La question européenne est plus que jamais d'actualité au regard de la grave crise sanitaire que l'ensemble des pays européens traverse. En France, nous avons souvent la regrettable habitude de regarder l'Europe d'un ? il lointain ou soupçonneux. Nous admettons à bas mots ses bienfaits, mais nous sommes prompts à critiquer ses imperfections. Nous paraissons éloignés de l'Europe alors qu'elle agit pourtant très souvent sur notre quotidien.
Je parle ici en tant que députée mosellane, un territoire qui, comme chacun le sait, a connu les soubresauts de l'histoire, un département jadis écartelé entre la France et l'Allemagne et qui vit aujourd'hui pleinement l'intégration européenne au sein d'un bassin de vie transfrontalier. Chez nous, l'Europe n'est pas une question théorique, ni un concept flou, ni même un thème lors d'une conférence à Bruxelles, c'est notre vie de tous les jours, la possibilité de nous déplacer par-delà les frontières sans restriction, d'échanger, de coopérer, de vivre avec nos voisins. Les frontières, chers collègues, c'est bien simple : chez nous, elles n'existent pas ou, pour être tout à fait exacte, elles n'existaient plus jusqu'à l'apparition de la covid-19.
J'entends témoigner de ce qui se passe lorsqu'on remet en cause les acquis européens. Pendant le premier confinement, les autorités allemandes avaient brutalement fermé les frontières entre la Moselle et l'Allemagne. Notre bassin de vie commun s'est soudainement retrouvé coupé en deux : plus de possibilité d'aller travailler en Allemagne, d'aller se faire soigner, d'y faire ses courses, d'aller voir ses amis, sa famille. Une grande colère s'est emparée de la population, la défiance entre Allemands et Français s'est installée et les démons du passé ont brièvement ressurgi. Ce sentiment de colère, monsieur le ministre, je ne vous cache pas qu'il est de nouveau présent ces derniers jours. L'idée d'imposer la réalisation de tests PCR de moins de quarante-huit heures, y compris pour nos travailleurs frontaliers et pour les enfants scolarisés, pour entrer en Allemagne suscite beaucoup d'inquiétude et d'incompréhension. Les meilleures intentions peuvent engendrer les pires conséquences. L'Europe, pourtant, est une source inépuisable de solidarité en temps de crise. Je rappelle que nos amis allemands ont accueilli des malades français dans leurs services de réanimation pour éviter la saturation de nos hôpitaux. Grâce à eux, plusieurs dizaines de patients français ont ainsi été sauvés au printemps dernier. C'est ça, pour moi, la solidarité européenne !
J'entends, ici et là, certains qui affirment que la France vaccinerait mieux et plus vite si elle se débrouillait seule. Le Rassemblement national manie ici l'art de la désunion et de la désinformation mieux que personne.
Refaisons l'historique, chers collègues. Pourquoi avons-nous laissé la Commission européenne centraliser les commandes de vaccins ? Précisément pour ne pas créer de concurrence entre les gros et les petits pays de l'Union européenne, pour ne pas provoquer une course aux vaccins délétère pour notre unité. Après une affligeante course aux masques, une course aux vaccins entre pays européens aurait été un très mauvais symbole. Le Président de la République l'a redit en Conseil européen la semaine dernière : notre sort est lié et nous avons intérêt à agir ensemble. La Commission européenne a donc négocié l'approvisionnement de vaccins approuvés et sécurisés. Non seulement nous les achetons moins cher que les Britanniques et les Américains, mais ils sont produits sur le sol européen. Je rappelle que c'est loin d'être le cas de tous les pays du monde. Tout n'est pas parfait pour autant. Nous avons été tributaires de retards de livraisons en février et cela a pu ébranler la confiance dans nos capacités de vaccination. Il n'empêche, la Commission européenne a su imposer une augmentation de la production auprès des fournisseurs. L'objectif reste de vacciner 70 % des adultes européens d'ici à la fin de l'été. Cet objectif est ambitieux, mais s'il est atteint alors plusieurs centaines de millions de personnes auront été vaccinées en l'espace de huit mois.
La solidarité européenne doit également s'exprimer sur le sujet du moment, à savoir le passeport vaccinal, à ne pas confondre avec le pass sanitaire. Pour ce qui est du passeport vaccinal, soyons très prudents tant que le vaccin n'est pas accessible aux Français quel que soit leur âge et, surtout, ne raisonnons pas uniquement en songeant au tourisme. Chaque jour, en Moselle, des dizaines de milliers de travailleurs français ou allemands passent indifféremment d'un pays à l'autre ; c'est notre quotidien. Le bouleverser davantage par un passeport vaccinal non accessible à l'ensemble de la population serait dangereux. Cette réponse, comme souvent, doit être coordonnée et européenne. N'agissons pas seuls, au risque de fragiliser notre unité et, à travers elle, notre souveraineté nationale.
Chers collègues, alors que nous affrontons la plus grave crise sanitaire depuis 1945, la question n'est pas de savoir où est l'Europe, la seule question, la vraie question, c'est de savoir comment la rendre toujours plus efficace, plus accessible et plus solidaire. C'est la position que j'exprime ici au nom de mon groupe et comme députée d'un territoire lié à l'Europe par son histoire, ses valeurs et ses habitants.