Intervention de Florence Parly

Séance en hémicycle du jeudi 4 mars 2021 à 9h00
Politiques de la france au sahel

Florence Parly, ministre des armées :

Je souhaite d'abord vous remercier en mon nom et, je crois pouvoir le dire aussi, au nom du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, de l'invitation que vous nous avez faite de participer dans cet hémicycle au débat consacré à la stratégie au Sahel, dont le sommet de N'Djamena a permis de dresser un bilan. En guise d'introduction et avant de revenir sur les orientations de ce sommet, il me semble essentiel de rappeler quelques faits que vous connaissez bien.

Pourquoi sommes-nous au Sahel ? Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vient de le rappeler avec force, car il a vécu ces événements de près : nous sommes au Sahel, parce que le Mali nous a demandé notre aide en 2013 pour repousser les djihadistes qui voulaient prendre le pouvoir et imposer leur loi par la terreur. Nous sommes au Sahel, parce que le Mali et ses voisins nous demandent de rester pour combattre à leurs côtés. C'est très important car, dans ces conditions, dire que nous sommes au Sahel, cela veut dire avant tout que nous sommes avec nos partenaires sahéliens, avec les Européens et avec les Américains pour combattre le terrorisme. Enfin, nous sommes au Sahel parce que nous ne voulons pas qu'il devienne un sanctuaire terroriste qui menace la sécurité française et européenne.

Alors, à ceux qui se cachent derrière des arguments qu'ils veulent rassurants, brandissant le fait qu'aucun attentat contre des intérêts français n'a été organisé ou commandité depuis le Mali, je voudrais répondre deux choses. Premièrement, c'est faux. Plutôt que de mentionner les attentats de Grand-Bassam ou du Radisson Blu, dont j'ai souvent eu l'occasion de parler devant la commission de la défense, je rappellerai simplement qu'il y a trois ans presque jour pour jour, la branche d'Al-Qaïda au Sahel commettait un double attentat à Ouagadougou qui visait directement l'ambassade de France, faisant huit morts et quatre-vingt-cinq blessés. Deuxièmement, en matière de terrorisme, ce qui n'est pas encore arrivé, c'est tout simplement un futur à empêcher, et ce par tous les moyens.

Notre présence est un garde-fou contre la transformation du Sahel en base arrière, en quartier général, en tête pensante du terrorisme international. Nous savons que les attentats du 11 septembre 2001 ont été organisés depuis l'Afghanistan, que ceux du 13 novembre 2015 ont été préparés en Syrie. Nous ne pouvons pas laisser l'histoire se répéter et la regarder sans agir. Depuis huit ans, nos forces combattent aux côtés de nos partenaires pour empêcher le pire, pour nous protéger. Les militaires s'adaptent sans cesse à la menace, et j'aimerais, moi aussi, rendre hommage à leur professionnalisme et à leur constant engagement.

Comme vous le savez, il y a eu un sursaut militaire depuis le sommet de Pau convoqué par le Président de la République il y a un peu plus d'un an. L'objectif fixé alors était d'intensifier la lutte contre le terrorisme dans la région des trois frontières et d'accompagner la montée en puissance des forces armées sahéliennes. Lors du sommet de N'Djamena, qui s'est tenu il y a quelques jours, nous avons collectivement constaté que des résultats significatifs ont été atteints. Dans la région des trois frontières, qui se situe à cheval entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, Daech au Sahel est fortement entravé, même s'il conserve une capacité de régénération encore importante. Nous avons également réussi à affaiblir Al-Qaïda en neutralisant son numéro un dans la région, Abdelmalek Droukdal, et plusieurs de ses cadres ; et plus récemment Ba Ag Moussa, le chef militaire de la filiale sahélienne d'Al-Qaïda.

Je suis d'accord avec vous, ces organisations terroristes paraissent souvent être de véritables hydres où une nouvelle tête prend immédiatement la place de la précédente. Mais il faut bien comprendre qu'en éliminant des chefs djihadistes de première envergure, en chassant l'ennemi des territoires qu'il tente de s'arroger, en le traquant sans relâche jusque dans ses caches les plus reculées, nous obtenons des effets militaires bien supérieurs à la simple réduction de ses effectifs : nous démoralisons, nous désorganisons, nous épuisons. Ces progrès ont permis, à certains endroits, de créer l'espace nécessaire à des actions de développement, comme l'a rappelé le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Ces succès militaires, nous les devons, c'est certain, à la performance remarquable des troupes de Barkhane, mais aussi à la mobilisation des partenaires sahéliens et à l'engagement des Européens. En effet, la montée en puissance des armées sahéliennes se confirme ; nous observons chaque jour des progrès et des résultats encourageants. À nos côtés, les forces armées sahéliennes ont repris confiance, accru leurs compétences et gagné en autonomie. L'accompagnement au combat a été particulièrement efficace à la fin de l'année 2020, lors de l'opération Bourrasque – la présidente de la commission de la défense l'a rappelé. Sur les 3 000 soldats engagés, la moitié étaient issus des forces nigériennes et maliennes. En ce début d'année 2021, l'opération Éclipse a reproduit le même schéma avec des forces nigériennes, maliennes et burkinabaises, engagées aux côtés des soldats de Barkhane dans le Liptako Gourma.

L'autonomisation des forces sahéliennes se traduit également dans la force conjointe du G5 Sahel. Cette force transfrontalière, créée en 2017, est vraiment montée en puissance en 2020 sous le commandement du général Namata. Elle a notamment mené deux opérations d'envergure dans le fuseau centre : SAMA 1 et SAMA 2. Elle en prépare une troisième, SAMA 3, dans laquelle sera impliqué un bataillon de 1 200 soldats que le Tchad s'était engagé à mobiliser pour lutter contre les groupes armés terroristes dans la zone des trois frontières. C'est donc un effort significatif.

Ce qui est significatif également, c'est le fait que les ministres de la défense et les chefs d'état-major des armées du G5 Sahel se soient réunis à N'Djamena, samedi et dimanche dernier, pour s'accorder sur les objectifs opérationnels des prochains mois et sur les efforts à produire pour les atteindre. Le général Namata, commandant de la force conjointe, a ainsi reçu une feuille de route claire. Tout cela témoigne de la mobilisation des sahéliens, en particulier autour de la force conjointe du G5 Sahel. Cette force ad hoc a été créée par et pour les pays du G5 Sahel, pour répondre à cette menace transfrontalière si aiguë. L'enjeu de l'année à venir est donc de consolider son fonctionnement, en stabilisant notamment ses ressources et son soutien. La force conjointe a en effet encore besoin de financement et d'accompagnement. Barkhane s'y emploie, mais Barkhane ne peut pas tout faire. C'est pourquoi la mobilisation de la communauté internationale est aussi nécessaire qu'importante.

Les soutiens internationaux dans la région ne sont évidemment pas nouveaux. Depuis 2018, l'opération Barkhane a l'appui de plusieurs partenaires européens, notamment les Estoniens, les Britanniques et les Danois. Ils nous appuient par des troupes au sol ou des capacités essentielles à la conduite de nos opérations, comme des hélicoptères. Il en est de même pour l'appui que nos partenaires américains nous apportent au Sahel : ils nous soutiennent dans des missions très importantes, comme le transport aérien tactique et stratégique, le ravitaillement en vol ou encore le renseignement. Ainsi, l'appui américain lors de la mission Éclipse a représenté 50 % des vols de surveillance et de reconnaissance.

Ce qui est nouveau, c'est qu'en 2020, l'internationalisation de la lutte antiterroriste au Sahel s'est encore renforcée avec le lancement de la force Takuba. Composée de forces spéciales européennes, elle exerce sous le commandement de Barkhane et accompagne les soldats sahéliens au combat. Neuf pays s'y sont engagés. Les premiers contingents franco-estoniens et franco-tchèques sont opérationnels ; le contingent suédois, composé de 150 militaires et de trois hélicoptères de manoeuvre, achève son déploiement ; celui du contingent italien débutera bientôt. La montée en puissance de cette force va se poursuivre dans le cadre défini par le Président de la République lors du sommet de N'Djamena, car l'objectif au Sahel est de parvenir à une coopération plus agile. Nous pourrons nous appuyer de plus en plus sur Takuba pour accompagner les militaires sahéliens sur le chemin de l'autonomie.

L'effort européen ne se résume évidemment pas au soutien à Barkhane et à Takuba. Des Européens sont également engagés dans des actions bilatérales et dans les missions menées par l'Union européenne. Je pense en particulier à la mission militaire de formation EUTM Mali, qui est un outil particulièrement efficace pour la formation des forces armées maliennes : plus de 17 000 militaires maliens ont déjà bénéficié d'une formation. Ses missions devraient s'élargir dès les prochains mois au Burkina Faso et au Niger, conformément au cinquième mandat qui a été voté en 2020. Pour mener à bien ces missions, les effectifs de l'EUTM Mali vont augmenter et passer de 750 à plus de 1 000 personnels en 2021 et 1 250 en 2022, notamment grâce au renforcement apporté par les contingents espagnol et allemand. En tout, ce sont donc plus de 2 900 Européens, en plus des Français, qui sont présents au Sahel. Vous l'aurez compris, ces effectifs vont se renforcer dans les prochains mois.

Toutes ces initiatives internationales nécessitent une coordination, afin de tirer tous les bénéfices de ces efforts et obtenir les résultats les plus significatifs possibles. C'est le rôle de la Coalition pour le Sahel qui, créée lors du sommet de Pau, poursuit sa structuration. Le sommet de N'Djamena a d'ailleurs permis la prise de fonction officielle du nouveau Haut représentant de la Coalition pour le Sahel, le Tchadien Djimet Adoum. Le renforcement de l'action militaire, décidé en 2020, a permis un renversement du rapport de force militaire. Comme l'a souligné le Président de la République, « [il] serait [… ] paradoxal d'affaiblir notre dispositif au moment où nous disposons d'un alignement politique et militaire favorable à la réalisation de nos objectifs ».

Il a donc été décidé de poursuivre l'effort engagé depuis le sommet de Pau, afin de consolider les gains opérationnels des derniers mois et de maintenir l'accompagnement des armées sahéliennes.

Enfin, parler de la lutte antiterroriste au Sahel sans évoquer les enjeux sécuritaires dans le golfe de Guinée serait une lourde erreur. Il faut avoir bien conscience que ces deux sujets sont inexorablement liés, et que la porosité des frontières des pays de la frange côtière peut entraîner une propagation de la menace djihadiste. Lors du sommet de N'Djamena, les chefs d'État ont donc appelé à renforcer la coordination entre les pays du G5 Sahel et les pays riverains du golfe de Guinée.

Nous soutenons déjà des initiatives régionales allant dans ce sens, en particulier celle d'Accra, lancée en 2017 par cinq pays – le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo – pour répondre à l'insécurité grandissante dans le golfe de Guinée et à la menace de contagion terroriste en provenance du Sahel. Le Mali et le Niger ont été admis en tant qu'observateurs en 2019.

Cette initiative s'articule autour de trois axes : le partage d'informations et de renseignements, la formation du personnel de sécurité et de renseignements, et la conduite d'opérations militaires conjointes. Force est de constater que les résultats sont encore modestes. C'est pourquoi nous devons soutenir la montée en puissance de cette initiative. Nous agissons déjà sur la formation, notamment avec l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme d'Abidjan, dont la création a été décidée en 2017 par le Président de la République et son homologue ivoirien afin de former au contre-terrorisme des cadres et des unités. Un volet spécifique de formation au renseignement verra le jour en 2021, avec l'appui de la direction du renseignement militaire.

Je répète, s'il en est besoin, que l'opération Barkhane n'est pas éternelle. Cependant, il n'est pas question de partir aujourd'hui. Tout d'abord, nos partenaires nous demandent de continuer à les aider ; ensuite, une concertation avec nos partenaires sahéliens et internationaux doit être un préalable pour faire évoluer notre dispositif ; enfin, je le répète avec la plus grande conviction, la sécurité des Français et des Européens en dépend.

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