Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du jeudi 4 mars 2021 à 9h00
Politiques de la france au sahel

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

… il est en effet indispensable de donner des perspectives d'avenir aux femmes et aux hommes du Sahel, notamment à la nouvelle génération.

L'architecture d'ensemble se déploie dans un cadre d'action global et intégré grâce au rôle de coordination que joue désormais la coalition pour le Sahel, que nous avons lancée il y a un an lors du sommet de Pau et qui coordonne les quatre piliers prioritaires définis lors de ce sommet : lutte contre le terrorisme ; renforcement des capacités des forces armées sahéliennes ; soutien au redéploiement de l'État, à la nouvelle gouvernance et au retour des services de base ; développement, dont je viens de rappeler l'importance.

Depuis huit ans, nous avons essayé, chacun dans ses fonctions et avec Mme Florence Parly depuis quatre ans, d'informer très régulièrement la représentation nationale de l'état d'avancement de ces sujets, notamment lors des réunions des commissions compétentes. L'initiative de ce débat est heureuse et arrive au bon moment : elle m'offre l'occasion de revenir sur la période qui a précédé le sommet du G5 Sahel tenu à N'Djamena les 15 et 16 février derniers.

L'enjeu était clair : il fallait poser les bases d'un sursaut civil, pendant du sursaut militaire décidé à Pau en 2020 et qui a engrangé des succès majeurs contre les groupes terroristes. Le sursaut civil, dont le Sahel a désormais besoin, est d'abord politique. Celui-ci est particulièrement nécessaire au Mali. Monsieur David, vous souhaitiez obtenir des informations sur ce sujet, sachez que des rendez-vous sont fixés. Un coup d'État s'est produit en raison de fortes protestations de la population à l'égard du gouvernement précédent et de la présidence de M. Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK. Des autorités de transition ont été installées : elles seront logiquement amenées à céder la place lorsque le processus électoral sera mis en oeuvre. Nous avons des relations régulières avec ces autorités puisque la communauté des États africains a reconnu qu'elles ne gouverneraient plus après mars 2022 au plus tard. Nous entretenons avec le président Bah N'Daw des relations de confiance pour respecter ce calendrier. Tout nous laisse à penser que la feuille de route définie avec les États de la CEDEAO sera mise en oeuvre, mais il faut se montrer vigilant sur le respect du calendrier.

Un sursaut politique s'est récemment manifesté lors de la réunion du comité de suivi de l'accord de paix et de réconciliation conclu en 2015 au terme du processus d'Alger. L'existence même d'une rencontre officielle est un progrès, car le comité ne se réunissait que de manière informelle. Elle s'est tenue sous l'égide de mon homologue algérien, Sabri Boukadoum, désigné comme chef de file de la médiation pour la paix au Mali, et en ma présence – virtuelle, les nécessités sanitaires ayant imposé la visioconférence. Cette réunion s'est tenue à Kidal, sous le drapeau malien et en présence de six ministres du pays hôte, signe fort et sans précédent de l'engagement des nouvelles autorités maliennes à faire vivre cet accord.

Ces aspects positifs sont renforcés par les décisions, longtemps attendues, prises par le comité de suivi, parrainé par les Nations unies, dans le mouvement « désarmement, démobilisation, réintégration », qui vise à intégrer, sous une forme accélérée, des anciens combattants dans les formations militaires nationales. En outre, nous appelons de nos voeux le déblocage de financements du fonds de développement durable – FDD – destinés au déploiement de projets dans le Nord du Mali : ces financements, prévus par l'accord d'Alger, n'ont pas été encore alloués, mais vont l'être prochainement.

Par ailleurs, des réformes institutionnelles majeures ont été annoncées : révision de la constitution malienne, adoption d'une loi portant création d'une police territoriale par le Conseil national de transition et transfert des ressources aux collectivités locales, lui aussi inscrit dans l'accord d'Alger mais pas encore effectué.

Tout le monde était présent à cette réunion : les groupes armés signataires, les autorités centrales maliennes et les acteurs internationaux garants de l'accord – autorités algériennes, Nations unies et Union africaine. Il importe maintenant de veiller à ce que ces engagements se concrétisent : nous y serons très attentifs.

Cet indispensable sursaut civil passe également par un sursaut du développement. Grâce au dynamisme de l'Alliance Sahel, beaucoup a déjà été fait depuis 2017 dans le souci de répondre aux besoins des populations ; en 2019, 3 milliards d'euros ont été décaissés pour financer des projets soutenus par l'Alliance : c'est considérable ! Cela correspond aux engagements pris par la France, notamment dans le cadre du comité interministériel de la coopération internationale et du développement – CICID – , que certains d'entre vous connaissent bien et dont nous avons beaucoup parlé lors de l'examen récent du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nous avons réorienté nos engagements financiers vers l'Alliance Sahel, à la fois dans notre APD – aide publique au développement – générale et dans les engagements de l'AFD – Agence française de développement. L'engagement de l'Alliance Sahel commence à porter des fruits sur le terrain : parmi de nombreux exemples figure le projet de relèvement et de stabilisation économique de Kona au centre du Mali, qui était une zone de conflit il y a quelque temps ; cet engagement a permis la réhabilitation du port, la formation professionnelle de 3 500 jeunes de la région et la restauration de salles de classe et de cliniques. La relance du développement a débuté.

C'est également grâce à la mobilisation de la France que le projet emblématique de la grande muraille verte sera relancé : le Président de la République en a pris l'initiative lors du One Planet Summit de janvier dernier, cet événement ayant abouti à la mobilisation de près de 14 milliards d'euros de financements. Nous entendons insuffler une nouvelle dynamique à ce projet, lancé il y a plusieurs années par nos partenaires africains, afin de lutter, par le verdissement du Sahel, contre la désertification et de changer la vie des populations.

Le défi actuel de l'Alliance pour le Sahel réside dans l'amélioration de la coordination et de la territorialisation de l'aide, aujourd'hui insuffisantes. Nous avons donc décidé de concentrer notre effort sur les zones les plus fragiles et les plus vulnérables, en cherchant une meilleure synergie entre les actions humanitaires, celles de stabilisation et celles de développement : tel est le message que j'ai porté à la deuxième assemblée générale de l'Alliance qui s'est tenue à N'Djamena sous la présidence espagnole juste avant l'ouverture du sommet du G5 Sahel. Tous les acteurs sont décidés à travailler ensemble pour mieux coordonner les actions et éviter les démarches en silos.

Enfin, le sursaut civil au Sahel, c'est aussi le sursaut de la stabilisation.

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