Ils prennent aussi graduellement conscience de la nécessité de mettre en cohérence notre politique commerciale et nos objectifs de développement durable, notamment en faisant du respect de l'accord de Paris un élément central de nos accords de commerce.
Dans le même temps, nous travaillons à rénover notre politique de concurrence afin de mieux prendre en compte les subventions et les aides d'État des pays tiers et de renforcer notre politique industrielle, s'agissant en particulier de nos actifs stratégiques et des secteurs d'avenir. C'est le sens des projets importants d'intérêt européen commun, les PIIEC, que nous développons avec nos partenaires européens et qui mêlent investissements publics et privés. Des projets ont été lancés dans les secteurs des batteries et de la micro-électronique ; il s'agit maintenant d'en lancer d'autres dans le domaine de l'hydrogène, du stockage des données, des calculs de haute performance et de la santé, comme nous venons de le faire – nécessité oblige – avec le nouvel incubateur HERA, qui vise à mieux maîtriser l'ensemble de la chaîne de recherche et de développement des vaccins.
La souveraineté concerne aussi les domaines de la sécurité et de la défense. S'agissant de la première, la Commission fera des propositions au mois de mai concernant l'avenir de l'espace Schengen ; il est l'un de nos acquis les plus précieux, celui qui permet la libre circulation des citoyens. Je précise d'ailleurs à M. Anglade que la libre circulation n'a en aucun cas été remise en cause au cours des derniers mois. Il y a certes eu quelques atermoiements, du moins au départ, mais ce principe perdure au sein de l'Union européenne en dépit des restrictions sanitaires. Quoi qu'il en soit, en raison des pressions que subit l'espace Schengen depuis plusieurs années – pression migratoire, menace terroriste et aujourd'hui crise sanitaire – , il est temps de le rénover. Nous avons pour notre part déjà esquissé des pistes pour renforcer nos frontières extérieures, le respect des règles et la gouvernance au sein de cet espace commun qui doit rester un espace de liberté pour les Européens.
L'Europe souveraine, l'Europe qui protège, c'est aussi notre programme de lutte contre la menace terroriste qui doit être mis en oeuvre cette année. Il passe notamment par le renforcement d'Europol, par le rôle de coordinateur antiterroriste de l'Union et par l'adoption du règlement sur les contenus terroristes en ligne. M. Anglade a déjà en partie évoqué ces éléments lors de son intervention. Ils contribuent à l'affirmation de notre souveraineté dans le domaine de la sécurité mais aussi dans celui de la défense. Je ne reviendrai pas sur ce que Mme Dumas a dit à ce sujet, sinon pour indiquer que, depuis 2017, des projets et des initiatives concrètes ont pour but d'assurer l'autonomie stratégique de l'Union européenne : une Europe renforcée et plus autonome constitue évidemment un atout pour parvenir à une relation transatlantique plus équilibrée. Les États-Unis savent qu'ils ont normalement tout à gagner à pouvoir compter sur un allié fort ; mon nouvel homologue Antony Blinken nous l'a dit explicitement depuis Washington lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères européens.
Aujourd'hui, les puissances qui misent sur la faiblesse des démocraties en général et de l'Europe en particulier, comme la Russie ou la Turquie, nous trouvent davantage unis et plus décidés à défendre nos intérêts. On l'a vu l'été dernier en Méditerranée. Nous travaillons actuellement, comme Mme Dumas vient de le rappeler, à ce qu'on appelle la boussole stratégique. Concrètement, cet exercice lancé sous la présidence allemande à la fin de l'année dernière permettra de fixer, sous notre présidence, les ambitions européennes en la matière à l'horizon 2030. Il s'agira, sur la base d'une évaluation commune des menaces, d'affirmer la montée en puissance capacitaire et opérationnelle de l'Union européenne. Je pense à cet égard à certaines situations conflictuelles comme celle que connaît le Sahel, dont nous parlerons demain, mais aussi aux espaces contestés ; il s'agit des terrains dont certains voudraient nous exclure et qui deviennent de plus en plus souvent de nouveaux espaces de conflictualité : le maritime, le spatial, le numérique. Nous ne pourrons affronter ces défis que de façon solidaire au sein de l'Union européenne.
Le numérique est justement le troisième grand domaine dans lequel l'Europe doit faire respecter sa souveraineté. Certaines puissances, vous le savez, en ont fait un terrain de jeux – ou plutôt, un terrain d'influence, de manipulation et de déstabilisation. C'est une menace pour notre sécurité et pour la vitalité de nos démocraties. Un autre défi, dans le numérique, nous est lancé par l'attitude de certaines plateformes qui ont accumulé un pouvoir sans précédent dans l'histoire de nos économies et de nos sociétés, sans pour autant en assumer la responsabilité sur les plans fiscal, social et des libertés.
Ce sont autant de défis considérables pour nos pays. Bien sûr, il est de la responsabilité de chaque État de renforcer sa résilience et de préserver ses processus démocratiques. Mais l'Europe doit apporter son aide grâce à la révision de la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information, dite directive NIS : ce texte fixera le cadre réglementaire à même d'améliorer le niveau de sécurité de l'Union et les capacités cyber des États membres. Son application est essentielle pour que nous puissions aborder l'avenir plus sereinement.
Mais dans le domaine du numérique, l'Europe doit aussi agir directement là où elle seule peut réguler efficacement. C'est ce qu'elle a déjà fait dans le domaine de la protection de la vie privée, avec les normes du règlement général sur la protection des données. C'est ce qu'elle a fait également dans la lutte contre les contenus terroristes en ligne. Deux textes majeurs, le DMA – Digital Markets Act – et le DSA – Digital Services Act – , ont été présentés en décembre par la Commission pour réguler les services et les marchés numériques et pour renforcer la lutte contre les contenus illicites et préjudiciables. La France sera en pointe pour que l'Europe s'équipe le plus rapidement possible de ces instruments majeurs de souveraineté.
Soyons clairs : cette démarche de renforcement de notre souveraineté numérique ne répond ni à une visée punitive ni à une visée protectionniste.