En matière de suivi psychiatrique dans les établissements pénitentiaires, une étape majeure a été franchie avec la réforme de 1994 qui, en transférant le suivi somatique et psychiatrique des détenus au secteur hospitalier de droit commun, a permis des avancées considérables dans la prise en charge sanitaire de la population pénale. Elle a sorti l'hôpital de la prison : un détenu malade est un malade avant d'être un détenu.
La prise en charge est cependant dépendante de l'offre de soins disponible dans les zones où sont implantés les établissements. Tout établissement pénitentiaire est en effet rattaché à un centre hospitalier, somatique ou psychiatrique. Or la population pénale que nous gérons n'est pas seulement éloignée de l'emploi, en rupture de liens familiaux et sociaux et issue de parcours de délinquance, elle est aussi très souvent d'une santé plus fragile que la moyenne de la population générale et a besoin de soins renforcés pour certaines pathologies spécifiques. Je pense en particulier aux addictions et, de plus en plus dans les établissements pour peine, à la prise en charge de la dépendance compte tenu de l'allongement de la durée des peines et du vieillissement de la population pénale.
En matière de suivi psychiatrique, précisons que tout détenu arrivant dans un établissement pénitentiaire fait l'objet d'un entretien systématique sur le plan somatique et psychiatrique. La prise en charge spécifique de la santé psychiatrique des détenus s'est beaucoup renforcée ces dernières années avec la création des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).
Avant de se poser la question de mettre en place une nouvelle vague d'UHSA, j'aimerais qu'un bilan soit dressé pour la première vague. C'est une chose dont nous sommes convenus avec le ministère de la santé. Vous savez que la stratégie nationale de santé 2018-2022 est en cours d'élaboration et qu'elle comporte un volet relatif aux populations à risques spécifiques, dont les personnes détenues.
En ce qui concerne la sortie, ce qui se passe après n'est plus de notre ressort, et il peut arriver que des détenus ayant purgé une courte peine en maison d'arrêt, où ils étaient suivis grâce à des moyens adaptés, subissent à leur sortie une rupture dans leur prise en charge et leur parcours de soins.
Je mettrai cependant deux bémols à ce constat : d'une part, certains d'entre eux bénéficient d'aménagements de peine avec obligation de soins ; d'autre part, les profils les plus lourds font l'objet en détention d'une évaluation qui, au moment de leur demande d'aménagement de peine, peut conduire, en fonction de leur degré de dangerosité, à les maintenir en établissement pour s'assurer qu'ils bénéficient d'une prise en charge psychiatrique.
Monsieur Larrivé, la proportion moyenne de détenus étrangers est d'environ 20 %. Mais cette moyenne cache de grandes disparités territoriales car, dans certains territoires frontaliers, on atteint des proportions très supérieures. Ainsi, dans la zone Antilles-Guyane, l'établissement de Remire-Montjoly à Cayenne, qui est un cas extrême, accueille 60 % d'étrangers.
Parmi ces étrangers, la part d'individus sous le coup d'une interdiction du territoire français (ITF) représente une minorité non négligeable de 1 650 détenus, ce qui est un vrai problème et m'amène à votre seconde question sur les conventions bilatérales.
Il faut distinguer ici deux régimes, celui des ressortissants communautaires et celui des autres ressortissants. En ce qui concerne les premiers, ils peuvent, en vertu d'un règlement européen, faire l'objet d'une reconnaissance mutuelle de jugement (RMJ). Il faut pour cela que les parquets généraux prennent l'habitude de solliciter leurs homologues étrangers pour faire appliquer ce règlement communautaire qui permet, sans le consentement de l'intéressé mais sous certaines conditions et notamment si le reliquat de peine restant à subir est d'au moins 90 jours, de renvoyer le détenu exécuter sa peine dans son pays d'origine. Je n'ai pas les chiffres ici, mais je pourrai vous communiquer précisément le nombre de détenus originaires des différents États de l'Union européenne.
Pour ce qui est des ressortissants non européens, la question des conventions spécifiques – je pense notamment aux accords de réadmission comme il en existe aux Antilles avec Sainte-Lucie – ne relèvent pas de l'administration pénitentiaire mais sont un sujet de politique pénale internationale. La question se pose en particulier dans les départements français d'Amérique, mais, en tant que directeur de l'administration pénitentiaire, je n'ai pas une connaissance précise et actualisée de l'ensemble des accords de réadmission qui auraient pu être conclus entre la France et des États étrangers.
Monsieur Clément, la problématique de l'offre de soins psychiatriques a été indirectement prise en compte dans la territorialisation des 15 000 nouvelles places de prison, dans la mesure où ces places seront créées dans des agglomérations comme Marseille, Nice, Strasbourg, Paris, Lille, Lyon, Nantes ou Rennes, où se trouve également concentrée l'offre de soins et où les probabilités sont fortes que la qualité de la prise en charge soit satisfaisante.
Cela étant, nous n'avons pas calqué la carte de nos projets immobiliers sur celle des établissements hospitaliers spécialisés dans ce type de prise en charge ; j'ai précisé tout à l'heure quels étaient les critères de choix qui avaient prévalu.
Reste que, dans le cadre des efforts considérables qui ont été accomplis depuis quinze ans pour améliorer l'offre de soins aux détenus, nous disposons désormais des UHSA qui sont assez équitablement réparties sur le territoire.
La question de Mme Obono sur les très courtes peines rejoint la question que je posais en incise dans mon propos introductif : quel est le sens des très courtes peines ? À cette question, il y a deux manières de répondre. Soit on prête à ces courtes peines la vertu de provoquer chez le détenu un choc carcéral salutaire ; soit on fait le constat de leur inefficacité.
Si, dans le cas de personnes très insérées socialement, le choc carcéral peut effectivement produire son effet, et deux mois de prison servir de leçon à tout jamais, les très courtes peines qui viennent ponctuer un parcours de délinquance ne sont pas nécessairement un vaccin contre la récidive. Ces courtes peines en effet s'exécutent en maison d'arrêt, donc dans des établissements surpeuplés, où la préparation à la sortie et à la réinsertion sont minimales, car les moyens dont dispose le service public pénitentiaire pour mettre en oeuvre une prise en charge de qualité sur un délai aussi court sont limités. Dans le cas d'une peine inférieure à trois mois, on a à peine le temps de mettre en place les premiers parloirs, d'inscrire le détenu à des activités sportives ou autres, et vouloir mettre en place un projet avec un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation est assez illusoire.
Je rappelle d'ailleurs que certains pays d'Europe occidentale ont, sinon explicitement du moins dans les faits, renoncé au prononcé de très courtes peines. Je pense notamment à l'Allemagne, où les peines inférieures à six mois sont quasiment inexistantes dans le régime de peines fédéral. La question méritera donc sans doute d'être posée chez nous, dans le cadre du cinquième chantier de la réforme de la justice, qui portera sur l'efficacité des peines.
Monsieur Terlier, vous avez évoqué la question de la prise en charge des détenus radicalisés dans les petites structures. Il faut d'abord savoir que la France est davantage concernée par cette question des détenus radicalisés que les autres pays d'Europe occidentale. J'ai rencontré plusieurs de mes homologues européens, qui sont confrontés à une situation telle que nous la connaissions au milieu des années 2000.
La question se pose donc à l'administration pénitentiaire avec une acuité toute particulière tant en termes qualitatifs, c'est-à-dire en termes de prise en charge, qu'en termes quantitatifs, dans la mesure où les détenus incarcérés, c'est-à-dire soit prévenus soit condamnés, pour des faits liés à des infractions à caractère terroriste, ce qu'on appelle des « TIS » pour « terroristes islamistes », sont environ 500, auquel il faut ajouter un halo de 1 200 détenus radicalisés, c'est-à-dire les détenus incarcérés pour des faits de droit commun n'ayant rien à voir avec des infractions à caractère terroriste, y compris au sens élargi du terme.
Ces 1 700 individus identifiés représentent donc un problème massif au regard de la masse globale des 70 000 détenus. D'autant que ce chiffre cache une réalité fort complexe qui balaie tout le spectre de la radicalisation, depuis le jeune détenu influençable qui se sera fait circonvenir en prison par tel ou tel compagnon de détention charismatique mais ne constituera plus, à sa sortie, une cible pour nos services partenaires, jusqu'à certains détenus incarcérés depuis les attentats du milieu des années 1990 et qui n'ont jamais évolué dans leur structuration mentale, voire se sont endurcis, et dont la prise en charge constitue un tout autre enjeu.
Il ne peut donc y avoir de réponse uniforme, la prise en charge et le traitement en détention ne peuvent pas être les mêmes pour tous. Non seulement nous n'avons pas la place suffisante pour mettre 1 700 détenus à l'isolement mais, de surcroît, cela n'aurait aucun sens parce qu'ils ne présentent pas tous le même niveau de dangerosité.
Cette dangerosité se mesure à l'aune de deux critères : d'une part, le risque prosélyte, d'autre part, le risque de passage à l'acte violent, l'un et l'autre risque n'étant pas gérés de la même façon en détention. Ce qui les rapproche en revanche c'est qu'il s'agit de faits nouveaux : si l'administration pénitentiaire a l'habitude, depuis le début des années 1970, de gérer des terroristes, il ne s'agissait pas pour autant dans ces années-là de prosélytes, et jamais un détenu basque ou corse n'a tenté de convertir son quartier de détention à sa cause. Il faut désormais tenir compte de ce risque, notamment dans la manière dont ces détenus sont répartis – faut-il les disperser ou les regrouper au sein de structures ad hoc ? – au sein des établissements.
Quant au risque de passage à l'acte violent, il faut se garder d'en avoir une appréhension trop simpliste. Contrairement à ce que l'on observait dans la décennie précédente, les détenus radicalisés, pour les plus structurés d'entre eux, sont davantage dans la dissimulation que dans l'affichage ostentatoire de leurs convictions religieuses ou politiques, ce qui explique d'ailleurs que nos grilles de repérage ont beaucoup évolué ces dernières années. Pour le dire à gros traits, il suffisait, pour repérer un détenu radicalisé dans les années 2000, de constater qu'il rendait sa télévision, se laissait pousser la barbe, ne descendait plus aux promenades, portait une djellaba et retirait des murs de sa cellule les photos un peu lestes. Aujourd'hui, les choses sont devenues infiniment plus complexes, et ce sont d'autres critères qui permettent de déceler une éventuelle radicalisation, au travers de l'observation du comportement et de signes beaucoup plus impressionnistes, comme, par exemple, les hésitations ou les réticences dont un détenu peut faire montre vis-à-vis du personnel féminin.
Il y a donc un vrai travail de repérage à effectuer, qui incombe à l'ensemble du personnel pénitentiaire et ne relève pas uniquement des services de renseignement. Si ces derniers collectent et traitent l'information, le repérage est avant tout l'oeuvre des personnels pénitentiaires, du bas en haut de la hiérarchie. D'où l'importance de la diffusion des grilles de détection.
Si un détenu présente un risque majeur, il est envoyé dans l'un des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) qui ont été créés à Osny, Fresnes et Fleury-Mérogis. Dans le cadre du prochain comité interministériel de la prévention de la délinquance et la radicalisation, le Premier ministre et la garde des Sceaux préciseront les objectifs pour l'année 2018. Pour ma part, je peux vous tracer les grandes orientations qualitatives de la DAP.
Nous voulons augmenter la capacité d'accueil de ces QER dès le premier trimestre de 2018. Les trois structures situées à Osny, Fresnes et Fleury-Mérogis ont une capacité de 20 places chacune, et elles accueillent de 12 à 13 détenus pendant des sessions de quatre mois. Il est important de noter qu'il n'y a pas d'entrées permanentes dans un QER ; ce n'est pas une file active ; les prises en charge ont un début, un milieu et une fin. À ce rythme, nous n'avons pu évaluer qu'une partie des 500 terroristes islamistes précédemment évoqués. Au cours de l'année à venir, nous voulons développer une capacité qui nous permette d'évaluer tout ce stock, puis le flux des entrants du même type, puis ceux que j'ai classés dans le halo des radicalisés.
Même si l'évaluation en QER se veut scientifique, nous continuons à construire la méthode en marchant. Cette prise en charge pluridisciplinaire au long cours est effectuée par des équipes dédiées qui produisent des enquêtes fouillées très appréciées par les magistrats instructeurs et généralement versées au dossier de procédure quand il s'agit de prévenus. Au cours des deux dernières années, nous avons beaucoup progressé sur le plan qualitatif ; nous devons faire de même sur le plan quantitatif.
Quand un détenu sort de QER, il y a trois possibilités.
S'il se situe en bas de spectre, il retourne en détention ordinaire mais continue à faire l'objet d'une vigilance spécifique, notamment de la part du renseignement pénitentiaire.
S'il présente le plus fort risque, il est placé à l'isolement dans des structures présentant le niveau de sûreté suffisant et des personnels formés pour accueillir ce type de profil. Pour répondre à votre remarque sur la prison d'Albi, j'indique qu'il est hors de question de placer ce genre de détenus à l'isolement dans de petites structures de province. Nous n'allons pas perturber de petites prisons qui accueillent une cinquantaine de détenus, en y introduisant un terroriste islamiste. Sur un total de 188 établissements, seulement 78 prisons ont vocation à accueillir ce type de profils. En deux ans, le nombre de ces établissements est passé de 27 à 65 puis à 78.
S'il se situe dans le milieu du spectre, il est affecté dans un quartier spécifique où les détenus de cette catégorie sont regroupés pour être pris en charge au long cours. Contrairement à ce qui se passe dans un QER, l'affectation n'y a pas d'autre limitation de durée que celle de la peine mais elle dépend de l'évolution du détenu concerné, prévenu ou condamné. Pour l'instant, il n'existe qu'une seule structure de ce type : l'ancien quartier maison centrale (QMC) de la prison de Lille-Annoeullin, qui compte 28 places. Lors du prochain comité interministériel, des annonces précises seront faites sur les créations qui sont prévues d'ici à la fin du premier trimestre de 2018.
En ce qui concerne les centres de détention ouverts, la DAP fait le bilan de l'expérience de Casabianda, en Corse, sachant que le projet pénitentiaire de cet établissement est surdéterminé par des conditions locales qui sont difficiles à reproduire. L'insertion de cet établissement dans son environnement est remarquable, de même que l'expérience qui s'y poursuit depuis soixante ans. Au cours des dernières années, nous avons pourtant dû constater que nous avions plus de difficulté à y affecter des détenus qu'à gérer un trop-plein de demandes ou d'orientations.
En l'état actuel, la réflexion de la DAP n'est pas assez aboutie pour que je puisse faire des annonces. Nous avons beaucoup réfléchi à la création d'un nouveau type d'établissements pour peine. Nous avons une réponse avec les QPS. Depuis un an, nous avons travaillé à l'élaboration de la doctrine d'emploi de ces quartiers, puisque les premiers doivent ouvrir dès 2018-2019. Nous allons commencer par reconvertir en QPS des structures existantes dans lesquelles nous avions du mal à orienter des détenus. Nous allons ainsi pouvoir tester le concept sans attendre la construction des QPS proprement dits qui devraient voir le jour un ou deux ans plus tard.
Dans ces nouvelles structures, nous voulons créer des conditions favorables pour que le service public pénitentiaire et tous ses partenaires proposent, de manière active, un programme de préparation à la sortie aux détenus venant de maisons d'arrêt. Cet accompagnement doit les aider dans leur recherche d'emploi, de formation professionnalisante, d'hébergement. Très souvent, les zones de surpopulation carcérale recoupent les zones tendues en matière de logement et d'hébergement. Passée la prise en charge en hébergement d'urgence, le sortant de prison se retrouve souvent à la rue, c'est-à-dire dans des conditions qui ne sont pas les plus favorables à la non-réitération des infractions.
Il existe des établissements pour peine - maisons centrales et centres de détention - qui gèrent des condamnés à de longues peines. Depuis un an, notre réflexion s'est plutôt focalisée sur des structures qui ne serviraient qu'à la préparation de la sortie des condamnés à de courtes peines, ce qui permettrait d'apporter une première réponse à la surpopulation dans les maisons d'arrêt sans attendre la construction des nouveaux établissements. Actuellement, nombre de condamnés sont en effet hébergés en maison d'arrêt alors qu'ils devraient être placés en établissements pour peine.
Autre avantage : l'orientation dans ces QPS sera à la main de l'administration pénitentiaire, contrairement aux mesures qui permettent d'écrouer dans des centres de semi-liberté (CSL). Ces mesures étant insuffisamment prononcées, certains CSL ne sont occupés qu'à 40 % de leur capacité d'accueil alors qu'ils sont situés dans des zones de forte surpopulation carcérale, ce qui est paradoxal. Une fois qu'elle aura repéré les personnes pouvant le mieux bénéficier de ce travail de préparation à la sortie, l'administration pénitentiaire pourra s'assurer de leur prise en charge dans ces QPS.