Il révèle qu'un quart des enfants de moins de cinq ans dans le monde ne sont pas enregistrés à la naissance. Un quart des enfants de moins de cinq ans n'ont donc pas d'existence légale. Ces chiffres surprennent, car peu de personnes sont conscientes de l'ampleur du phénomène. Ils nous interpellent : depuis un pays comme la France, cela semble impossible. Pourtant, même chez nous, ce phénomène existe – je l'évoquerai plus loin.
La France peut jouer un rôle déterminant dans la gestion de ce problème – j'en suis convaincue. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à Marielle de Sarnez qu'une mission d'information se mette au travail pour décliner les actions que la France pouvait mener afin de contribuer à donner une existence légale à ces enfants. Je souhaite ici rendre hommage à notre regrettée présidente ; elle aurait apprécié ce débat, c'était son souhait. Comme elle me l'avait écrit au soir de la présentation de notre rapport en commission, fin septembre, elle souhaitait « aider à faire émerger dans le débat cette grande question ». La maladie ne lui en a pas laissé le temps, mais nous poursuivons ce combat. Le saut majeur que nous avons accompli en introduisant la promotion de l'enregistrement des naissances et de l'accès à des états civils fiables dans le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, adopté hier en première lecture par l'Assemblée, à l'unanimité, y participe. C'est une grande étape, par laquelle la France s'engage à agir. Il faut la poursuivre ; nos débats d'aujourd'hui peuvent – et doivent – nous permettre d'aller plus loin.
Les éléments du débat sont bien identifiés : un enfant de moins de cinq ans sur quatre n'est pas enregistré à la naissance, ce qui représente 166 millions d'enfants de moins de cinq ans dans le monde ; un enfant de moins de cinq ans sur trois n'a pas d'acte de naissance, soit 237 millions d'enfants. D'après l'UNICEF – Fonds des Nations unies pour l'enfance – , l'Asie du Sud et l'Afrique subsaharienne concentrent 87 % des enfants de moins de cinq ans non enregistrés. Mais en France aussi, bien que nous ayons un système d'état civil ancien et performant, nous avons des enfants sans identité, que ce soit au sein de la communauté rom, parmi les enfants d'étrangers en situation irrégulière et les mineurs non accompagnés, ou dans les territoires ultra-marins de la Guyane et, surtout, de Mayotte.
Les causes de l'absence d'enregistrement à la naissance sont connues, et varient d'un pays à un autre. Le sous-développement est la première : plus un État dispose d'un budget public élevé, plus il pourra créer et gérer des centres d'état civil. Une croissance démographique importante peut aggraver ce facteur lié au sous-développement. Le coût de l'enregistrement ou de la délivrance d'un certificat de naissance peut également jouer. Parfois aussi, le cadre juridique est insuffisant ou inadapté : certaines lois discriminatoires, par exemple, empêchent les femmes de déclarer leur enfant. À cela s'ajoute le manque de sensibilisation de la population à l'importance de l'enregistrement, ou encore les coutumes, qui peuvent jouer un rôle déterminant. Enfin, les crises politiques ou sanitaires et les conflits armés peuvent entraîner des déplacements de populations ou décourager les parents de se déplacer pour déclarer une naissance.
Les conséquences sont dramatiques pour les enfants et problématiques pour les États. Le droit d'être enregistré à la naissance est le premier des droits, sans lequel tous les autres ne sont que des droits de papier pour l'enfant, puis pour l'adulte qu'il devient. Savez-vous que la Banque mondiale évalue à un milliard le nombre d'adultes ne disposant pas de documents prouvant leur identité ?
Les conséquences donc, quelles sont-elles ? Un accès aux droits restreint – l'accès à la nationalité, aux droits sociaux, civils et politiques, et même à la justice sont fortement réduits – ; une vulnérabilité renforcée face à toutes les pires formes d'exploitation et de violence – prostitution enfantine, mariage précoce, adoption illégale, travail forcé, trafic d'organes, participation à des activités criminelles, enrôlement dans des combats armés, enfants soldats, etc. – ; un accès à l'éducation très réduit – pour l'individu devenu adulte, obtenir un emploi dans l'économie formelle, se marier, voter, voyager est inaccessible. Pour les États, enfin, administrer une population qu'on ne sait pas évaluer correctement s'avère difficile.
La tâche semble gigantesque – elle l'est – , mais des solutions existent. Je dirais même plus : je ne connais pas d'autre problématique aussi lourde de sens et de conséquences, mais finalement aussi simple à régler. Ce n'est même pas tant une question d'argent. Je laisse à ma collègue Aina Kuric, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler, le soin de présenter nos propositions.