Selon Alexandre de Juniac – actuel directeur général de l'IATA, l'Association internationale du transport aérien – , la crise de la covid-19 est la pire crise de l'histoire de l'aviation, bien loin devant les événements du 11 septembre 2001 ou la crise économique de 2009. L'IATA estime que la demande mondiale de transport aérien a chuté de 65,9 % en 2020, entraînant une perte nette totale de 118,5 milliards de dollars pour le secteur, en dépit du rebond temporaire de juin et juillet 2020, à la faveur des politiques de déconfinement.
En outre, la reprise du trafic aérien ne sera pas rapide, le retour au niveau d'avant-crise étant attendu en 2024. Le pavillon français, déjà fragile avant la crise sanitaire, devrait enregistrer 4 milliards d'euros de pertes en 2020.
Dans ce contexte de crise inédite, l'enjeu principal a consisté, pour la plupart des compagnies aériennes, à disposer d'un accès à suffisamment de liquidités pour tenir durant un épisode qui cloue au sol des avions nécessitant néanmoins un entretien aux coûts fixes importants.
Pour faire face à ce besoin de trésorerie, les entreprises ont trouvé des réponses internes comme le non-remboursement des billets transformés en avoirs, les licenciements, la réduction des coûts fixes de structure, la renégociation avec les loueurs d'avions, ou encore l'emprunt. Cependant, ces réponses ne furent pas suffisantes et les aides publiques furent nécessaires. Singulièrement, des acteurs historiques comme Air France-KLM, IAG ou Lufthansa n'auraient pas pu survivre à la crise de la covid-19 sans l'aide publique massive apportée par les gouvernements, par exemple français et néerlandais.
L'objectif de compétitivité et les objectifs environnementaux sont unanimement partagés : ils ont été intégrés par le Gouvernement au projet de loi de finances pour 2021. Il convient désormais de savoir si le plan clair et séquencé de l'État tient la route.
Il vise d'abord à retrouver la rentabilité, car les compagnies historiques souffrent d'un déficit de compétitivité de leurs vols court et moyen-courriers par rapport aux acteurs low cost qui ont vu leurs parts de marché augmenter depuis une dizaine d'années. Il est probable qu'à la faveur de cette crise, les grandes compagnies low cost continueront de croître en interne et en externe, notamment en rachetant les actifs des compagnies en difficulté pour conquérir les précieux créneaux de décollage des grands aéroports, à l'instar de ce qu'a fait Ryanair à Marseille, Bordeaux ou Toulouse, en 2019.
Les compagnies low cost poursuivront également leur stratégie consistant à développer des vols indirects sans supporter pour autant les contraintes d'un modèle de hubs et de correspondances. Au-delà même de l'Europe, elles commencent à nouer des partenariats avec des compagnies long-courriers, ce qui constitue une menace directe pour les hubs des compagnies historiques. Cette montée des acteurs du low cost au détriment des acteurs historiques n'est pas neutre : elle peut avoir des conséquences sur la souveraineté économique et politique de la France, comme l'a montré le rapport du Sénat du 30 avril 2020, qui rappelle l'organisation d'un pont aérien avec la Chine assurant l'approvisionnement du pays en matériel médical ainsi que le rapatriement de plus de 15 000 Français bloqués à l'étranger.
La question de la compétitivité des acteurs historiques face aux acteurs low cost rejoint donc celle de la souveraineté nationale. L'exemple de l'Italie, dont l'opérateur historique, Alitalia, avait dû être placé sous tutelle en 2017, montre ce que peut nous réserver le futur si rien n'est fait. La mutation du modèle économique de l'aérien doit être poursuivie à l'aide du plan de relance pour ce qui concerne le moyen-courrier, car c'est sur cette part de marché que la concurrence avec les compagnies low cost est la plus acharnée. Les acteurs historiques ne doivent plus concevoir leurs propres filiales low cost comme un instrument avant tout défensif sur leur propre sol, mais se projeter à l'extérieur de leur pays d'origine en ouvrant des bases en Europe. Parallèlement, les pouvoirs publics peuvent être plus alertes pour bloquer des fusions de compagnies portant atteinte à la concurrence sur le marché.
Il faudra ensuite faire de la crise du secteur aérien l'heureuse origine d'une mutation écologique. Le secteur représente 6 % des émissions mondiales de CO2 selon le rapport du Shift Project publié le 27 mai 2020. Un transport aérien neutre en carbone est possible en réduisant de 5 % par an, d'ici à 2025, les émissions de gaz à effet de serre de l'aviation par rapport à 2018. Cet objectif sera atteint en conjuguant leviers technique et réglementaire.
Sur le plan technique, une implication de tous les acteurs est nécessaire sur trois points : les travaux de recherche des constructeurs pour construire des avions moins polluants, une optimisation des routes aériennes pour consommer le moins de carburant possible, enfin l'utilisation de biocarburants ou d'hydrogène. Les politiques publiques doivent favoriser ces évolutions grâce à des incitations fiscales en identifiant des projets d'investissement qui pourraient faire l'objet d'un soutien spécifique dans le cadre de la relance.
Une incitation raisonnée à la sobriété doit également être intensifiée avec l'aide des pouvoirs publics. La réduction des liaisons aériennes pour lesquelles une alternative en train existe en moins de quatre heures trente pour des trajets avec ou sans correspondance, comme cela est déjà prévu pour les lignes de Bordeaux et Toulouse, va dans le bon sens, de même qu'imposer un taux minimal de remplissage des avions avant de leur donner l'autorisation de circuler.
Chers collègues, l'épidémie de covid-19 est une occasion historique de sortir d'un modèle aérien peu rationnel qui, tout en compressant les marges de nos opérateurs historiques, provoque une augmentation continue du trafic. Les circonstances appellent un retour à une stratégie assumée de l'État pour accompagner le secteur aérien.