein des services publics. Le service public est une entité qui doit être particulièrement protégée de toute tentative de prosélytisme et d'influence. C'est notre bien commun, notre copropriété. Nul corps, nul individu ne peut tenter de se l'arroger ou de le transformer pour imposer sa vision du monde. Ce devoir qui s'impose à tous les agents et à ceux qui les dirigent s'accompagne aussi de leur protection renforcée, puisqu'on sait désormais qu'ils peuvent subir des pressions allant même jusqu'à des violences mortelles. C'est la raison pour laquelle nous ferons des propositions afin que le dispositif de signalement dont ils bénéficient soit effectivement appliqué.
Au-delà des fonctionnaires et des élus, la protection de tous nos concitoyens est une priorité. C'est pourquoi nous proposons de mieux criminaliser des faits dramatiques comme ceux qui se sont récemment produits dans notre pays, qui sont quasiment passés inaperçus et qui n'ont pas été sanctionnés sur le plan pénal – c'est précisément sur ce point, monsieur le ministre, que nous nous sommes heurtés à l'interprétation excessive de l'article 45.
À Dijon, des hordes de Tchétchènes sont venues s'attaquer à des Maghrébins. À Décines-Charpieu, de jeunes Turcs – les « Loups gris », groupe que vous avez à juste titre dissous, monsieur le ministre – ont cherché à faire une « arméniade », en référence à ce qu'on appelait autrefois une ratonnade.
Chers collègues, j'appelle votre attention sur le fait que c'est la première fois depuis 1945 qu'à deux reprises, dans notre pays, des groupes ethniques se rassemblent pour s'en prendre à d'autres groupes ethniques, sans que des sanctions pénales ne soient prononcées contre leurs auteurs puisqu'il n'existe pas de délit spécifique en la matière ! Ce n'est pourtant pas la même chose de faire preuve de racisme individuellement, ce qui est condamnable et doit être sanctionné, et de se réunir, comme on le faisait avant la seconde guerre mondiale en Allemagne mais aussi en France, pour s'attaquer à un autre groupe ethnique en raison de son origine : c'est encore plus grave et mériterait d'être considéré comme un crime particulier contre la République ! Le groupe UDI et indépendants souhaitait introduire ce délit dans le projet de loi car il contribuerait à lutter contre le séparatisme. Malheureusement, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II, vous avez estimé que ce n'était pas l'objet du texte.
Monsieur le ministre, puisque vous n'êtes pas soumis aux mêmes règles que les députés, je vous demande de reprendre notre idée selon laquelle de tels actes sont un crime contre la République et doivent, à ce titre, être durement sanctionnés. Je ne peux accepter qu'à Décines-Charpieu, des gens qui se sont rassemblés pour s'attaquer aux Arméniens aient seulement été verbalisés pour non-respect du couvre-feu ! Je sais que vous partagez ma position et je vous demande de réfléchir à notre proposition, tout au moins dans le cadre de la navette parlementaire.
Le phénomène de l'islamisme est souvent insidieux car il utilise les failles de notre droit. À ce propos, le financement – notamment étranger – des associations cultuelles constitue un sujet majeur. Un grand pan de votre projet de loi porte sur ce point ; nous soutenons les mesures proposées mais le dispositif nous semble incomplet et nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Deux points devraient attirer notre attention. Le premier a trait au financement des cultes : nous croyons, comme l'un de vos illustres prédécesseurs, Dominique de Villepin, qu'il est nécessaire de mieux séparer les comptes, et nous allons vous faire une proposition en ce sens. Il faut également s'employer à mieux séparer le donneur du receveur. En effet, en cette matière, le donneur peut évidemment chercher à exercer une influence excessive – c'est d'ailleurs vrai quelle que soit la religion concernée – sur celui qui reçoit, que ce soit un prêtre, un imam, un pasteur ou un rabbin, ou encore une église, une mosquée, un temple ou une synagogue.
C'est pourquoi nous pensons que tout financement d'une religion devrait passer par une fondation, qui recevrait les dons et les répartirait, afin d'éviter qu'un lien direct ne s'établisse entre le donneur et le receveur. Nous aurons l'occasion d'en débattre un peu plus tard.
Mais la réforme la plus nécessaire concerne spécifiquement le culte musulman. Elle doit permettre aux musulmans de considérer le CFCM – Conseil français du culte musulman – comme une instance qui les représente vraiment. C'était une initiative heureuse, de la part du Président Sarkozy, que de créer une institution qui soit l'interlocuteur de l'État. Mais en tant qu'élu d'une banlieue populaire où vivent de nombreux concitoyens musulmans, je suis frappé de voir que depuis des années ceux-ci ne considèrent pas que le CFCM parle en leur nom.
Ils ne le jugent pas représentatif, pour une raison bien simple : ils n'ont pas participé à la désignation de ses membres. Imaginez une Assemblée nationale qui n'aurait pas été élue par chaque citoyen souhaitant voter, mais par des délégués dont le poids dépendrait de la surface de l'habitation. C'est exactement ce qui passe pour le CFCM puisque l'électorat n'est pas constitué de tous les musulmans, mais déterminé pour chaque lieu de culte par sa surface. C'est un mode d'élection qui n'est pas satisfaisant et qui doit être modifié : il me semble, monsieur le ministre, que vous devriez vous pencher sur cette question.
Enfin, vous dites que les associations doivent respecter la laïcité. Je pense que vous avez raison, tant il est vrai que l'islamisme politique cherche parfois – ce n'est pas le cas de toutes les associations – à jouer dans les bordures, à contourner les règles, à s'insinuer pour mieux s'imposer plutôt que de s'affirmer de front. Le chapitre sur la haine en ligne contient des mesures diverses que nous soutenons, tout comme nous avions soutenu la proposition de loi de Mme Laetitia Avia.
Les plateformes doivent prendre toute leur part pour lutter contre les contenus haineux sur internet, mais nous pensons qu'il est tout aussi essentiel de s'atteler à régler la question de l'anonymat en ligne, car rien ne légitime qu'il soit si protecteur de ceux qui commettent des délits confortablement cachés sous des pseudonymes.
Il y a là un paradoxe : la plupart des propos qui sont tenus sur les réseaux sociaux ne le seraient pas dans la rue à visage découvert. Internet est censé être un espace virtuel, mais il est tout aussi public que l'espace réel : chacun devrait y être tout aussi personnellement identifiable que dans la rue. Cette différence entre la rue et les réseaux sociaux devrait être gommée, excepté pour quelques professionnels, notamment les journalistes, qui ont toujours pu écrire sous pseudonyme mais qui doivent, au titre de la loi, répondre de leurs actes.
Les dispositions relatives aux droits des personnes visent des pratiques plus culturelles que cultuelles, madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté. Nous en validons le principe, qui consiste à poser des interdits clairs dans la loi ; nous espérons que cela sera suivi des faits, ce qui demandera des moyens.
J'en viens maintenant à la question de l'éducation et de l'instruction en famille. C'est la partie la plus déséquilibrée de votre projet de loi : on y sort manifestement du cadre d'un texte contre le séparatisme pour y exprimer une idéologie que je qualifie de laïcarde et qui est à mes yeux le contraire de la laïcité. Nous l'avons vu lors des débats en commission, cette idéologie veut imposer sa vision de l'éducation par l'État en niant le droit de la famille à pourvoir à l'éducation de ses enfants tout en respectant les valeurs républicaines.
Cela contrevient précisément au principe de liberté de l'éducation, et je pense d'ailleurs que ce n'est pas constitutionnel. Partant d'une crainte légitime – la captation d'enfants au service d'une idéologie – , le Gouvernement dresse des constats faux, non documentés, qui vont nuire à la liberté de l'éducation en famille, pénalisant une majorité de familles qui font ce choix sans poser aucun problème à la République, pour n'atteindre qu'une petite minorité de sectes et d'islamistes radicaux.
Nous l'avons dit en commission, ce sont les contrôles qui font défaut. On nous a répondu qu'ils étaient réalisés trop tard, six ou neuf mois après la déclaration d'instruction dans la famille. Mais il suffirait de mettre les moyens nécessaires pour qu'ils le soient dans un délai d'un mois ou deux ! Vous nous dites que cela nécessiterait beaucoup trop de personnel, mais c'est un mensonge que nous nous emploierons à démonter dans les jours qui viennent : il n'y aurait pas beaucoup de postes à créer pour répondre aux besoins. Il faudrait surtout recruter des agents spécialisés, capables de détecter ce qui relève effectivement d'un danger pour l'enfant et pour la République, afin de laisser les autres projets se construire dans un climat de confiance. Il suffit d'effectuer des contrôles, car la confiance n'exclut pas le contrôle.
Vous avez totalement inversé la logique : là où il fallait jusqu'à présent déclarer l'instruction en famille qui faisait ensuite l'objet de contrôles, vous avez décidé que des autorisations préalables devraient désormais être délivrées. Mais sur quelle base ? Sur quelle base allez-vous juger que des parents sont capables de construire le parcours éducatif de leur enfant à domicile, avant même qu'ils aient commencé à le faire ? Leur origine ? Leur religion ? Leur niveau social ? Leur niveau de formation ? En réalité, vous ne pouvez le faire qu'à partir du moment où le projet a débuté.
Nous pensons que l'éducation nationale devrait aider à la définition de ce projet puis le contrôler de manière très claire. En revanche, nous ne pensons pas qu'elle seule sache éduquer des enfants, contrairement à ce qu'ont dit en commission la rapporteure pour le chapitre V du titre Ier et le ministre. D'ailleurs, dans le discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, il était question non pas d'autoriser mais d'interdire l'instruction à domicile. Ce n'est que parce que le Conseil d'État a dit qu'une telle mesure était contraire à une liberté fondamentale que l'interdiction s'est muée en obligation d'obtenir une autorisation.
Il est d'ailleurs paradoxal qu'aucune autorisation ne soit exigée pour les écoles hors contrat, tandis qu'il serait nécessaire d'en obtenir une pour l'IEF – instruction en famille. Cela montre bien que vous faites moins confiance aux familles qu'à des écoles hors contrat qui ont pourtant refusé d'entrer dans une relation contractuelle avec la République. Ce raisonnement nous paraît curieux.
Enfin, il nous semble indispensable de renforcer les échanges d'informations entre le Gouvernement et les élus locaux, en particulier les maires. Il serait par exemple souhaitable qu'ils puissent accéder à certains fichiers, afin de mieux prévenir les dérives que nous voulons tous combattre. Mais il faudrait aussi, monsieur et madame les ministres, que le partage d'informations prenne d'autres formes.
Je prends un exemple : votre projet de loi dispose légitimement que les financements ne doivent être attribués qu'à des associations respectant les principes de la République, dont la laïcité. Le contrôle de ces associations peut être effectué par leur fédération ou, par exemple, par les délégués du préfet ; quoi qu'il en soit, il sera le plus souvent le fait des autorités de l'État. Les renseignements qui peuvent éventuellement remonter s'agissant de pratiques anormales sont parfois issus des renseignements territoriaux ; or en l'absence d'échanges réguliers et structurés entre les services, le contrôle risque d'être inefficace. Nous voulons certes proclamer un principe que nous partageons – j'en parlais tout à l'heure – , mais nous souhaitons aussi permettre que ces échanges donnent lieu à un contrôle plus réel, afin que ledit principe soit effectivement respecté.
En effet, il n'est pas très aisé de déterminer qu'une prière ou un rite religieux n'ayant pas sa place dans une association laïque se pratique dans telle ou telle association, à tel ou tel moment. Il serait donc judicieux que les services de l'État et les services municipaux puissent échanger à ce sujet.
Si nous nous accordons avec le Gouvernement quant aux constats de départ et aux objectifs à atteindre, nous ne sommes donc pas toujours en accord avec les solutions proposées. Nous verrons bien si vous êtes réellement ouverts à la discussion, alors que notre droit d'amendement a été largement restreint, limitant nos sujets de débat.
La République est ambitieuse ; elle ne saurait se fonder uniquement sur des contrôles et des pénalisations. Elle est certes combative si on l'attaque, mais elle est aussi humaniste, à l'image des principes dont ce projet de loi souhaite apparemment conforter le respect. Pour lui redonner force et qu'elle continue d'être « le refuge ultime du bon sens », comme le disait Guy Carcassonne, il faut la renforcer dans toutes ses composantes, notamment en matière d'éducation et d'inclusion, ce dont manque le texte en l'état. Selon notre Constitution, la République est bien laïque et indivisible, mais elle est aussi sociale. C'est ainsi qu'il faut conduire l'intégration, à l'inverse des séparatistes.
Si nous soutiendrons globalement ce texte, nous regrettons donc qu'il ne soit pas la grande loi républicaine annoncée. Pour tout vous dire, les avancées qu'il permettra seront bien moins importantes que celles obtenues par le chef de l'État et le ministre de l'intérieur grâce à l'adoption de la charte des principes pour l'Islam de France, qu'il faut porter à votre crédit, monsieur le ministre, comme à celui du Président de la République.
Cette charte, signée par les imams de France, contient des armes bien plus efficaces pour lutter contre le séparatisme que le présent projet de loi.