Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du mardi 21 novembre 2017 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire :

Monsieur Gosselin, je ne peux que vous répéter ce qu'a dit la ministre : les arbitrages concernant le projet de loi de programmation pour la justice devraient avoir lieu au tout début de l'année 2018 ; la présentation du texte se ferait en février ou en mars et la discussion se déroulerait au printemps. C'est une annonce politique. Je n'ai pas à confirmer le calendrier du Gouvernement, et moins encore celui du débat au Parlement.

Vous m'avez aussi interrogé sur la hiérarchisation du programme 15 000. Une fois les besoins localisés, il faut en effet les hiérarchiser en fonction de l'urgence des situations. Dans ce programme immobilier, nous avons lié l'urgence à la surpopulation qui existe dans les maisons d'arrêt de certaines régions, l'Île-de-France et PACA en tête. Il se trouve que les régions dans lesquelles il est difficile de trouver du terrain sont aussi celles dans lesquelles il est prioritaire de construire des établissements.

Le deuxième critère – j'espère que nous n'aurons pas l'utiliser car il est subsidiaire – est celui de la disponibilité du foncier. Dans certaines régions, la phase de prospection foncière puis d'acquisition pourrait prendre du temps, en particulier si des procédures d'expropriation sont nécessaires. En raison de ces contraintes, des opérations jugées urgentes pourraient ne pas être dans la toute première vague de constructions.

La problématique est différente pour les quartiers de préparation à la sortie, des structures plus petites et moins sécurisées, qui sont construites en ville. La première phase pourrait démarrer plus tôt dans le quinquennat pour ces quartiers car les préfets – et mêmes les collectivités – nous ont déjà fait de nombreuses propositions foncières.

Monsieur Questel, vous m'avez interrogé sur l'adéquation entre la programmation immobilière et la réforme pénale. Comme je vous le disais en conclusion de mon propos introductif, cela n'a pas grand sens d'axer une politique pénitentiaire uniquement sur un programme de construction immobilière. D'une part, tout projet de construction prend du temps à sortir de terre. D'autre part, nous devons constater qu'à part quelques exceptions, les pays voisins ont réussi à adopter des réformes pénales qui ont eu un impact mesurable et important sur leur population pénale. Dans notre système pénal, la peine de référence est l'emprisonnement alors que nous pouvons en mesurer les difficultés d'application pratique au quotidien à travers la surpopulation carcérale et l'état de certains de nos établissements pénitentiaires. Ce système ne doit-il pas évoluer ? Seule la représentation nationale peut répondre à cette question politique.

M. Poulliat est revenu sur le cas de Gradignan, ce qui me permet d'apporter une correction concernant les chiffres que je vous ai cités s'agissant d'Aix-en-Provence. Ils concernent en fait Bordeaux-Gradignan où la réhabilitation d'établissements permettra de passer de 436 places à 600 places. Les 164 nouvelles places représenteront une charge de 125 millions d'euros. La réhabilitation coûte cher. Les établissements de Gradignan et de Fleury-Mérogis ont été construits par le même architecte à la fin des années 1960. Les bâtiments ont vieilli mais ils présentent beaucoup d'intérêt sur le plan architectural et nous essayons de nous en inspirer pour d'autres opérations, notamment pour celle de Marseille.

Je rejoins là votre question sur l'insertion des établissements pénitentiaires en milieu urbain. Dans la circulaire qui donne pour mission aux préfets de chercher des terrains pour le programme 15 000, il est clairement indiqué qu'il s'agit de ne pas reproduire l'erreur commise dans le passé : avoir construit des établissements non pas là où se trouvait le besoin mais là où le foncier était disponible.

Au début des années 1990, pour disposer au plus vite de prisons de capacité importante, on les a construites là où le foncier était peu cher et disponible, ce qui a donné naissance au programme 13 000 et à certaines opérations des programmes 4 000 et 13 200. Trente ans plus tard, ces établissements ont beaucoup de mal à fonctionner, en particulier parce qu'il est difficile d'y attirer des agents. Faute de personnel, les capacités d'accueil de certaines prisons ne sont pas pleinement utilisées. Ces difficultés se ressentent dans la qualité de la prise en charge des détenus. Situées en dehors de tout tissu urbain et même périurbain, ces prisons peinent à attirer des agents mais aussi à nouer des partenariats avec les autres services publics et avec le tissu associatif. Or ces liens sont nécessaires pour faire fonctionner la politique d'aménagement des peines. Il est impossible d'aménager les peines sans partenariat avec l'éducation nationale, les organismes de la formation professionnelle, les entreprises qui fournissent du travail en concession, les associations qui accompagnent les détenus vers la sortie.

Il faut concevoir des établissements reliés aux partenaires et aux services dont ils ont besoin pour fonctionner. En conséquence, le programme 15 000 prévoit deux choses. Premièrement, les QPS seront systématiquement construits en ville. Pour la première fois depuis des décennies, on va reconstruire des prisons dans la ville. Deuxièmement : les terrains proposés par les préfets pour la construction de maisons d'arrêt doivent être situés en agglomération, c'est-à-dire que les prisons seront connectées aux services publics essentiels et aux partenaires avec lesquels elles devront travailler, contrairement à celles qui ont été construites dans les années 1990 sur des terrains qui ne permettent pas au service public pénitentiaire de fonctionner convenablement.

Ce critère de la localisation a donc, en effet, été intégré dans notre réflexion. C'est même l'une des raisons pour lesquelles les préfets ont du mal à nous proposer du foncier dans certaines régions. Nous avons été inflexibles sur la localisation des terrains. Cette fois, nous n'avons pas accepté de terrains situés dans des espaces ruraux très éloignés de tout centre urbain. À la limite, nous pourrions retenir ce type d'emplacement pour construire des maisons centrales où sont incarcérés les détenus qui purgent de très longues peines et qui sont en rupture de liens sociaux et familiaux. Mais ce programme ne prévoit aucune maison centrale, dans la mesure où plusieurs établissements de ce type ont été construits depuis le début des années 2010.

Madame Obono, je vais compléter la réponse que Mme la garde des Sceaux a déjà eu l'occasion de vous faire lors de l'examen du projet de loi de finances en séance publique.

Il n'y a aucun doute sur le fait que le placement à l'extérieur est, pour reprendre une expression que je récuse par ailleurs, une peine alternative à la détention efficace et utile dans le panel des aménagements de peine.

Les crédits que le Parlement a alloués ces dernières années à l'administration pénitentiaire pour mettre en oeuvre le placement extérieur ont été systématiquement sous-consommés. Dans le projet de loi de finances pour 2018, les crédits ouverts par le Parlement à l'administration pénitentiaire sont en baisse mais la dotation en loi de finances initiale a été supérieure à notre dépense en 2016. Avec la direction du budget, nous avons considéré qu'il était plus raisonnable de rapprocher la dotation du niveau réel de nos dépenses tout en se laissant une marge de progression. En 2016, nous n'avons dépensé que 6 millions sur les 9 millions de crédits ouverts. Pour 2018, la dotation est de 7 millions. Cela ne signifie pas qu'il y a une diminution de 2 millions des crédits consacrés aux placements extérieurs mais qu'il reste une marge d'un million pour progresser l'année prochaine.

Pourquoi n'a-t-on pas davantage recours aux placements extérieurs ? Il s'agit d'un aménagement de peine compliqué à mettre en place, qui nécessite que les établissements et les services pénitentiaires d'insertion et de probation nouent des partenariats de longue durée avec des associations capables d'accueillir les personnes condamnées.

Le débat subventions vs marchés publics, qui traverse depuis longtemps l'administration pénitentiaire, n'est pas de nature idéologique mais purement juridique. Nous n'avons pas choisi de recourir aux appels d'offres mais cela ne serait pas illégitime. Tout d'abord, les prestations couvertes entrent bien dans le champ de la commande publique, même s'il faut être lucide : à proximité d'un établissement donné, il n'y aura pas une myriade d'associations en mesure d'assurer des placements extérieurs. Ensuite, cela aurait l'avantage d'offrir à ces structures des perspectives budgétaires pluriannuelles. Il n'y a donc pas que des craintes à avoir.

Monsieur Huyghe, comme la ministre vous l'a déjà dit, l'administration pénitentiaire n'aura pas recours aux PPP pour les constructions relevant du prochain programme immobilier. La Cour des comptes publiera prochainement un rapport qui dresse le bilan des PPP lancés depuis la fin des années 2000 dans le domaine pénitentiaire. Pour résumer à gros traits, il ne se conclut pas par une critique en règle de ces partenariats mais par le constat de l'inadéquation de ce mode de financement aux besoins – je ne me hasarderai pas à dresser semblable bilan pour les piscines olympiques ou les systèmes de chauffage urbains. Il est certain que l'administration pénitentiaire n'a pas intérêt à s'enfermer dans une relation contractuelle sur vingt-cinq à trente ans car ses missions sont en perpétuelle évolution : les établissements pénitentiaires doivent s'adapter en permanence à des changements de normes de sécurité ou à de nouvelles conditions de prise en charge. Prenons l'exemple de la reprise des extractions judiciaires : le transfert vers le ministère de la justice a nécessité la construction des pôles régionaux d'extraction judiciaire à proximité des établissements pénitentiaires mais aucun chantier n'a pu passer par le PPP tant les tarifs proposés, en l'absence de remise en concurrence, étaient déraisonnables pour l'administration pénitentiaire.

Vous m'interrogez sur la spécialisation des établissements pénitentiaires à construire. Le programme de construction de 15 000 places de prison supplémentaires regroupe deux types d'établissements : trente-deux maisons d'arrêt et un centre de détention en Guadeloupe, qui a un besoin spécifique en établissement pour peine de grande capacité ; seize quartiers de préparation à la sortie, catégorie nouvelle d'établissements pour peine. Il s'agit de petites structures dédiées implantées en ville avec un niveau de sûreté adaptée, qui se construisent plus vite pour un moindre coût. Elles visent à éviter les sorties sèches pour les détenus dont la peine restant à subir est inférieure à deux ans ou qui ont été condamnés à des courtes peines, de six mois à un an. Les maisons d'arrêt, compte tenu de la surpopulation, n'ont absolument pas les moyens de préparer leur sortie. Nous sélectionnerons les détenus dont les chances de réinsertion sont les plus élevées, ce qui permettra d'adapter le niveau de sûreté, pour dire les choses clairement.

Contrairement au programme immobilier antérieur, ce nouveau programme ne prévoit pas de nouvelles maisons centrales puisque deux maisons de taille importante et trois de plus petite capacité ont été construites depuis 2010.

Enfin, s'agissant de la taille des établissements pénitentiaires du programme 15 000, je préciserai que les QPS auront une capacité de 90 à 120 places et les maisons d'arrêt de 400 à 600 places. Nous sommes partis du principe que les maisons d'arrêt avaient une capacité maximale de 500 à 600 places. Il faudra cependant s'interroger sur cette limite dans les départements où les besoins sont les plus importants, c'est-à-dire les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes et les sept départements franciliens. Là encore, c'est une question qui sera arbitrée dans le cadre de la loi de programmation pour la justice.

Autre question : dans quelle mesure l'administration pénitentiaire doit-elle intégrer des considérations d'aménagement du territoire dans son programme d'investissements immobiliers ? Celui-ci a été conçu à partir de critères qui sont essentiellement pénitentiaires. Il vise à répondre à des besoins qui correspondent à ceux des bassins de délinquance, lesquels se trouvent généralement dans des zones plus urbaines que rurales. Par ailleurs, il s'écarte de la tendance à construire en zones non urbaines qui a prévalu du début des années 1990 jusque dans le milieu des années 2000 car force a été de constater que ces établissements fonctionnent mal. Le service public pénitentiaire ne se résume pas à enfermer et à surveiller, il prépare aussi la sortie en s'appuyant sur des partenaires. Or ceux-ci sont beaucoup plus difficiles à trouver en dehors des grandes agglomérations. Nous avons privilégié, pour les QPS, des emplacements en ville et, pour les maisons d'arrêt, des grandes améliorations comme Nice, Marseille, Nantes et l'Île-de-France.

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