Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du vendredi 12 février 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Article 26

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Cela s'appelle du soft power. Quand de grandes fédérations anglo-saxonnes financent des lieux de culte évangéliques en France, c'est aussi du soft power. Il est incroyable de ne pas le concevoir : la République doit connaître les financements effectués sur son sol, et doit pouvoir s'y opposer ; il me semblait que cela correspondait à votre philosophie politique, mais j'ai parfois du mal à suivre le débat.

Nous luttons donc fortement contre l'islamisme politique, monsieur Corbière, et nous luttons par ailleurs contre l'ingérence étrangère. Celle-ci véhicule parfois des idées islamistes, mais, parfois aussi, elle vise seulement à maîtriser sa diaspora. Chacun sait que certains pays du Maghreb, ou encore la Turquie, entendent contrôler leur diaspora par l'intermédiaire notamment du culte – mais aussi de l'éducation, entre autres – , pour des raisons électorales ou afin de véhiculer leurs valeurs. La question n'est donc pas seulement islamiste.

Vous vous étonnez d'entendre que les catholiques ne seraient pas concernés. Précisons les choses. Plusieurs dispositions du projet de loi relèvent de la police du culte. Pour certaines, les interrogations de Mme Genevard et M. Breton, visant à comprendre qui est concerné, sont légitimes – c'est normal, comme dans tout texte de loi. L'une des principales dispositions du texte – mais il y en a plusieurs – consiste à rappeler que la grande loi de 1905 a créé des associations spécifiques, ayant des droits et des devoirs contraignants – il est en effet contraignant de gérer un culte, ce n'est pas comparable à la gestion de n'importe quelle association. C'est vieux comme la loi de 1905 !

Or il n'est pas normal que dans le cas de certains cultes – comme le culte musulman – , les associations relèvent à 92 % de la loi de 1901. D'ailleurs, cela les handicape. Prenons l'exemple de structures cultuelles musulmanes qui demandent au maire de prendre en charge leur taxe foncière, comme je l'ai vu à Tourcoing. Je ne peux évidemment pas leur donner d'argent, en vertu du principe de non-subventionnement du culte. Si elles étaient des associations de la loi de 1905, la République ne leur ferait pas payer la taxe foncière. Bref, comme ce sont des associations loi 1901, elles doivent s'en acquitter et, donc, empruntent de l'argent à l'étranger pour payer un impôt auquel elles ne seraient pas soumises si elles relevaient de la loi de 1905. Nous avons un dispositif spécifique issu de la loi de 1905 ; utilisons-le.

Notre intention, en élaborant ce projet de loi, était d'interdire la gestion des cultes par le biais d'associations loi 1901. Le Conseil d'État a jugé que cela allait trop loin et pouvait affecter la liberté de culte. Sa vocation étant de nous conseiller, il nous a recommandé d'imposer des contraintes aux associations loi 1901, et de garder les contraintes de la loi de 1905 tout en les assortissant d'avantages. Je le dis avec certitude : il est évident que, dans les années à venir, l'écrasante majorité des cultes se tourneront vers le dispositif de 1905. J'ai fait distribuer un tableau à ce sujet en commission : chacun a bien pu voir qu'il fallait adopter ce dispositif, afin d'obtenir les avantages et les contraintes de la loi de 1905.

Les catholiques n'y ont pas recouru, mais ont créé des associations diocésaines. Que s'est-il passé après l'adoption de la loi de 1905 ? Dès 1906, le Parlement, pour ne pas relancer une guerre de religion, a accepté l'idée que les associations diocésaines étaient des associations cultuelles – c'était une sorte de rescrit législatif. Ce principe a été confirmé après la première guerre mondiale, accepté par le gouvernement de Clemenceau – que vous citez souvent – et par Aristide Briand, qui redeviendrait peu après ministre. Les associations diocésaines sont donc assimilées à des associations régies par la loi de 1905.

Aujourd'hui, les associations cultuelles relevant du culte protestant, du culte catholique et d'une très grande partie du culte juif sont régies par la loi de 1905. Les musulmans, les bouddhistes, une partie des évangéliques et tous les autres cultes relèvent, eux, de la loi de 1901. Notez qu'il y a de nombreux cultes en France, souvent peu connus – en tout cas, du Parlement ; chacun peut d'ailleurs décider de créer un culte, et la République n'a pas à en juger. Nous renvoyons tous les cultes relevant de la loi de 1901 vers la possibilité d'opter pour le dispositif de 1905. C'est cette disposition précise, monsieur Corbière, qui ne concerne pas le culte catholique. Nous ne refaisons pas la loi de 1905 – à cet égard, les propos qui viennent d'être tenus étaient totalement excessifs. Nous ne revenons pas sur l'équilibre de 1905, de 1907 et de 1920 ; personne ne le fait.

En revanche, les autres dispositions concernent tous les cultes : nous devons connaître leurs financements et, le cas échéant, nous y opposer pour des raisons d'ordre public ; nous devons pouvoir fermer des lieux cultes s'ils sont le théâtre d'incitations à la haine et à la violence. Parmi leurs griefs, les représentants du culte chrétien ont craint que nous puissions fermer un lieu de culte en raison du discours qui s'y tient sur la bioéthique. Si un prêtre prend la parole dans une église pour contester la loi sur la procréation médicalement assistée, considérera-t-on qu'il incite à la haine et à la discrimination ? Vous avez oublié de signaler, monsieur le député, que nous avions écouté le Conseil d'État et que nous avions retiré une disposition en conséquence ; nous avons ainsi réaffirmé que les ministres du culte – comme toute autre personne – avaient la liberté d'exprimer leur opinion sur les lois de la République. C'est évident, et ce n'est pas la question.

Certains nous reprochent de ne pas avoir fermé tous les lieux de culte radicalisés. J'ai lu, dans le programme des Républicains, que seules sept mosquées avaient été fermées depuis 2017, alors que, selon le ministère de l'intérieur, quatre-vingt sont séparatistes. Bien évidemment ! Le ministre de l'intérieur n'a pas, à sa main, de disposition lui permettant de fermer des lieux de culte séparatistes n'ayant rien à voir avec des attentats. C'est cette possibilité que nous vous demandons. Comment peut-on chérir des conséquences dont on regrette les causes ?

Je le répète : tous les cultes sont concernés par nos dispositions. Il est normal que certains expriment des inquiétudes, et nous les rassurons. Nous travaillons uniquement sur la police du culte et non sur l'organisation interne des cultes. Il ne nous revient pas de définir ce qu'est un ministre du culte, ni de décider quelle langue doit être parlée dans un lieu de culte ; bien évidemment, nous ne devons agréer ni les imams, ni les curés, ni les pasteurs, ni les prêtres – en cela, je vous rejoins monsieur le député. Enfin, les représentants du culte catholique, qui n'applique pas le dispositif de 1905, nous ont fait part de leurs interrogations : remettrions-nous en cause les associations diocésaines ? Le rescrit législatif qui, depuis Clemenceau, assimile les associations diocésaines à des associations relevant de la loi de 1905, nous le reprenons comme tel. Les mêmes dispositions s'appliquent à tous. Avis défavorable.

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