Intervention de David Lorion

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavid Lorion :

Vous le savez, au premier semestre 2020, le transport aérien a été brutalement mis à l'arrêt durant plusieurs mois, du fait de la crise sanitaire. D'après les chiffres donnés à la mi-janvier par l'Organisation de l'aviation civile internationale – OACI – , par rapport à 2019 le nombre de passagers transportés a chuté de 50 % sur les vols intérieurs et de 74 % sur les vols internationaux. Cela représente, sur une année, une baisse de 1,4 milliard de voyageurs, ce qui nous ramène à un niveau proche de 2003. En France, selon la Direction générale de l'aviation civile, le nombre de passagers a reculé d'environ 60 à 65 % en 2020 par rapport à 2019.

Ce choc sanitaire s'est transformé en choc économique pour l'ensemble des acteurs du monde aéronautique : compagnies aériennes, structures aéroportuaires, mais aussi filières industrielles ont été durement touchées, vous l'avez entendu dans les précédentes interventions.

Dans notre pays, la compagnie nationale Air France-KLM a annoncé le 18 février dernier une perte abyssale de 7,1 milliards d'euros et de deux tiers de ses clients pour l'année 2020. Le chiffre d'affaires a connu un effondrement de 59 % par rapport à 2019. La situation n'est guère plus florissante pour le groupe Aéroports de Paris, qui a pris acte d'une baisse de son chiffre d'affaires consolidé de 54,5 % par rapport à 2019. Son président Augustin de Romanet estime que le groupe pourrait revenir à un niveau atteint en 2019 seulement en 2024, voire en 2027.

Notre principal constructeur aéronautique, Airbus, a perdu 29 % de son chiffre d'affaires en 2020, avec une perte nette de 1,1 milliard d'euros. L'année dernière, l'entreprise a livré un tiers des avions de moins et ne prévoit aucune amélioration cette année tant les incertitudes subsistent.

C'est donc en pleine période de grave crise sanitaire et économique que le secteur va devoir relever le défi de la transition écologique nécessaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. Ce défi semble insurmontable et pourtant nous disposons de leviers technologiques, industriels et volontaristes nous permettant de le relever, si l'État se mobilise dans la durée pour les soutenir.

Quels sont ces leviers ? Tout d'abord, il s'agit de l'optimisation du pilotage. Cela ne semble pas grand-chose mais c'est une action très importante, beaucoup de syndicats de pilotes nous l'ont répété. De nouveaux outils tels que le big data ou l'intelligence artificielle, permettront de réduire immédiatement les émissions de CO2 en favorisant des trajets plus directs.

Ensuite, le déploiement des biocarburants aéronautiques issus de l'économie circulaire grâce au recyclage de certains déchets ménagers agricoles ou de carburants de synthèse durables. Je rappelle, à ce sujet, que j'avais demandé au Gouvernement, lors de l'examen de la loi de finances pour 2021, qu'il instaure un cadre fiscal et réglementaire avantageux et stable afin d'encourager de potentiels investisseurs dans cette filière.

Troisième levier, le développement de l'hydrogène vert. Au sein d'Airbus, cette technologie devrait concerner principalement les avions de transport régional et court-courriers à partir de 2035, pour les premiers prototypes du moins. Pour les vols long-courriers, la perspective d'utiliser la propulsion à hydrogène semble plus complexe, d'où la nécessité d'une filière de biocarburants précisément pour ce type de vols. Quant à l'hydrogène vert, le plan de relance a prévu une dotation spécifique de 1,5 milliard d'euros dans le domaine de la R& D pour la période 2020-2022.

Quatrième levier, l'instauration, pour les aéroports, de certifications de plus en plus exigeantes en matière de réduction des émissions de CO2. Je pense en particulier au programme d'engagement volontaire ACA – airport carbon accreditation – , que chacun d'entre vous connaît.

Certaines personnes et certaines associations environnementales estiment que les engagements du secteur aérien en faveur de la transition énergétique seront insuffisants pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone et qu'il est donc indispensable d'introduire des contraintes au moyen d'une fiscalité écologique ou de l'interdiction de certains vols. La création, par exemple, d'une écocontribution kilométrique renforcée, si elle était appliquée, porterait la recette de la taxe de solidarité sur les billets d'avion – TSBA – à environ 4,2 milliards sur la base du trafic de 2019. On le sait, une telle hausse serait évidemment tragique en l'absence d'harmonisation fiscale car seuls les hubs français seraient pénalisés. La convention citoyenne pour le climat avait également demandé que certains vols intérieurs soient supprimés.

À l'heure où le secteur aérien traverse une crise d'une ampleur inédite et où il est appelé à réduire fortement ses émissions de gaz à effet de serre, les pouvoirs publics doivent accompagner les acteurs dans la transition énergétique tout en les aidant à affronter l'immense choc qu'ils ont subi. Faisons confiance à notre capacité d'innovation pour trouver des solutions de décarbonation plutôt que d'imposer des interdictions qui pénalisent uniquement les acteurs nationaux et dont les gains environnementaux sont infimes au regard des enjeux.

L'avion demeure un formidable outil, indispensable au développement économique et touristique, mais aussi aux échanges humains et culturels. Ne nous trompons pas de combat. Notre volonté de protéger la planète et de soutenir un développement durable peu consommateur en ressources naturelles fossiles n'est pas l'ennemie de l'avion, mais du carburant qu'il utilise aujourd'hui. Dans le futur, d'autres techniques de motorisation pourraient faire du transport aérien un outil de mobilité de longue distance alliant la performance et la durabilité, ce qui implique que nous conservions les infrastructures régionales capables d'assurer ce trafic.

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