Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du mardi 21 novembre 2017 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire :

Monsieur Schellenberger, notre objectif est de parvenir à cinq heures d'activité par détenu et par jour. Le financement a commencé à la fin du précédent quinquennat grâce aux crédits du plan anti-terrorisme qui n'ont pas été uniquement consacrés à des dépenses de sécurité. Au service général et au travail en concession, s'ajoute la formation professionnelle.

Ces crédits continuent d'augmenter : le projet de loi de finances pour 2018 prévoit 1,5 million d'euros supplémentaires pour continuer à financer l'augmentation des heures d'activité proposées. Nous devrions finir l'année 2018 à quatre heures et demie par détenu et par jour. Ce chiffre est une moyenne qui recouvre de grandes disparités. Il est beaucoup plus facile de proposer des activités dans les établissements pour peine. Dans les maisons d'arrêt, où le taux d'occupation est de plus de 200 %, les activités se limitent aux promenades et à la pratique sportive. La surpopulation fait perdre en qualité au service public pénitentiaire.

Aucun établissement n'a de difficulté pour financer le recours au service général. Dans les maisons d'arrêt, c'est souvent la seule activité rémunératrice que l'administration est en mesure de proposer aux détenus les plus démunis, qui bénéficient aussi de la prise en charge de l'indigence.

S'agissant du travail en concession, vous avez rappelé les difficultés que nous rencontrons. Pour attirer des concessionnaires, il ne suffit pas d'avoir une main-d'oeuvre très bon marché, comme l'est la main d'oeuvre pénitentiaire. Les espaces d'activité sont quelquefois insuffisants dans les établissements les plus anciens, voire inexistants. Les établissements pour peine construits dans les années 1990 ou 2000 sont loin de tout bassin d'emploi, donc loin des associations, des services publics. Les chefs d'établissement, dont l'une des fonctions est de faire de la prospection auprès des entreprises de leur bassin, rencontrent des difficultés pour attirer de l'activité. À cela s'ajoutent les contraintes pénitentiaires, d'horaires, d'accès, de sécurité.

Autre élément qu'il ne faut pas sous-estimer : la population pénale n'est pas la mieux insérée à l'origine sur le marché de l'emploi. Nous nous heurtons à un problème d'employabilité : ponctualité des détenus, productivité, capacité à s'engager dans la durée auprès d'un concessionnaire, donc à honorer les commandes. La formation professionnelle a toute son importance. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés, pendant l'année qui vient de s'écouler, d'avancer dans la négociation pour trouver un accord en matière de formation professionnelle avec les régions, d'autant que certaines se sont beaucoup désengagées dans l'attente d'un compromis avec l'administration pénitentiaire depuis deux ans que le transfert de compétence a été intégré dans la loi.

De ce point de vue, la rémunération horaire renvoie davantage à un problème d'exécution qu'à un problème structurel. Elle correspond à une obligation légale, posée par la loi pénitentiaire de 2009 et la DAP, direction du ministère de la justice, se doit d'appliquer le droit. Dans les établissements passés à la rémunération horaire, il n'y a pas eu d'impact aussi négatif qu'on nous l'avait prédit sur l'offre d'emplois. Ce qui a eu la plus forte incidence sur l'offre d'emplois dans les établissements pénitentiaires depuis dix ans, c'est la crise économique. Les concessionnaires se sont désengagés faute de commandes.

J'en viens à l'attractivité des métiers pénitentiaires. C'est un aspect qui n'a pas été suffisamment pris en compte dans les dernières années. Je pense, en caricaturant à peine, qu'on s'est trop longtemps contenté de se dire qu'il n'y avait pas d'inquiétudes à avoir en matière de recrutement puisque, dans un contexte de chômage élevé, étaient proposés au concours des emplois de fonctionnaires de catégorie C – niveau brevet des collèges et non pas bac comme pour les gardiens de la paix – avec de belles perspectives de carrière. L'administration pénitentiaire permet encore une forte promotion sociale : le surveillant peut devenir officier, puis conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation, voire directeur – beaucoup de directeurs sont sortis du rang. Aujourd'hui, nous sommes rattrapés par cette imprévoyance et nous ne parvenons pas à recruter les volumes d'emplois que le Parlement nous accorde.

Ces difficultés de recrutement tiennent à plusieurs raisons.

Premièrement, nous n'avons pas de discours très construit sur nos métiers, y compris sur leur diversité. Nous devons montrer que le métier de surveillant ne se résume pas aux coursives.

Deuxièmement, nous n'avons pas suffisamment réfléchi à la manière de fidéliser, y compris à travers un régime indemnitaire, nos personnels dans les établissements les plus compliqués, ce que la police nationale a fait depuis des années pour les agents affectés dans des quartiers difficiles. Le projet de loi de finances pour 2018 nous offre toutefois une première piste pour le faire.

Troisièmement, nous n'avons pas suffisamment réfléchi à l'organisation de notre recrutement : à quel public nous adresser ? Comment communiquer ? Comment sortir de la concurrence effrénée entre services publics sécuritaires ? L'administration pénitentiaire a du retard, à l'évidence, sur la police et la gendarmerie nationales mais aussi sur les armées.

Le recrutement est un sujet de préoccupation pour nous. Des réflexions sont en cours et je ferai des propositions à la garde des Sceaux dans les mois qui viennent.

Monsieur Diard, vous m'interrogez sur les besoins en matière de renseignement pénitentiaire, notamment à Fresnes. Les services de renseignement n'ont pas pour habitude de communiquer des données sur leurs effectifs et leur répartition fine sur le territoire. Nous pouvons dire que la situation n'est pas satisfaisante à Fresnes et de manière globale dans les établissements pénitentiaires. Cela s'explique par des raisons historiques : il n'y a qu'un seul délégué local à Fresnes alors qu'il y en a six ou sept aux Baumettes, ce qui n'est pas proportionnel aux besoins. Fresnes fait partie des établissements de la région parisienne, or on sait qu'y sont concentrés une bonne part des profils difficiles, notamment les prévenus suivis par la section C1 anti-terroriste du parquet de Paris.

Dans les années qui viennent, les recrutements que nous autorise le Parlement pour renforcer les services de renseignement pénitentiaire seront massivement fléchés vers les établissements pénitentiaires, particulièrement vers les grandes structures qui n'ont pas été pourvues à proportion de leurs besoins. Pour l'administration centrale et l'échelon interrégional, une bonne part de l'effort a déjà été consentie ces dernières années.

S'agissant des fouilles, les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 ont été pendant longtemps vivement critiquées par le personnel pénitentiaire qui considérait qu'elles ne permettaient plus de procéder à des fouilles non individualisées, comme on dit dans notre jargon, c'est-à-dire les fouilles justifiées par d'autres motifs juridiques que la personnalité du détenu. Le nouvel alinéa ajouté par la loi de juin 2016 a, pour l'essentiel, répondu aux attentes. Toutefois, ses dispositions ont mis du temps à être appliquées dans les établissements pénitentiaires. Il y a donc un décalage entre l'évolution juridique et la perception de la situation effective. Nous n'avons pas suffisamment accompagné les personnels, notamment les cadres et les chefs d'établissement qui décident de ce type de fouilles, par des notes de service qui auraient permis de les rassurer. Nombre d'entre eux ont continué à considérer que le cadre juridique n'était pas fermement établi. C'est la raison pour laquelle ils n'ont pas mis en oeuvre ces nouvelles dispositions.

L'état des lieux de la mise en oeuvre de l'article 57 modifié, que j'ai demandé lorsque j'étais directeur par intérim, a montré que les pratiques avaient très peu évolué dans les établissements. Là où les fouilles non-individualisées étaient tombées en désuétude, le recours aux nouvelles dispositions n'a pas augmenté, même dans les établissements sensibles, y compris en région parisienne. À l'inverse, là où il y avait un recours massif, notamment au retour de parloir, aux fouilles non-individualisées – ce qui n'était d'ailleurs sans doute pas conforme au droit –, on n'a pas observé de diminution. Autrement dit, le deuxième alinéa de l'article 57-2 n'a eu d'effets ni dans un sens ni dans un autre.

J'ai publié cet été une nouvelle circulaire d'application de cet article : elle réexplique clairement aux cadres et aux agents les conditions juridiques dans lesquelles ils peuvent, en toute sécurité, avoir recours à ces dispositions. Par ailleurs, j'ai mis en oeuvre un dispositif de suivi mensuel qui permet un meilleur pilotage qu'un bilan annuel.

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