Certaines dispositions sont particulièrement restrictives, notamment celles qui s'appliquent aux parents d'enfants malades étrangers. La loi du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France, prévoit qu'une autorisation provisoire de séjour (APS) peut être délivrée à l'un des parents étrangers d'un enfant dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si aucun traitement approprié n'est possible dans le pays d'origine. Mais en fait, une disposition plus favorable est prévue dans ce texte : les deux parents étrangers d'un enfant malade pourront se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour – qui autorise, en principe, son titulaire à travailler. Pourtant, ce n'est pas du tout ce qui se passe dans la réalité : l'APS, en ne conférant qu'un droit de séjour de six mois maximum, peut entraver l'accès du titulaire à un emploi, à un logement, ou à des prestations sociales. Nous avons donc estimé que la loi devait être modifiée pour prévoir la délivrance aux parents étrangers d'un enfant malade, non d'une APS, mais d'une carte « vie privée et familiale », lorsqu'il s'avère, après le premier renouvellement de l'APS, que l'état de santé de l'enfant impose des soins de longue durée en France.
De la même façon, nous pensons qu'il faut renforcer le droit au travail des demandeurs d'asile. Vous aurez l'occasion d'en discuter en débattant les textes que le ministre de l'intérieur vous présentera dans les semaines qui viennent. Parmi les points les plus négatifs de la situation des migrants, on trouve les délais passés non pas à traiter les demandes d'asile comme on le dit trop souvent, mais pour simplement entrer dans la procédure : il faut d'abord obtenir le récépissé à la préfecture, puis obtenir un rendez-vous, ensuite commencer à remplir son dossier. Pendant tout ce temps, le demandeur n'a aucun droit, en particulier pas celui de travailler. Or chacun sait très bien que le travail est le meilleur moyen de leur permettre de s'installer dignement dans notre pays sans y causer aucun problème. Je pense en particulier qu'il faudrait ouvrir le bénéfice des formations professionnelles prévues par le code du travail aux demandeurs d'asile dès le début de la procédure.
Madame la présidente, nous assistions récemment ensemble à la présentation d'un plan contre la pauvreté ; la précarité est une préoccupation que nous partageons. Notre principale interrogation porte sur les modalités d'application du nouveau critère de discrimination : « la particulière vulnérabilité tenant à la situation économique », prévu par la loi Vaugrenard du 24 juin 2016. La grande pauvreté, et la précarité qui s'y attache, compromettent l'exercice des droits économiques et sociaux essentiels, entravent la jouissance des droits fondamentaux et sont sources d'une inégalité dans l'accès aux services publics et donc dans l'accès au droit – je vous renvoie au rapport publié par le Secours catholique la semaine dernière. C'est sur ces derniers points que nous travaillons particulièrement. Il faudra combiner ce nouveau critère avec la loi de 1998 sur les droits fondamentaux et les biens essentiels, qui proclame les droits fondamentaux à l'eau, à l'énergie, à un compte bancaire, et voir ainsi comment créer plus d'égalité à partir de ce nouveau critère de discrimination à raison de la précarité sociale.
Nous sommes aussi préoccupés de la situation que l'on peut qualifier, peut-être abusivement, d'« illettrisme électronique », qui concerne les 18 à 22 % de personnes qui, dans notre pays, ont des difficultés, parfois des impossibilités, pour faire des démarches en ligne et utiliser internet. Depuis le 1er novembre, on ne peut plus demander un permis de conduire ou une carte grise autrement qu'en ligne, par l'intermédiaire d'un ordinateur ou d'un smartphone. Nous nous préoccupons de ne pas oublier de laissés-pour-compte de la dématérialisation. J'appelle aussi votre attention sur les conséquences de la dématérialisation de la justice que prépare Nicole Belloubet. L'accès à la justice est un des droits les plus essentiels : si cela représente un obstacle pour certains publics, nous serons loin du compte.
Nous avions vainement proposé dans la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 qu'une partie des économies réalisées par la dématérialisation soient toujours consacrées à des formules ou des instances d'accompagnement. C'est tout à fait possible : le ministère des finances l'a fait lors de la mise en place des déclarations de revenus par internet, tant et si bien que des gens pourtant très éloignés de ce monde déclarent désormais leurs par internet sans aucune difficulté, parce que le ministère des finances a prévu l'assistance et l'accompagnement nécessaires. C'était évidemment son intérêt, mais nous devrions, dans beaucoup de cas, agir de la même manière. C'est pourquoi je soulignais que le ministère de l'intérieur avait établi des points numériques depuis le 1er novembre.
Je terminerai en évoquant les discriminations dans l'accès à la santé. Nous avions remis un rapport sur les refus de soins à la demande du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en avril 2014, au moment où il était remplacé par Manuel Valls, pour lequel nous avions eu recours à la technique du test de situation au téléphone. Nous avons récemment réalisé de la même manière une étude sur les professionnels de santé et les patients en situation de précarité : il en ressort une situation de discrimination avérée à l'égard des titulaires de la CMU.
Une disposition de la loi Touraine s'attaque à cette situation, mais le système de commissions départementales qu'elle a mis en place n'est pas efficace ; il faudrait que nous allions plus loin sur les refus de soins. Nous avons notamment recommandé que l'assurance-maladie lance une enquête sur les médecins qui facturent des dépassements d'honoraires aux bénéficiaires de la CMU-C et plus particulièrement de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS). Car c'est ainsi que les choses se passent en France aujourd'hui : nous vivons une époque formidable, c'est bien connu !
Dans ce domaine, nous sommes très favorables à une idée discutée actuellement au Parlement : l'intégration de l'aide médicale d'État dans l'assurance-maladie. Nous y voyons beaucoup d'avantages. Nous comprenons très bien pourquoi l'assurance-maladie et la ministre de la santé n'y sont pas favorables, mais nous maintenons qu'il y va de l'intérêt de tous, y compris des praticiens, et que c'est une source d'économies. Je crois savoir que des amendements ont été déposés à ce sujet.
En 2018, nous pourrons, si vous le souhaitez, être amenés à travailler ensemble sur plusieurs sujets : la réforme du RSI, sur laquelle nous avons essayé de donner quelques conseils de prudence ; la réforme du régime des majeurs protégés, si elle vient – c'était une promesse de campagne du Président de la République ; la réforme des mutuelles étudiantes ; le harcèlement et les infractions sexuelles sur les mineurs, ainsi que les textes de Nicole Belloubet et Marlène Schiappa sur les violences sexuelles ; les mineurs non accompagnés et le plan que le Gouvernement va présenter dans les semaines qui viennent. Nous serons consultés par les inspections qui ont été saisies pour mettre en place une forme de substitution de l'État aux départements sur cette question. La défenseure des enfants, Mme Avenard, lorsqu'elle a été entendue par Mme Bagarry, a clairement posé le principe selon lequel ces jeunes doivent être considérés comme des mineurs avant d'être considérés comme des étrangers, et donc pris en charge par la protection sociale de l'enfance avant d'être mis dans la filière étrangers et migrants.
Pardonnez-moi si j'ai été long : c'était une façon de vous dire que sur beaucoup de sujets qui peuvent vous préoccuper, sur lesquels vous voulez proposer de nouvelles avancées en ce début de législature, nous sommes sur la même ligne, et prêts à collaborer avec vous.