Je remercie les membres du groupe socialiste, en particulier Mme Pires Beaune, pour cette proposition de loi. La question des droits de succession est en effet un sujet politiquement sensible, source première de reproduction des inégalités. L'héritage touche également à la volonté de transmission d'un patrimoine à ses descendants. Ce débat se pose indéniablement en termes économique, philosophique et de justice sociale. Il est sensible donc, et très paradoxal : alors que la fiscalité sur les successions ne concerne que 35 % des héritages pour un taux inférieur à 3 %, elle reste sans doute l'impôt le plus impopulaire.
Comme les auteurs de la proposition de loi, nous remarquerons la diminution, ces dernières années, de la fiscalité du capital, notamment sous le double effet de l'introduction d'un prélèvement forfaitaire unique de 30 % et de la suppression de l'ISF sur les valeurs mobilières. De ce fait, les conditions d'un creusement des inégalités ont été créées. Les chiffres sont là : les 10 % les plus riches perçoivent 50 % du volume annuel des transmissions, tandis que les 50 % les plus pauvres n'en reçoivent que 7 %. Ainsi, plusieurs travaux récents d'économistes ont montré que l'héritage pèse de plus en plus lourd dans l'hyper-concentration des richesses. Parallèlement, de multiples niches, abattements, dispositifs spéciaux se sont accumulés. L'imposition des successions est devenue complexe et suscite de nombreuses critiques. La réforme de la fiscalité des droits de succession et de donation apparaît donc aujourd'hui nécessaire.
En 2016, Emmanuel Macron, alors candidat, déclarait : « Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF. » En septembre 2018, le délégué général de la République en marche de l'époque, Christophe Castaner, avait souhaité ouvrir une réflexion sans tabou sur la fiscalité des successions, une audace à laquelle Emmanuel Macron mit un terme en indiquant que, lui Président, on ne toucherait pas à cet impôt. Cette fin de non-recevoir n'a pour autant pas éteint le débat. On pourrait citer les notes de France Stratégie ou, plus récemment, une tribune de députés de La République en marche parue dans Le Journal du dimanche.
Si la philosophie générale de la présente proposition de loi va dans le bon sens, apportant simplification et justice, nous considérons qu'il est impossible de réformer les DMTG en s'exonérant d'une réflexion sur l'ensemble de la fiscalité du patrimoine. Je pense à l'IFI ou à une partie de l'impôt sur le revenu. Comme l'a indiqué notre collègue Charles de Courson en commission, en France nous cumulons deux fiscalités : un impôt annuel à taux fixe sur le capital et des droits de succession. Il faut pourtant choisir ou au moins mieux les articuler, ce qui n'est pas le cas actuellement.
C'est dans cette perspective qu'en 2019, dans notre contribution écrite à la Lettre aux Français, le groupe Libertés et territoires proposait de refonder l'imposition du patrimoine et les droits de succession. Elle laissait le choix aux Français : soit ils paient un impôt sur la détention du patrimoine à partir d'un certain seuil sans aucun impôt sur les successions, soit ils ne le paient pas en contrepartie d'une imposition lors de la transmission de leur patrimoine. Une solution mixte consisterait alors à considérer que l'impôt sur la détention viendrait en déduction de l'impôt sur la transmission. Une telle réforme serait associée à un transfert d'une partie de la fiscalité du patrimoine et des successions aux collectivités, notamment en Corse et en outre-mer en raison des spécificités sociales et historiques relatives au foncier et à des situations d'indivis considérables.
La proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste fait un autre choix. Les deux mesures phares, le rappel fiscal à vie et l'abattement unique de 300 000 euros, sont stimulantes. Cependant, elles font fi de la proximité des liens familiaux. Quant à l'alignement de la fiscalité de l'assurance-vie sur le droit commun, son impact et ses effets économiques mériteraient sans doute une étude plus approfondie.
Notons, pour conclure, que ce texte a le mérite de susciter ici un débat sur une question qui, je le sais, divise la majorité. Compte tenu de l'état dégradé de nos comptes publics, et quoi qu'en dise le Gouvernement, nous ne pourrons faire l'économie de ces débats dans les mois et les années à venir. C'est un impératif budgétaire et un impératif de solidarité.