Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 4 mars 2021 à 9h00
Politiques de la france au sahel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Cinq minutes de temps de parole pour l'opposition insoumise, profondément engagée dans la politique au Sahel : je ne peux faire autrement que d'aller vite, et à l'essentiel.

Avant toute chose, je voudrais dire que, quelle que soit l'intensité de nos désaccords éventuels, rien n'empêche les Insoumis d'avoir une pensée émue et respectueuse pour les combattants qui, sur place, au nom de la France, exécutent les ordres que nous leur donnons, parfois au prix de leur vie.

Parlons donc de la politique de la France au Sahel – il me reste maintenant moins de cinq minutes pour ce faire.

Nous en parlons, c'est un fait assez rare pour être souligné : bien sûr, nous n'irons pas jusqu'à voter, mais enfin on appelle cela un débat. Un seul vote a eu lieu, il y a huit ans, lorsque vous étiez ministre de la défense, monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Depuis, bien des choses ont changé, mais c'était là apparemment un vote pour l'éternité ! On a voté une fois : c'est dit, la guerre continue. Ce n'est pas notre avis : quand voterons-nous sérieusement, une deuxième fois, pour prendre en considération l'ensemble des éléments que nous avons sous les yeux ?

Au départ, nous avions l'opération Serval ; elle est devenue Barkhane, et s'étend maintenant au-delà du Mali au Burkina Faso, au Tchad, au Niger, à la Mauritanie. Nous n'avons jamais discuté de cette extension, qui a pourtant des conséquences très nombreuses, puisque nous sommes liés à chacun des pays que je viens de mentionner par des accords militaires – tant et si bien que, d'une manière ou d'une autre, un effet domino est engagé. Où que se propage la guerre, la France s'y trouvera et nous serons liés aux régimes qui, dans chacun de ces pays, la mèneront.

Le pacte militaire vaut de surcroît pacte de solidarité politique : nous l'avons vu au Mali, où un président mal élu est renversé par une série de manifestations populaires suivie d'un coup d'État, parti d'une seule caserne – c'est dire quelle était la force de ce régime. Depuis, il y a un gouvernement qui n'est élu par personne, mais dont nous sommes l'allié, et avec qui nous menons la guerre.

Des voix s'élèvent pour intégrer d'autres pays encore à la coalition : hier j'ai entendu, en commission des affaires étrangères, le représentant du groupe Dem demander que le Sénégal soit inclus ; heureusement, le ministre a répondu qu'il était contre cette dilution. Nous y sommes aussi résolument opposés.

Gouvernements légitimes ou pas, nous nous retrouvons pris dans un accord d'Alger dont le ministre dit qu'il est excellent. Le ministre a le droit de le penser, mais il apparaît, si mes informations sont bonnes, que ni les représentants de l'opposition au Mali ni le gouvernement de fait n'en approuvent le contenu ; certains y voient une opération de partition du pays. Au fond, ce n'est pas notre problème, à nous Français : si eux le pensent, ce sont eux qui auront le dernier mot car, je le rappelle, le Mali appartient aux Maliens !

Avant de se poser des questions sur nos propres intérêts, il serait bon de se demander, de temps en temps, par fraternité, par égalité de considération, quels sont les intérêts des Maliens, le mieux étant de le leur demander, par une consultation démocratique.

Voici où nous en sommes : huit ans de guerre, cinquante-cinq Français morts, 5 milliards d'euros dépensés, 2 millions de civils déplacés. Cette année seulement, douze de nos militaires sont morts, et nous dépensons 2 millions d'euros par jour. Souffrez donc que l'on pose une ou deux questions.

Encore une fois, mon intention n'est pas ici de rendre plus difficile la situation de mon pays. Je veux interroger, et faire entendre. Nous sommes en guerre : quels sont nos objectifs ? Énonçons-les clairement. Vous savez comme moi, madame la ministre, monsieur le ministre, que nous nous retirerons un jour. Personne dans cette salle ne dit que nous sommes là-bas pour toujours ! Mais à quelles conditions ? Voilà ce qu'il faut dire. Et comment entendez-vous remplir ces conditions ?

Que faisons-nous : la guerre au terrorisme ? Mais depuis quand la France fait-elle la guerre à des concepts ? Ce sont les États-Unis qui font cela, et on a vu le résultat en Afghanistan. Qui est notre ennemi au Mali ? « Les djihadistes », ce n'est pas suffisant. Je pose, moi, une autre question : qui paye ces gens-là ? Les malheureux engagés dans une carrière militaire autour du lac Tchad, qui se vide et où la catastrophe écologique devient catastrophe politique, sont maintenant achetables pour bien peu. Qui les paye ? C'est celui-là qu'il faut nommer comme notre ennemi, car qui paye commande. Et quelqu'un paye ! S'il y a aujourd'hui davantage de djihadistes, nous devons nous demander pourquoi : est-ce à cause de la présence française, ou bien parce que quelqu'un y met plus d'argent ? Ceux-là doivent être pourchassés, et punis : ce sont eux qui organisent le désordre dans toute la zone.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.