Intervention de Christine Pires Beaune

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 21h00
Fiscalité des droits de succession et de donation — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune, rapporteure de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Selon une enquête menée en 2017, les Français jugent très défavorablement l'impôt sur l'héritage ; ils étaient même 87 % à déclarer que cet impôt devrait diminuer pour favoriser les transmissions aux enfants. Le plus étonnant, c'est que cette hostilité varie peu selon les revenus, les espérances d'héritage, ou le fait d'avoir ou non bénéficié d'un héritage ou d'une donation. Elle est même plus faible chez les personnes possédant des diplômes élevés.

Pourtant, 65 % des successions sont exonérées de tout impôt.

C'est dire la profondeur du malentendu qui entoure la fiscalité des successions et des donations, qui est surestimée, et par conséquent rejetée, par ceux-là même qu'elle ne concerne pas.

Nous sommes entrés, depuis trente à quarante ans, dans une nouvelle phase de croissance des inégalités, dans laquelle le patrimoine transmis joue un rôle très important. Alors que les inégalités dans la distribution des patrimoines privés avaient fortement diminué sous le coup des deux guerres mondiales et des décennies de croissance et d'inflation qui ont suivi la Libération, c'est désormais la tendance inverse qui s'affirme. Entre 1998 et 2015, le patrimoine des Français a doublé, mais la part détenue par les 20 % les moins dotés a diminué. Cette tendance s'explique par des évolutions économiques : le rapport, dans la valeur ajoutée, entre capital et travail tend à se déformer au détriment du second, et le contexte de politique monétaire accommodante tire à la hausse les prix des actifs, enrichissant les possédants. Entre 1980 et 2015, la valeur réelle du revenu disponible des ménages français a augmenté de 77 %, tandis que leur patrimoine était multiplié par trois. Si rien n'est fait, le prolongement de ces tendances lourdes nous ferait revenir à une société d'héritiers comparable à celle de la Belle Époque, lorsque le centième le plus riche de la population possédait, en France, 60 % de la richesse nationale.

En outre, le vieillissement de la population française contribue à accentuer ces inégalités en concentrant le patrimoine parmi les classes d'âge les plus avancées dans la vie. Du seul fait de l'évolution de la structure de la population et de l'augmentation du taux de mortalité, la part des transmissions annuelles dans le revenu disponible net des ménages devrait passer de 19 % aujourd'hui à plus de 25 % en 2050.

Notre système fiscal apparaît largement inadapté au défi économique, social et démocratique que représente ce retour en force de l'héritage. C'est un système complexe et daté, dont les principes ont été fixés par une loi de 1901 qui a instauré une imposition progressive des successions selon plusieurs barèmes, s'appliquant selon le degré de proximité familiale entre le donateur ou le défunt et le bénéficiaire. C'est aussi un système qui incite faiblement aux donations aux jeunes générations, ou plutôt il y incite surtout pour les plus aisés grâce au renouvellement périodique des abattements.

Ensuite, il présente d'importantes brèches permettant aux plus gros patrimoines d'échapper à l'impôt, grâce notamment au régime d'exception dont bénéficie l'assurance-vie – vous le savez, l'assurance-vie n'est pas soumise aux droits de succession, sauf pour les primes versées après 70 ans. Pour le reste, seules les primes versées depuis 1998 sont fiscalisées, à travers un prélèvement spécifique très avantageux au taux de 20 % pour les premiers 700 000 euros et de 31,25 % au-delà, le tout après un abattement, également très généreux, de 152 500 euros par bénéficiaire. Je rappelle d'ailleurs que cinquante-six de nos collègues du groupe Dem avaient, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, tenté de réformer ce régime avantageux, par un amendement que nous avions soutenu mais qui a malheureusement été rejeté.

Cette exclusion de l'assurance-vie du droit des successions, si elle a pu trouver une justification dans le passé, n'est plus acceptable alors que l'assurance-vie est devenue un pur produit de placement bien plus qu'une opération de prévoyance. On pouvait comprendre cette exclusion quand il s'agissait, en réalité, d'une assurance décès, dont le souscripteur ne pouvait en aucun cas disposer ; mais c'est aujourd'hui un produit d'épargne, qui a perdu son caractère aléatoire. À la suite d'une procédure similaire à notre question prioritaire de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle belge a d'ailleurs censuré des dispositions équivalentes aux nôtres, au motif qu'elles ne respectaient pas le principe d'égalité entre les héritiers.

Cette exclusion du droit des successions est d'autant plus inacceptable que l'assurance-vie concentre plus de 1 800 milliards d'euros. Il est en outre faux de dire que ce régime favorise l'investissement dans les entreprises, puisque près de 80 % des encours sont placés sur des fonds en euros non risqués – et tout cela sans compter l'importance de l'évasion fiscale, dont l'affaire OpenLux vient, après d'autres, nous rappeler l'ampleur. Les encours de l'assurance-vie sont, de surcroît, répartis de manière très inégalitaire : les 10 % de la population française les mieux dotés en patrimoine brut en possèdent plus de 65 %, et le 1 % le mieux doté en possède 32 %. À l'inverse, les 70 % les moins bien dotés en possèdent moins de 14 %. L'assurance-vie est donc bien un produit d'optimisation massive au bénéfice des plus riches.

Enfin, notre fiscalité des transmissions est inéquitable en ce qu'elle favorise à l'excès les transmissions au sein de la famille nucléaire. Le tarif applicable entre parents jusqu'au quatrième degré est de 55 % après un abattement très réduit, et celui entre parents au-delà du quatrième degré et entre personnes non parentes est de 60 %. De tels taux ne sont pas justifiés pour des montants qui peuvent être modestes, voire très modestes, et ne sont plus adaptés aux nouvelles formes de familles et à l'individualisme croissant de nos sociétés.

Ces difficultés, avec l'évolution du contexte économique de long terme, expliquent que notre système fiscal soit aujourd'hui inadapté et impuissant face à la montée des inégalités à laquelle nous assistons.

La proposition de loi que présente ce soir le groupe Socialistes et apparentés, rejoint par des collègues d'autres groupes que je tiens ici à remercier, vise à rétablir plus d'égalité dans la répartition du patrimoine, entre les générations, entre les individus et les familles, et entre riches et pauvres.

Elle rompt avec la logique familiale inspirée du droit civil pour instituer un barème fiscal unique pour tous les individus et toutes les transmissions. Cette simplification radicale permet d'améliorer l'égalité entre nos concitoyens. Un abattement individuel unique, à vie, serait instauré, d'un montant de 300 000 euros : ce que chacun pourrait recevoir au cours de sa vie en franchise de tout droit.

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