Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du mardi 21 novembre 2017 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire :

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose en son article 2 que « le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées ».

L'administration pénitentiaire est l'ultime maillon de la chaîne pénale, chargée à la fois d'une mission de sécurité publique – elle assure la surveillance des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire pour l'exécution de leur peine – et d'une mission de prévention de la récidive et de réinsertion sociale.

Ces missions – et, au-delà, la réalité du monde carcéral – sont largement méconnues de l'opinion, en particulier le travail des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), notamment parce qu'il n'existe guère de parole institutionnelle sur la prison et que les autres discours publics sont soit intermittents – on se souvient des débats passionnés du début des années 2000 ou de ceux qui ont accompagné le vote de la loi du 15 août 2014 –, soit dépourvus de bienveillance, sur l'un des services publics de la République parmi les plus difficiles à exercer.

De ce point de vue, l'initiative de la commission des Lois au début de ce mois est remarquable : il est essentiel en effet, pour dépasser les représentations que nous nous faisons de la réalité carcérale, de se rendre dans les établissements pénitentiaires et les SPIP, à la rencontre des personnels, des partenaires du service public pénitentiaire et des détenus, pour mesurer ce que sont effectivement les conditions de travail des agents et les conditions de détention, l'impact très fort qu'ont sur ces conditions la surpopulation, le sous-investissement immobilier chronique, l'insuffisance et les difficultés pratiques des aménagements de peines.

J'ai évoqué les SPIP : nos missions s'exercent en effet en milieu fermé comme en milieu ouvert, dans la proportion – souvent méconnue elle aussi – de 80 000 personnes écrouées pour 165 000 personnes placées sous main de justice et suivies en milieu ouvert. Ces deux chiffres renvoient à un constat brutal : l'administration pénitentiaire fait face au défi de la surpopulation carcérale.

Ainsi, au 1er novembre, le nombre de personnes écrouées s'élevait à 79 999 – proche du record historique de l'été 2016, dont 69 307 détenus, parmi lesquels 20 302 prévenus – soit une augmentation de 2,3 % en un an – et 831 mineurs, soit une augmentation de 13 %.

La densité carcérale atteint 120 % des capacités en moyenne nationale. Elle culmine à des niveaux jamais connus depuis la libération dans les interrégions pénitentiaires de Toulouse – 158 % – ou Paris – 170 %. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) recense par ailleurs, au 1er novembre, 1 473 matelas au sol, dans ses 188 établissements.

Aucun des indicateurs de la surpopulation pénale n'est orienté aujourd'hui à la baisse, et la dernière phase de croissance de la population carcérale, depuis la fin de l'année 2015, présente, par rapport aux précédentes, plusieurs caractéristiques inquiétantes.

Premièrement, l'augmentation du nombre de personnes détenues est pour l'essentiel liée à celle du nombre de personnes prévenues.

Deuxièmement, cette augmentation provient pour partie d'une augmentation du nombre d'entrées de prévenus – en hausse de 15 % entre 2014 et 2016 – et le nombre d'incarcérations de condamnés à des courtes peines, c'est-à-dire de moins de six mois, est également en forte hausse : + 22 % entre 2014 et 2016.

Troisièmement, cette augmentation de la population pénale touche tous les profils, y compris les mineurs, dont la situation est particulièrement inquiétante en Île-de-France, et les femmes, ainsi que les personnes de nationalité étrangère, dont la part est passée de 19,5 % à 20,3 % entre les 1er janvier 2016 et 2017.

En revanche, elle touche inégalement les territoires : les directions interrégionales des services pénitentiaires de Paris, Toulouse, Lyon et d'outre-mer présentent des taux de croissance annuelle respectifs de 8 %, 10 %, 10 % et 11 %, contre 4 % en moyenne pour l'ensemble du territoire.

Enfin, cette hausse de la population carcérale va de pair, d'une part, avec la stagnation des aménagements de peine sous écrou et hors écrou, d'autre part, avec l'augmentation, entamée en 2009, du nombre de personnes détenues pour des courtes peines – en augmentation pour la seule année 2016 de 7 % pour les cumuls de peines de six mois ou moins, et de 9 % pour les cumuls de peines supérieurs à un an et inférieurs ou égaux à deux ans.

Cette évolution place aujourd'hui les maisons d'arrêt dans un état de saturation jamais atteint : la densité carcérale, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places opérationnelles, recensées principalement par rapport à la superficie des cellules, s'élève à 143 % dans ces établissements en avril 2017 ; à cette date, 40 000 personnes étaient détenues dans des maisons d'arrêt dont la densité carcérale était supérieure à 120 %.

À l'échelle du ministère de la Justice, l'administration pénitentiaire se voit allouer des moyens importants, et en hausse continue ces dernières années : les crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » s'élèvent ainsi à 3,6 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018, soit une hausse de 2 % à périmètre constant, dont 1,1 milliard d'euros pour le fonctionnement et l'investissement, ce qui est remarquable et signifie que nous disposons de crédits pour fonctionner et investir, qui augmentent eux-mêmes de 4 % hors immobilier.

Le plafond d'emplois de l'administration pénitentiaire est porté à 40 228 équivalents temps plein travaillés (ETPT), ce qui représente 6 % de l'augmentation du plafond d'emplois de la fonction publique de l'État, alors que son poids n'est que de 2 % au sein de cette fonction publique de l'État ; cela donne une idée de l'effort de solidarité nationale accompli en faveur de la DAP.

Mais, si importants que soient les moyens dont elle dispose, l'administration pénitentiaire est confrontée à une crise : il manque plus de quinze mille places, et l'effort de construction consenti depuis trente ans ne rattrape pas l'augmentation continue de la population pénale.

Pour accompagner dans leurs parcours de peine ce nombre croissant de détenus, la DAP a bénéficié de créations d'emploi mais rencontre des difficultés considérables pour recruter et, partant, ne parvient pas à résorber un niveau élevé de postes vacants, essentiellement en détention.

Le défi qui nous attend dans les quatre années qui viennent sont les départs en retraite massifs des personnels recrutés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 pour accompagner les ouvertures d'établissements du programme Chalandon de 1987. Le nombre des départs en retraite doit ainsi augmenter de 40 % dans les trois ans qui viennent pour atteindre environ 900 par an.

Les difficultés de recrutement sont également liées à la concurrence accrue que se font les métiers de la sécurité publique – polices municipales, police et gendarmerie nationales, service des douanes –, si bien que le solde des départs et des entrées dans l'administration pénitentiaire se dégrade d'année en année ; d'un solde négatif de 198 en 2012, nous sommes passé à - 433 en 2016 et devrions atteindre - 600 à la fin de cette année.

En ce qui concerne enfin les investissements dans les programmes immobiliers, s'ils ont permis depuis 1987, date du programme immobilier Chalandon, de fermer nombre d'établissements parmi les plus vétustes, ils ont en revanche été insuffisants pour assurer l'entretien du parc existant, d'où une dégradation des conditions de détention, qui sont aussi, dans l'administration pénitentiaire, les conditions de travail de nos agents.

Ces phénomènes, pour ne citer que les plus structurants, illustrent assez les difficultés qui entravent aujourd'hui l'action de l'administration pénitentiaire. Mais ils peuvent aussi convaincre d'une chose, pour peu qu'on les considère dans le temps long : c'est que la réponse à ces défis doit être politique et sortir du balancier entre le tout carcéral – construire de nouvelles places – et le tout probation, pour dire les choses de manière impropre mais parlante.

Une politique pénitentiaire équilibrée doit s'appuyer sur deux jambes, et d'abord sur un programme immobilier ambitieux. Nous manquons en effet de places en maisons d'arrêt dans les zones très fortement surpeuplées, mais également en établissements pour peine, ces établissements pour peine que nous voulons d'un genre nouveau où les détenus puissent préparer activement leur sortie et éviter les sorties sèches, qui fabriquent la récidive. Il nous faut également un programme immobilier qui n'oublie pas l'entretien du parc existant, dont la remise à niveau ne peut attendre que soit atteint l'objectif encore lointain de l'encellulement individuel. Ce chantier-là est ouvert, c'est celui de la loi de programmation pour la justice, qui sera discutée devant le Parlement à partir du printemps.

Notre second appui, et donc notre seconde priorité d'action pour la pénitentiaire, c'est évidemment la mise en place d'un système de peine efficace, qui doit faire l'objet du cinquième chantier ouvert par le Premier ministre et la garde des Sceaux, le 6 octobre dernier. Comment doit évoluer la réponse pénale ? Sur la détention provisoire, dix-sept ans après la loi sur la présomption d'innocence, a-t-on tout essayé ou peut-on réfléchir – comme il y a dix ans avec le placement sous surveillance électronique (PSE) – aux moyens de développer, par exemple, le recours à l'assignation à résidence sous surveillance électronique ? Comment peut-on alléger le rôle des commissions d'aménagement des peines pour leur permettre de se recentrer sur leurs tâches essentielles ? Jusqu'où est-on allé dans la juridictionnalisation du droit de l'application des peines ? Comment peut-on décentrer notre système de peines de la peine d'emprisonnement, et promouvoir à égalité de considération les peines qu'on qualifie encore, de manière symptomatique, de peines alternatives – je pense notamment aux travaux d'intérêt général (TIG) ou au PSE ?

Voici, madame la présidente, les quelques pistes que je voulais tracer pour ouvrir notre discussion.

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