Chers collègues, l'Assemblée nationale a examiné ce projet de loi, en première lecture, les 3 et 4 octobre. Le Sénat l'a pour sa part examiné les 7 et 8 novembre derniers. Si nous sommes réunis cet après-midi, c'est en raison de l'échec de la commission mixte paritaire réunie ce matin. Mon collègue Jean-Charles Colas-Roy, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et moi-même, appelions pourtant un accord de nos voeux. Si le Sénat a su apporter des améliorations au texte lors de sa première lecture, il a, dans l'ensemble, soutenu une vision passéiste et rétrograde de ce que doivent être la transition énergétique et l'avenir de nos sites industriels. Ce projet de loi ambitieux et responsable avait pourtant trouvé dans notre assemblée un équilibre, portant l'ambition d'un texte fort, symbolique et engageant pour la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, tout en veillant à préserver nos territoires, nos entreprises et les sites industriels concernés et à les inscrire dans une vision d'avenir de la transition écologique et solidaire.
Nos débats en commission des affaires économiques porteront uniquement sur les articles restant en discussion, pour lesquels nous avons une délégation au fond. Avant de les aborder plus spécifiquement, laissez-moi vous donner un aperçu des modifications du texte dans son ensemble, puisque nous l'avions examiné pour avis, en première lecture, sur l'ensemble des articles. Adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, les trois articles 2 bis, 5 et 8 ne sont plus en discussion. Le Sénat a apporté au texte adopté par l'Assemblée nationale des modifications importantes et a introduit plusieurs articles nouveaux. Parmi ces initiatives, il faut saluer certaines avancées – je pense aux articles 3 bis, 7 bis A, 7 ter et 10. Toutefois, certaines autres dispositions qu'il a adoptées limitent considérablement la portée de la loi et expliquent que la commission mixte paritaire, qui se tenait ce matin même au Sénat, n'ait pas pu aboutir.
Le Sénat a notamment introduit une série de dérogations à l'interdiction de l'exploration et de l'exploitation des hydrocarbures, notamment une disposition prévoyant que les hydrocarbures liquides ou gazeux destinés à un usage non énergétique ne seront pas concernés par cette interdiction. Outre le fait qu'il semble difficile de s'assurer, en délivrant un permis, de l'usage qui sera fait des produits extraits, cette disposition contrevient à l'esprit du projet de loi, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le cinquième rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est très clair : il est nécessaire de renoncer à l'exploitation d'au minimum 80 % des ressources d'hydrocarbures pour limiter la hausse de la température à deux degrés à l'échelle mondiale, et ce quel que soit l'usage de ces hydrocarbures. Le Sénat veut nous faire croire que les usages non énergétiques ne seraient pas polluants. Or le raffinage et la pétrochimie comptent pour près de 3 % des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle européenne et 23 % des émissions issues de l'industrie.
Le projet de loi que nous examinons doit être ambitieux, à la hauteur du défi posé par le réchauffement climatique auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. Le 6 décembre 2015, lors de la COP21, le Sénat avait signé la résolution de l'Union interparlementaire, et y siégeaient 247 des 348 sénateurs actuels. Devant le monde entier, ils avaient alors « réaffirm[é] avec force [leur] préoccupation sur les conséquences du changement climatique et [leur] volonté d'en tenir compte dans les lois nationales et les forums parlementaires régionaux ». La position du Sénat est donc incompréhensible. Il nous reviendra aujourd'hui en commission des affaires économiques, demain en commission du développement durable, la semaine prochaine dans l'hémicycle, de rétablir l'ambition initiale du texte et d'assumer pleinement la responsabilité que nous avons vis-à-vis de la planète et vis-à-vis de nos enfants.
Un dernier mot sur les usages non énergétiques. Le caractère progressif de la sortie de l'exploitation des hydrocarbures à l'horizon 2040 doit permettre d'accompagner les entreprises et les territoires dans leur reconversion. Certes, aujourd'hui, les hydrocarbures sont utilisés dans des domaines dans lesquels les alternatives propres et économiquement viables ne sont pas encore toutes mises sur le marché, mais cela ne doit nous conduire ni à réduire la portée de la loi, ni à affaiblir le signal que nous envoyons à tous les autres États. Il est possible et nécessaire de soutenir et d'accélérer la recherche, publique et privée, le transfert de technologies, la mise sur le marché de produits plus vertueux, ainsi que le déploiement à grande échelle d'alternatives aux usages actuels des hydrocarbures. Comme l'a rappelé le ministre d'État Nicolas Hulot lors de l'examen du texte à l'Assemblée, « la contrainte n'est pas l'ennemie de l'innovation, elle en est bien souvent la condition ».
Ce projet de loi fera donc l'objet d'une nouvelle lecture dans chacune des deux chambres au cours des prochaines semaines.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner les articles pour lesquels la commission des affaires économiques a reçu une délégation au fond. J'ai déposé plusieurs amendements pour revenir, sur certains points, à la rédaction adoptée par l'Assemblée en première lecture ou pour trouver une troisième voie entre les dispositions adoptées par l'Assemblée et celles adoptées par le Sénat.
L'article 4, relatif au stockage de gaz, a été largement modifié au Sénat, qui a intégré, dans le corps de l'article, le contenu du projet d'ordonnance qui faisait l'objet d'une concertation entre les différents acteurs depuis l'été. Si le Sénat a pu le faire, c'est parce que la concertation avec les acteurs gaziers a bien avancé entre le début du mois d'octobre et le début du mois de novembre, parallèlement à l'examen parlementaire du projet de loi – plusieurs points techniques sont encore en discussion et renvoyés à des textes réglementaires. Dès lors, je suis favorable à l'idée de conserver cette nouvelle rédaction de l'article 4. Elle nous fait gagner du temps et nous assure que la réforme sera en place pour l'hiver 2018-2019, ce que notre commission appelle de ses voeux. La CMP n'ayant pu aboutir, le calendrier de la procédure accélérée étant fragilisé et le travail de concertation ayant bien avancé, il est préférable de conserver cette nouvelle rédaction.
L'article 5 porte sur la rémunération, par les gestionnaires de réseaux, des fournisseurs pour leurs prestations de gestion des clients en contrat unique. Je me félicite de l'adoption conforme de cet article, qui ne fait donc plus l'objet de discussions. Il permettra de sécuriser le dispositif du contrat unique. Confier à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) la définition des montants et niveaux de rémunération assurera une concurrence non biaisée entre fournisseurs, dans l'intérêt du consommateur d'énergie.
L'article 5 bis A confère à la CRE un pouvoir d'approbation des modèles de contrats d'accès aux réseaux conclus entre les gestionnaires de réseaux et les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel. Le Sénat n'a adopté qu'un amendement de précision technique. Cet article ne pose pas de difficulté.
L'article 5 bis porte sur l'éolien offshore. Le raccordement des éoliennes en mer ne sera plus, financièrement, à la charge du producteur mais sera réalisé par le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (RTE) sur ses propres fonds. Son coût sera couvert par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE). En première lecture, le Sénat a étendu à la partie terrestre du raccordement le régime d'indemnisation des producteurs d'énergie marine renouvelable, initialement prévu pour les avaries ou dysfonctionnements pouvant intervenir sur la seule liaison sous-marine de raccordement. Si cette modification renforce la portée de la réforme et contribue à la libération du potentiel de l'éolien offshore, elle introduit en revanche une insécurité juridique en raison de l'emploi de l'expression de « réseaux d'évacuation », applicable au raccordement de droit commun des sites de production terrestres. Créant donc deux régimes d'indemnisation possibles pour un même objet, elle serait source d'insécurité juridique. J'ai donc déposé un amendement pour y remédier, tout en renforçant les garanties apportées aux producteurs.
L'article 5 ter A est issu d'un amendement voté par notre commission en première lecture pour sécuriser juridiquement un nouveau schéma de distribution de l'électricité qui s'est développé dans certains immeubles depuis quelques années : un unique compteur est installé pour tout l'immeuble et un réseau intérieur, n'appartenant pas au réseau public de distribution d'électricité, achemine l'électricité à tous les occupants. Le Sénat a adopté une disposition qui restreint encore davantage la notion de réseau intérieur en la circonscrivant aux immeubles de bureaux – nous avions retenu la notion plus large de « bâtiments à usage tertiaire ». J'ai déposé un amendement qui, sans fragiliser le monopole de la distribution publique d'électricité, revient à la rédaction de l'Assemblée pour prendre en compte le fait que les bâtiments actuellement construits sont de moins en moins à mono-usage et peuvent être affectés simultanément à différentes activités du secteur tertiaire.
L'article 5 ter porte sur l'obligation, pour les fournisseurs, de faire figurer dans les offres de fourniture les proportions de gaz naturel et de biométhane dans le gaz proposé. Le Sénat a adopté une disposition prévoyant que l'information sur la proportion de biométhane dans le gaz proposé ne figurera que dans le cadre des offres dites « vertes » et non dans toutes les offres. Dans un souci de transparence, il semble souhaitable d'informer tous les consommateurs, et non uniquement ceux qui souscrivent volontairement une offre verte, de la part de biométhane contenue dans le gaz qu'ils consomment. J'ai déposé un amendement en ce sens.
Ce projet de loi sera discuté demain en commission du développement durable, et probablement le 29 novembre en séance publique.
Monsieur le président, chers collègues, votre rapporteure et le rapporteur de la commission du développement durable ont toujours abordé et continueront d'aborder ce texte dans un esprit de co-construction et d'ambition progressiste.