Intervention de Gérard Collomb

Réunion du mardi 11 juillet 2017 à 15h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérard Collomb, ministre d'état, ministre de l'intérieur :

C'est pour moi un redoutable honneur que d'être auditionné par la commission des Lois de l'Assemblée nationale, qui compte parmi ses membres quelques spécialistes de la question, ancien ministre, rapporteurs ou spécialistes de l'action.

Pour ma part, c'est en tant que maire d'une grande ville et président d'une grande métropole que j'ai, avant de devenir ministre, eu à traiter des questions de sécurité. Ce sont à mes yeux des sujets évidemment essentiels, qui constituent, avec le chômage, l'une des premières préoccupations des Français. Il s'agit d'ailleurs de problèmes liés l'un à l'autre, car la paupérisation, voire la ghettoïsation de certains de nos quartiers, créent des déséquilibres propices à l'insécurité.

C'est la raison pour laquelle éradiquer cette dernière passera non seulement par l'action du ministère de l'intérieur mais également par des mesures en faveur de l'emploi, du logement ou, plus globalement, de lutte contre les fractures sociales, qu'on peut aujourd'hui assimiler dans notre pays à des fractures spatiales.

Notre première priorité est la lutte contre le terrorisme, qui justifie que nous ayons prorogé l'application de la loi relative à l'état d'urgence et que le Sénat, en ce moment même, examine la loi comportant les mesures qui nous permettront, hors des dispositions strictes de l'état d'urgence, de ne pas baisser la garde.

Comme je l'ai déclaré en séance publique, la menace terroriste qui pèse sur nous reste importante, ainsi qu'en témoignent les attentats de Londres et de Manchester et, en France, la mort du policier Xavier Jugelé, l'attentat de Notre-Dame ou la tentative avortée contre l'escadron de gendarmerie sur les Champs-Élysées.

Les informations dont je dispose font état de sept attentats déjoués depuis le début de l'année, de seize en 2016, et ce dans un contexte de radicalisation endogène de plus en plus difficile à déceler.

C'est la raison pour laquelle il nous faut soutenir l'action continue de nos services. Dans cette optique, depuis les attentats de 2015, le Gouvernement précédent a considérablement augmenté les effectifs du renseignement : ainsi, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui comptait 3 300 personnes en 2014, en comptera 4 480 à la fin de 2017. Dans le même temps, les services de renseignement territorial se sont étoffés de 650 personnes au cours des trois dernières années, soit une augmentation sensible de l'ensemble des services, en termes non seulement quantitatifs mais également qualitatifs, grâce à l'embauche de profils spécialisés dans le hacking ou le cyber-terrorisme.

C'est également la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité réorganiser le renseignement, avec la mise en place de cette task force qu'est la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, de manière à pouvoir mieux coordonner l'ensemble de nos services, qu'ils dépendent du ministère de l'intérieur ou du ministère des armées.

Pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur, j'ai constaté que l'organisation « en silos » nuisait à la communication entre les uns et les autres. Nous proposerons donc prochainement la fusion de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et de l'État-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), pour remédier à l'empilement de dispositifs qu'ont entraîné ces dernières années les réorganisations successives du renseignement.

Pour le reste, je poursuis mes consultations, avec l'idée que, même s'il y a eu trois réformes en dix ans, il ne faut rien nous interdire.

En effet, il subsiste dans notre organisation certains dysfonctionnements, comme l'a montré la tentative d'attentat sur les Champs-Élysées le 20 avril 2017 : comment se fait-il qu'un individu « fiché S » et inscrit au Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ait pu détenir des armes ? Je rendrai compte demain devant le Conseil de défense et le Président de la République des conclusions de notre enquête, à l'issue de laquelle nous avons pris un certain nombre de mesures pour que de tels faits ne puissent plus se reproduire.

En consultant l'ensemble des fichiers, nous nous sommes aperçu que parmi les personnes disposant d'un permis de port d'armes, 90 étaient fichées. J'ai donc immédiatement envoyé aux préfets une circulaire leur demandant de réévaluer ces cas. Aujourd'hui, c'est chose faite, et il n'y a plus aucun cas problématique.

À l'avenir, nous souhaitons pouvoir élargir la consultation du FSPRT à toutes les demandes d'autorisation d'exercice de postes sensibles – policiers et gendarmes, agents de sécurité privés, employés de certains sites –, pour éviter la présence au sein de ces personnels d'individus potentiellement radicalisés.

Plus largement, la lutte contre le terrorisme est l'affaire de toute la société, l'État, les collectivités, mais aussi les entreprises et les associations, comme l'ensemble des citoyens.

Un plan national de lutte contre la radicalisation avait été lancé par le précédent Gouvernement ; il est en train d'être évalué.

Quant au projet de loi qui doit nous permettre de sortir de l'état d'urgence, les mesures qu'il comporte s'organisent autour de quatre grandes exigences : pouvoir sécuriser les périmètres de protection des événements culturels et sportifs ; pouvoir fermer des lieux de culte où sont proférés des propos incitant à la violence ou à la commission d'actes terroristes ; pouvoir prendre des mesures de surveillance contre des personnes en lien avec des organisations terroristes, présentant une menace « d'une particulière gravité », sans qu'il s'agisse de simplement transposer dans le droit commun les assignations à résidence effectuées dans le cadre de l'état d'urgence, mais en ayant recours à des dispositifs qui permettent d'assurer la sécurité tout en garantissant les libertés individuelles ; pouvoir enfin continuer les visites et saisies décidées par le préfet après information du procureur de la République et, afin de garantir les libertés, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) près le tribunal de grande instance (TGI) de Paris.

En ce qui concerne le plan national de lutte contre la radicalisation, alors que le Sénat rendra demain sur le sujet un rapport dont j'ignore les conclusions, nos premières évaluations montrent que d'excellentes choses ont été faites, notamment sur le terrain, grâce à des associations spécialisées dans l'action sociale. Il n'empêche que des subventions ont également été versées à des associations dont le travail ne s'est pas révélé satisfaisant, voire a pu être contreproductif. Nous veillerons à ce que cela ne se reproduise pas. Nous évaluons également les résultats obtenus dans le centre de déradicalisation qui avait été ouvert à Pontourny mais n'accueille plus personne aujourd'hui, afin de juger de la pertinence d'une telle expérience et d'appliquer, le cas échéant, d'autres méthodes.

Au-delà du terrorisme, notre politique s'orientera vers la lutte contre l'insécurité en général. En effet, malgré l'action résolue des services de police et de gendarmerie, elle demeure dans notre pays à un niveau extrêmement élevé.

Cela vaut d'abord pour la criminalité organisée et les trafics d'armes ou de stupéfiants. Dans certains de nos quartiers sensibles, les affrontements pour le contrôle de ces trafics ne cessent d'augmenter en violence : j'en veux pour preuve les 24 victimes de règlements de comptes entre bandes recensées depuis le début de l'année.

Ces infractions se concentrent dans certaines zones géographiques – que je ne citerai pas pour ne pas les stigmatiser –, et c'est sur ces territoires que doivent plus particulièrement porter nos efforts. Je voudrais à cet égard saluer ici l'action des deux derniers préfets de police de Marseille, qui ont accompli un travail formidable, lequel a permis de démanteler au total 79 réseaux criminels, d'écrouer 319 personnes et de saisir 5 millions d'euros et 1,5 tonne de stupéfiants.

Cela vaut également pour la délinquance ordinaire, qu'il faut précisément empêcher de dériver vers la grande délinquance que j'évoquais à l'instant.

Si on observe une stabilisation des cambriolages et une baisse du nombre de vols de véhicule, on observe également une croissance des vols avec arme, des vols sans violence, mais également des violences physiques, la moitié de ces dernières étant des violences intrafamiliales. Chaque année enfin, la délinquance se matérialise pour nos concitoyens à travers les chiffres suivants : 550 000 ménages touchés par un cambriolage, 250 000 vols de voiture, 240 000 vols commis avec violence, 1,8 million d'actes de vandalisme et 700 000 personnes victimes de violences physiques.

Enfin, il y a les incivilités du quotidien, qui font que l'on craint parfois de rentrer chez soi le soir ou, lorsqu'on est une femme, de prendre les transports en commun. Cette toute petite délinquance nourrit largement le malaise démocratique dans notre pays.

Lutter contre toutes ces formes d'insécurité suppose de renforcer les moyens de nos forces de sécurité intérieure. Au cours de la période précédant 2012, 12 500 postes avaient été supprimés ; 9 000 ont été recréés ces trois dernières années. Au total, les effectifs restent donc inférieurs à ce qu'ils étaient avant 2007 : selon cette arithmétique, il nous manque 633 postes dans la police, sachant que, compte tenu du renforcement des forces affectées à la lutte contre le terrorisme, les commissariats sont en sous-effectifs. 3 000 gendarmes ont également disparu, ce qui a eu pour conséquence la fermeture de gendarmeries et le relâchement de notre maillage territorial. Sur les cinq prochaines années, nous créerons donc 10 000 postes, qui viendront renforcer les forces de police et de gendarmerie, ainsi que les personnels affectés à la lutte contre le terrorisme.

Si nos policiers et nos gendarmes ont besoin de moyens en personnel, il leur faut aussi des moyens techniques. Deux programmes numériques ont ainsi été mis en place, NEOGEND pour la gendarmerie, et NEOPOL pour la police, qui donnent à nos forces de sécurité des outils numériques leur permettant d'accéder aux fichiers sans revenir au commissariat ou à la brigade, ce qui raccourcit les contrôles et les rend plus efficaces. Ces outils devraient permettre demain le paiement des amendes, et donc la forfaitisation des petits délits.

La numérisation qui n'en est qu'à ses débuts dans la police est beaucoup plus avancée dans la gendarmerie : 10 000 gendarmes sont aujourd'hui équipés de NEOGEND. Notre ambition est qu'à la fin de l'année, 97 000 gendarmes ou policiers en soient équipés. En effet, les forces de sécurité de demain doivent être des forces connectées. Il faudra également rénover commissariats, casernes et gendarmeries qui, pour certains, sont largement vétustes. Des lignes de crédits seront déconcentrées à cet usage, car les préfectures sont mieux aptes à gérer ces questions que l'administration centrale.

Au plan général, nous voulons aussi agir sur le court terme, pour accroître l'effectivité de la réponse pénale.

J'ai évoqué la forfaitisation de la répression de certaines infractions. Aujourd'hui, on dénombre 175 000 interpellations liées au cannabis, mais seulement 40 000 condamnations, dont la plupart sont de simples rappels à la loi ou des amendes de faible montant. Le système est donc non seulement assez peu répressif mais de surcroît très chronophage pour les forces de sécurité, puisque le temps qu'elles consacrent à l'établissement des procédures a été chiffré à 1,2 million d'heures. D'où notre souhait d'instaurer une amende forfaitaire, tout en conservant la possibilité d'un placement en garde à vue – il ne s'agit donc nullement de dépénaliser le cannabis.

Nous réfléchissons également à la mise en place d'une interdiction de paraître, grâce à un dispositif simplifié et rapide qui permette d'exclure temporairement des individus causant des troubles importants à l'ordre public dans leur quartier. Rien n'est plus pénible en effet pour des personnes ayant porté plainte que de constater que cela a été sans effet sur le fauteur de troubles.

Nous nous sommes aussi efforcés de faire le bilan des précédentes réformes du code de procédure pénale. La transposition en droit français d'un certain nombre de mesures adoptées au plan européen a beaucoup complexifié la tâche des policiers, en particulier dans la police judiciaire. À la fin de l'année 2016, 2 500 officiers de police judiciaire (OPJ) ont sollicité le retrait de leur habilitation car ils estimaient ne pas avoir les moyens de travailler, se disant écrasés par la lourdeur des procédures.

La loi du 3 juin 2016, très souvent mise en cause, peut avoir sa part dans les difficultés et l'allongement des procédures, mais elle offrait aussi des possibilités de simplification qui n'ont pas toujours été utilisées sur le terrain. Nous voulons donc en faire une évaluation très précise.

Le décret du 7 septembre 2016 a par ailleurs introduit des mesures de simplification dont il faut pouvoir tirer pleinement profit. Il s'agit en particulier de la possibilité offerte aux enquêteurs de relater dans un procès-verbal unique l'ensemble des opérations effectuées lors d'une enquête, en assouplissant ainsi la règle : « un acte, un procès-verbal », ou encore de la possibilité de recourir à des plateformes de soutien logistique à la garde-à-vue, qui permettent de décharger l'OPJ de la recherche d'un médecin, d'un avocat ou d'un interprète. Des expérimentations sont en cours au TGI de Nanterre et à la cour d'appel de Colmar, mais il faut que cela entre en pratique dans toutes les grandes villes.

Enfin, des instructions de la Chancellerie ont proposé aux procureurs de délivrer, en enquête préliminaire, des autorisations permanentes pour réaliser certaines perquisitions. Une évaluation est en cours à la chancellerie sur ce point.

Nous souhaitons également aller plus loin dans le cadre d'une réflexion engagée avec la garde des Sceaux : nous allons mettre en place dans les prochains jours une commission commune au ministère de l'intérieur et à celui de la justice en vue de travailler sur plusieurs grands chantiers, notamment le renforcement de la dématérialisation des procédures.

Cela suppose de lever des obstacles techniques, dont certains peuvent être propres au ministère de l'intérieur : les policiers et les gendarmes ne possèdent pas les mêmes types de logiciels, ce qui peut poser quelques problèmes entre les services ; mais l'institution judiciaire n'a pas non plus les outils permettant une véritable communication et des échanges de données rapides et sécurisés. Nous devons donc avancer dans cette direction. Il faut également mettre en place une signature électronique, comme d'autres pays l'ont fait, pour que l'on puisse échanger de manière sécurisée au cours d'une procédure pénale et supprimer certains papiers.

Cela suppose aussi d'investir, notamment afin de doter chaque service de police et de gendarmerie de matériel de visioconférence afin d'éviter des transferts inutiles.

Nous souhaitons par ailleurs généraliser le système des caméras-piétons pour enregistrer certains face-à-face, ce qui permettra non seulement d'éviter que des situations ne dégénèrent, mais aussi d'assurer la protection du policier en montrant qu'il a agi conformément aux lois. C'est « gagnant-gagnant » pour la police et la population qui aura davantage confiance dans son action.

Enfin, comme je l'ai dit, nous lancerons une réflexion plus globale sur la refonte du code de procédure pénale. Les pistes de réflexion sont actuellement l'allégement des contraintes pour les contentieux de masse, l'oralisation de certaines procédures et la simplification des cadres d'enquête. Certains OPJ estiment qu'il est aujourd'hui un peu compliqué de savoir dans quel cadre d'enquête ils doivent se placer et des procédures sont annulées par la justice, ce qui donne à nos concitoyens le sentiment que les faits incriminés ne font pas en réalité l'objet de sanctions.

Voilà résumées en quelques mots, mesdames et messieurs les députés, les priorités qui guideront notre action durant ce quinquennat. La sécurité, sur laquelle nous devons progresser, doit être un sujet très largement transpartisan. Les Français qui s'en inquiètent ne sont pas de gauche ou de droite, ni « en marche ». Ils sont tous sensibles au problème du terrorisme et à celui de la sécurité quotidienne.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

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