Quel est notre désaccord de fond ? Selon nous, la signification de la loi de 1905, c'est que l'État ne doit pas se mêler de l'organisation des associations cultuelles. Certes, il ne s'agit ici que de demander la mise en place d'instances délibérantes, mais, à notre avis, même cela n'a pas lieu d'être : c'est aux fidèles qu'il revient de décider comment ils s'organisent.
L'article 26 semble par ailleurs inspiré par l'idée selon laquelle les associations ne seraient pas organisées de manière vraiment démocratique : sans aller jusqu'à dire que ces associations ressemblent à des dictatures, on laisse entendre qu'on a affaire à de braves gens mal organisés et à la merci d'autres gens beaucoup plus malveillants. Considérer que les associations cultuelles sont composées de personnes qu'il faudrait prendre par la main pour les convaincre de mieux s'organiser, cela ressemble fort à une expression de paternalisme à leur égard.
Enfin, cet article donne l'impression de viser plus particulièrement les associations du culte musulman, puisqu'il y est question des « ministres du culte », un terme qui, en France, ne concerne que les musulmans et les protestants. Pour ce qui est des premiers, certains théologiens estiment qu'un imam ne doit pas être considéré comme un ministre du culte, mais uniquement comme celui qui dit la prière. Quant aux protestants, ils protestent – pardon pour ce jeu de mots – , estimant qu'ils n'ont rien à voir avec tout cela.
En tout état de cause, reconnaissez, monsieur le ministre, qu'il y a dans cet article quelque chose qui vient contredire un principe conforme à l'esprit républicain, et que vous avez vous-même souvent invoqué, à savoir que nous n'avons pas à légiférer en visant une religion plutôt qu'une autre : les lois doivent être de portée générale. Or si l'article 26 mentionne les associations cultuelles désignant un ministre du culte, cela implique que celles qui n'en désignent pas ne sont pas concernées par la loi.
Pour ma part, j'estime que nous n'avons pas à vérifier si les associations cultuelles sont bien organisées ou non. Comme je l'ai déjà dit de manière ironique, mais avec tout le respect que je dois aux religions, les religions étant dogmatiques par définition, elles fonctionnent comme elles l'entendent, et le grand compromis de 1905 portait aussi sur cet aspect-là – ce que vous savez très bien, monsieur le ministre.
En 1905, l'Église catholique est celle qui s'était manifestée avec le plus de vigueur, craignant de se voir disloquée par la création d'associations selon les modalités prévues par la nouvelle loi – c'était ce que l'on appelait alors le risque schismatique. Le grand accord de 1907 avait consisté à faire basculer les lois de 1905 en statut de 1907 dit diocésain, l'autorité devenant l'évêque. Si je fais ce rappel historique, c'est pour illustrer le fait que les associations catholiques ne sont pas dotées d'instances forcément plus démocratiques que les autres, la véritable autorité étant détenue, je l'ai dit, par l'évêque.
Comme vous le voyez, nous sommes en désaccord avec vous à la fois sur la conception même du rapport que nous avons aux associations cultuelles – pour nous, il n'appartient pas à la République de se mêler de leur organisation – et dans le regard porté sur certaines associations cultuelles – en l'occurrence, les associations musulmanes, mais aussi les protestantes.
Nous devons veiller à ce que les associations cultuelles respectent la loi et à ce que celles qui ne la respectent pas soient sanctionnées. Pour le reste, nous devons laisser les musulmans s'organiser tranquillement, comme ils le font déjà. Quand nous rencontrons ces associations cultuelles, nous constatons qu'elles font bien leur travail, que les gens s'organisent de manière transparente et honnête et que, s'il peut y avoir de petites choses à corriger ici ou là, on pourrait en dire autant des autres cultes. En d'autres termes, rien ne justifie qu'on manifeste une suspicion particulière à l'égard des associations du culte musulman, ce qui serait le cas si nous adoptions cet article 26. C'est pourquoi nous y sommes opposés.