Vous m'avez interrogé, madame la présidente, sur la régulation budgétaire. On a longtemps considéré que l'essentiel de l'effort de régulation budgétaire au sein du ministère de la justice portait sur les services judiciaires. Aujourd'hui, même si cette idée demeure ancrée dans les esprits, l'effort est beaucoup plus équitablement réparti entre les grandes directions en réseau du ministère, ce qui signifie que l'administration pénitentiaire prend davantage sa part dans l'exercice de régulation budgétaire infra-annuel. Ce rééquilibrage était indispensable, sachant que les deux grandes directions du ministère, les services judiciaires d'une part, les services pénitentiaires d'autre part, pèsent chacune pour 40 % de la mission « Justice ».
Par ailleurs, l'administration pénitentiaire se caractérise par la part importante des crédits de fonctionnement et d'investissement dans son budget. Or, lorsque il y a des arbitrages à prendre en cours d'année, il est toujours plus facile et moins douloureux, en tout cas moins immédiatement douloureux, de différer des programmes d'investissement que de tailler dans les crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, des services judiciaires ou de la protection judiciaire de la jeunesse.
Cela explique pour une large part le rééquilibrage qui s'est opéré pour l'essentiel sous la précédente législature et qui fait qu'aujourd'hui l'administration pénitentiaire assume entre 40 et 60 % des efforts du ministère de la justice, lesquels pèsent prioritairement sur son programme immobilier. Mieux vaut en effet retarder un projet de construction que de mettre en difficulté des fournisseurs, en tout cas tant que les travaux n'ont pas été lancés car, dans ce dernier cas, les intérêts moratoires ou les indemnités de dédit peuvent coûter très cher.
Quoi qu'il en soit, la régulation budgétaire est pour partie responsable des fréquents retards subis par les programmes immobiliers pointés par le rapport remis au Parlement le 20 septembre 2016, lequel avait servi de base à la réflexion sur le programme immobilier lancé à la fin du précédent quinquennat.
J'ajoute que ces coupes budgétaires ont une deuxième conséquence : elles affectent également les crédits destinés à l'entretien du parc existant, qui vieillit d'autant plus vite qu'il est suroccupé.
Cela m'amène à la question des réhabilitations prévues. Il y a deux manières de réhabiliter un établissement pénitentiaire. La première consiste à fermer intégralement l'établissement. C'est ainsi que l'on a procédé ces trente dernières années, car la plupart des établissements avaient souffert d'un tel sous-investissement qu'il était difficile de faire autrement. Cela renchérit pourtant considérablement le coût des programmes car, pour augmenter la capacité d'accueil nette, il faut construire davantage puisque on commence par fermer un établissement avant d'ouvrir le nouveau. À titre d'exemple, le nouvel établissement d'Aix-en-Provence que nous allons bientôt réceptionner a une capacité de 732 places, mais il n'accroîtra en réalité la capacité d'accueil globale de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille que de 200 places.
La première méthode consiste donc à fermer purement et simplement un établissement dont on estime le coût de réhabilitation trop élevé. La seconde, utilisée notamment quand l'établissement a une capacité importante dont on ne peut pas se passer sur le territoire en question, est d'entreprendre une réhabilitation lourde. Nous l'avons fait à Fleury-Mérogis et à la Santé ; nous sommes en train de le faire aux Baumettes ; et nous serons probablement obligés de le faire à Fresnes. À chaque fois, le coût de la réhabilitation s'élève à plusieurs centaines de millions d'euros. Pour la Santé, je ne peux pas vous donner un montant précis car il s'agit d'un partenariat public-privé (PPP) où il faut distinguer coût de construction, loyer et dette financière. À Fleury-Mérogis, la réhabilitation a pris plus de quinze ans et a coûté plus de 400 millions d'euros.
Plutôt que d'entreprendre des opérations de réhabilitation lourdes, la voie habituelle est de consentir un effort régulier d'entretien des établissements. Il vaut mieux les maintenir à niveau grâce à un effort de maintenance plutôt que d'être obligé, tous les trente ans, de les fermer ou de les reconstruire. Dans un programme immobilier, il existe deux types d'investissements : ceux qui servent à construire des places neuves ; ceux qui visent à entretenir le parc existant et qui ne sont pas à négliger si l'on ne veut pas avoir à refaire les établissements quasiment à neuf quelques décennies plus tard. Si la prison de Fleury-Mérogis avait été mieux entretenue depuis sa construction en 1967, nous n'aurions sans doute pas été obligés de dépenser 400 millions d'euros en quinze ans pour la restaurer.
En réponse à votre question, madame Untermaier, je dirais que le programme 15 000 s'inscrit en rupture avec tous ceux qui l'ont précédé.
Les programmes immobiliers conçus depuis 1987 – 13 000, 4 000, 13 200, le Nouveau programme immobilier (NPI) et autres – ont été élaborés à partir de trois critères : vétusté, surpopulation, rattrapage en faveur des territoires d'outre-mer. La fermeture des établissements les plus vétustes a été la grande affaire des deux dernières décennies. Les prisons de Lyon, la prison Saint-Michel de Toulouse, les prisons de Nancy ou de Strasbourg figuraient parmi les établissements les plus indignes. Même s'il en reste, les grosses structures très dégradées ont été réhabilitées ou fermées au cours des trente dernières années. Les programmes ont aussi tenu compte de la surpopulation et donc la capacité d'accueil insuffisante de tel ou tel établissement. Enfin, au cours de la dernière décennie, un effort spécifique de rattrapage a été consenti en faveur des territoires d'outre-mer, au sens large.
Le programme 1 000 marque une rupture méthodologique : la cartographie des besoins est établie à partir de projections concernant la population pénale à l'horizon 2027, en raisonnant toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire à politiques pénales inchangées. Cette précision n'est pas anodine pour les parlementaires que vous êtes. À partir de la population pénale estimée en 2027, on calcule l'écart entre les projections et les capacités existantes. Ces données sont ensuite redressées, c'est-à-dire affinées pour tenir compte des places qui seront livrées dans l'intervalle et aussi des anomalies statistiques. Quand on prolonge une tendance, il faut intégrer l'influence de phénomènes extraordinaires, en l'occurrence les fermetures ou les ouvertures d'établissements qui produisent des variations artificielles de la population pénale de tel ou tel département.
Prenons l'exemple du département de l'Oise et essayons d'évaluer sa population pénale en 2027, en prolongeant la tendance observée pendant la période 2014-2016. Il va falloir intégrer le fait qu'un centre pénitentiaire a été ouvert dans ce département, dont la capacité d'accueil est bien supérieure aux capacités cumulées antérieures des maisons d'arrêt de Beauvais et de Compiègne. L'augmentation de la population pénale de l'Oise ne doit absolument rien à l'évolution de la délinquance dans ce département. Elle est artificielle, en quelque sorte : l'administration pénitentiaire a créé des places dans l'Oise pour essayer de désencombrer les établissements franciliens.
Une fois ces corrections effectuées, on en déduit une carte des besoins. On repère des territoires, dans chaque département, où le besoin de création sera au moins égal à 150 places à l'horizon 2027, c'est-à-dire dans dix ans. La capacité à construire est ensuite déterminée en fonction des besoins du département en question et des départements immédiatement limitrophes. Si le Nord avait besoin de 500 places et le Pas-de-Calais de 120 places, nous construirions 620 places dans le Nord. Ces chiffres sont totalement fantaisistes car les besoins sont très supérieurs à ces chiffres dans ces départements où deux établissements sont prévus.
Voilà la manière dont a été établie la carte du programme 15 000, sur laquelle nous continuons à travailler. Les recherches de terrains se font dans les départements identifiés, les trente-deux agglomérations qui doivent accueillir une nouvelle maison d'arrêt d'une capacité qui varie entre 150 et 600 places. Avec le centre de détention prévu en Guadeloupe, nous arrivons à trente-trois structures. Il y aura aussi des quartiers de préparation à la sortie (QPS), des établissements pour peine d'un genre nouveau, dotés de 90 à 120 places, dont le besoin a été identifié dans des agglomérations particulières où se manifeste un besoin d'accompagnement des sortants de prison.
Madame Lorho, votre question s'adresse plus à un ministre qu'à un directeur de l'administration pénitentiaire.