Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée de l'insertion, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il y a dans le c? ur des jeunes des éclats de rire, des amitiés indéfectibles, des passions amoureuses, des rêves, des envies d'ailleurs ou de révolte, de pavés ou de plage. Il y a dans le c? ur de cette jeunesse impétueuse, impatiente, exigeante, sévère, qui tant de fois par la rue s'est livrée à la défense de la liberté et à la justice, tout notre avenir. Mais au moment même où nous nous réunissons, il y a aussi dans ces c? urs de l'inquiétude et de la tristesse. Il y a sous les toits de Paris quelque soupente de misère où la jeunesse se désespère. À Bordeaux, à Dax, à Strasbourg, à Montpellier, de jeunes femmes et de jeunes hommes se sont levés ce matin sans avoir dîné, la nuit leur tenant lieu de repas. Dans nos villes, dans nos campagnes, certains ont rendu les clés de leur premier logement pour retourner vivre chez leurs parents, le rouge au front. Là, ils ont perdu leur job étudiant, ici, ils peinent à trouver ce premier emploi auquel ils aspirent tant. Ce soir, à l'heure du couvre-feu, des visages sans rides mais sans sourire viendront grossir les rangs des banques alimentaires.
Entendons-les. « C'est la première fois que je viens parce que ça commence à être la galère et que j'ai faim. » « Personnellement, il m'arrive souvent de ne pas manger. » « Je vole beaucoup dans les magasins, je ne peux pas manger sinon. » « Mon frigo est vide depuis lundi et ça commence à devenir difficile effectivement. » « Avant je travaillais tous les jours, et maintenant c'est deux à trois fois par semaine. » « Honnêtement, sans distribution alimentaire, je ne sais pas comment je ferais. » « J'ai perdu mon job, donc c'est un peu difficile. » « Je vis seul avec mes études, le matin, la journée, et le soir je me retrouve seul. » « J'ai eu pour la première fois une pensée suicidaire. » Leurs noms : Maïwenn, Hector, Augustin, Maya, Billel, Léa, Lisa et tant d'autres.
Souvenons-nous de l'espoir de nos vingt ans pour mieux saisir et mieux entendre leur désespoir aujourd'hui. Leurs souffrances sont les nôtres. En faisant résonner ce matin dans notre hémicycle l'écho de leur détresse et de leurs appels au secours, la représentation nationale doit leur assurer, leur témoigner, leur démontrer qu'ils ne sont ni des fantômes, ni des invisibles, mais des citoyens à part entière dont nous avons l'honneur exigeant d'être les représentants. Entendons-les.
Il y a deux ans déjà, le 31 janvier 2019, dans ce même hémicycle, Hervé Saulignac, qui rapporte cette proposition de loi avec moi, défendait en notre nom le travail méticuleux, patient et déterminé de dix-neuf départements socialistes autour de Jean-Luc Gleyze, visant à expérimenter le revenu de base. Alors que la crise sociale grondait déjà, nous voulions proposer, nous voulions débattre, diagnostic contre diagnostic, propositions contre propositions, valeurs contre valeurs. Nous nous étions alors heurtés à votre refus de simplement discuter. Que de temps perdu !
Nous voici, le 18 février 2021, au mitan d'une crise considérable, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale. D'ordinaire plus touchée que toute autre génération par le chômage, par la grande pauvreté, par le mal logement, la voici, cette jeunesse, frappée plus encore par la crise économique et sociale que charrie la pandémie derrière elle. La réalité nous alarme. Avec les difficultés financières s'accroissent les difficultés à se nourrir, à se loger, à se soigner, à poursuivre des études, à accéder à un stage ou à un premier emploi. Le présent devient pesant et l'avenir incertain.
La jeunesse s'enfonce dans la précarité et a le sentiment, parfois, de l'indifférence des adultes. Être jeune est une épreuve, un rite initiatique qui peut être cruel, mais quelle est donc cette nation étrange qui fixe la majorité pénale de fait et la majorité civique à 18 ans, mais qui, sur le plan social, fait attendre ses jeunes jusqu'à 25 ans ? N'est-il pas temps de revenir de ce truisme si souvent partagé : la jeunesse doit en baver et ses devoirs passent avant ses droits ?
Alors, nous revoici dans ce moment où l'histoire nous regarde. Avec cette proposition d'aide individuelle à l'émancipation, avec ce minimum jeunesse, comme l'écho lointain du minimum vieillesse que la nation a su instituer en 1956 et qui permit de sortir tant de nos aînés de l'indigence et de la nécessité, nous proposons de répondre à l'urgence autant qu'à l'aspiration à l'égalité et à l'émancipation dans notre pays.
Nous proposons d'abord le revenu de base, c'est-à-dire la fusion du RSA – revenu de solidarité active – et de la prime d'activité fondée sur trois principes simples : un droit nouveau, ouvert à 18 ans, un droit inconditionnel, un droit automatique.
Ce droit sera ouvert à 18 ans comme dans vingt-trois des vingt-sept pays de l'Union européenne. Il s'agit de mettre fin à une frontière inique, inefficace et infantilisante : 18 ans au nom de la justice sociale et de l'égalité républicaine, 18 ans au nom de l'émancipation comme filet et comme tremplin pour que convergent désir d'autonomie et aspiration à l'indépendance, 18 ans au nom de la lutte contre la grande précarité, 18 ans au nom de la confiance que nous faisons à nos enfants, au nom d'un rapport renouvelé de la nation à sa jeunesse.
Ce droit sera inconditionnel ensuite au nom du sens profond de la protection sociale et de la nécessité d'un accompagnement social de haut niveau pour « aller vers », pour « amener à », dans l'esprit de la garantie jeunes à laquelle nous sommes particulièrement attachés et avec laquelle nous articulons notre dispositif. Nous voulons l'accompagnement plus que le contrôle : l'accompagnement est un droit et doit être un droit effectif.
Ce droit sera aussi inconditionnel parce qu'aucune étude au monde, aucune expérimentation, nulle part, – Esther Duflo, lauréate française du prix Nobel d'économie, le rappelle régulièrement – n'a jamais fait la démonstration de la moindre désincitation à la recherche d'un emploi. Il nous faut revenir de ce fantasme de l'assistanat et de cette idée que la bouée entraînerait par le fond celui à qui on la jette. Tout cela est faux. Affirmons avec Jaurès qu'« une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin ».
Ce droit sera automatique enfin car nul ne peut supporter que 25 % de Français ne demandent pas à faire valoir leurs droits, faute parfois même de les connaître, et s'enfoncent dans l'extrême pauvreté.
Mais notre proposition, c'est aussi une dotation universelle en capital de 5 000 euros ouvrant le compte personnel d'activité à tous les jeunes à dix-huit ans pour que démarrer dans la vie ne soit pas le privilège de quelques-uns ; 5 000 euros pour consolider ou reprendre une formation ; 5 000 euros pour régler une difficulté de mobilité : passer son permis, faire l'acquisition d'un premier véhicule alors qu'un Français sur cinq a dû refuser une offre d'emploi faute de solution de mobilité ; 5 000 euros pour un projet d'engagement associatif national ou international…