Je tiens tout d'abord à féliciter la rapporteure pour cette proposition de loi. La fiscalité de la succession reste largement méconnue de nos concitoyens et a mauvaise presse dans l'opinion. Nous y sommes rarement confrontés sinon lors du décès d'un proche, quand les questions matérielles pèsent très peu face à la peine ressentie. Nous vous rejoignons, madame la rapporteure, sur la nécessité de réformer les frais de succession en raison de l'allongement de l'espérance de vie et des conséquences que cela entraîne en termes de dépendance et de recul de l'âge de l'héritage. C'est un sujet important dont il faudra s'occuper sérieusement dans les temps à venir.
Plusieurs raisons nous poussent toutefois à nous opposer à ce texte, en premier lieu le manque de visibilité budgétaire d'une telle réforme. Alors que les droits de mutation à titre gratuit produisent 12 milliards d'euros s'agissant des successions et 3 milliards en ce qui concerne les donations, les conséquences budgétaires de la réforme que vous nous proposez ne sont pas évaluées. Nous ne vous en tenons pas rigueur tant nous savons combien il est difficile pour les parlementaires que nous sommes d'accéder à des données complètes, partant plus difficile encore de proposer des évaluations dynamiques de nos propositions. Toutefois, au regard des enjeux budgétaires, nous estimons que si le débat doit être mené dès aujourd'hui, nous ne pouvons raisonnablement légiférer après quelques heures de discussion.
Plus fondamentales sont nos différences d'analyse. Vous vous inquiétez des inégalités intra-générationnelles, avec raison, mais vous écartez totalement la question des inégalités inter-générationnelles. Pire encore, votre proposition de rappel fiscal à vie risque de les renforcer en désincitant fortement les donations, alors que c'est le contraire qu'il convient de faire : réduire la durée de la période de rappel et augmenter les plafonds d'abattement en cas de donations, notamment aux petits-enfants. En effet, la faible circulation du patrimoine entre générations est un des problèmes que nous rencontrons. Les détenteurs du patrimoine vivant de plus en plus longtemps, lorsqu'ils décèdent leurs héritiers ont plus de 50 ans, un parcours professionnel déjà bien avancé et sont bien souvent déjà propriétaires, alors que les besoins professionnels, familiaux et immobiliers de la classe d'âge plus jeune se heurtent au manque de liquidités et à un coût de l'immobilier élevé. Les économistes ont démontré par ailleurs que les donations ont un effet positif sur la création et la reprise d'entreprise et donc sur l'emploi, surtout quand le donataire a moins de 35 ans, alors que les successions s'ouvrent bien souvent plus tard.
Vos propositions en matière d'assurance-vie sont tout aussi intéressantes, les sommes investies en assurance vie restant de façon prédominante placées en fonds euros en capital garanti. Le régime de l'assurance-vie porte ainsi atteinte aux objectifs de financement de l'économie. Nous partageons votre constat, mais là encore nos réponses divergent. Vous entendez soumettre l'ensemble des encours d'assurance-vie au barème des droits de mutation alors que je pense qu'en la matière, nous devons faire preuve d'un peu plus de subtilité. De nombreuses mesures ont été votées ces dernières années, notamment dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, pour favoriser l'utilisation des sommes placées en assurance vie pour mieux financer l'économie au travers d'instruments comme le fond euros-croissance. Les unités de compte s'imposent de plus en plus dans les contrats. De même, l'augmentation des unités de compte labellisées « investissement social responsable » indique une dynamique positive en termes d'orientation des sommes épargnées en assurance vie.
La réforme des règles successorales en matière d'assurance-vie est probablement nécessaire à moyen terme, mais ce que vous proposez – un régime uniforme, que les sommes soient placées en fonds euros ou en fonds de compte – , il faudra probablement préférer un régime différencié selon que l'épargne sera dirigée vers l'économie productive ou non. Mais ce changement ne pourra intervenir qu'à moyen terme : ce n'est pas en période d'instabilité qu'il faut revoir la fiscalité de ce produit. Ne reproduisons pas les erreurs de 2011-2013. L'urgence est au contrôle de la crise sanitaire et à la relance de l'économie. N'inquiétons pas les Français, quand il faut au contraire leur rendre confiance en l'avenir.
Enfin notre famille politique est attachée à ce que représente la famille et donc aux règles de dévolution successorale issues du code civil. Cette proposition de loi pose de bonnes questions mais en défendant une vision erronée de la famille et des besoins de l'économie, elle manque l'essentiel. C'est pour cette raison que le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés s'opposera à cette proposition de loi.