Les conditions de vie des détenus sont indignes de notre pays. La France, on le sait, a été condamnée à dix-neuf reprises par la Cour européenne des droits de l'homme en raison des conditions de détention violant l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui prohibe la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
L'une des principales causes de cette situation est la surpopulation carcérale. La France compte parmi les États européens où celle-ci est la plus nombreuse. Le taux d'occupation des prisons s'élève aujourd'hui à 105 % et, dans les maisons d'arrêt qui accueillent des personnes en détention provisoire ou dont la peine est inférieure à deux ans, il monte à 122 %. Je rappelle que la situation sanitaire a conduit à d'importantes libérations de détenus et que ces chiffres étaient bien plus élevés avant la crise, puisqu'ils étaient respectivement de 116 % et de 138 % début 2020, soit environ 70 000 détenus pour 61 000 places opérationnelles au total.
Le principe du placement en cellule individuelle est inscrit dans la loi depuis 1875. Pourtant, il ne s'est jamais concrétisé. Le taux d'encellulement individuel est seulement de 40 %. La grande promiscuité qui en résulte rend la détention invivable et inhumaine. Elle accroît aussi les tensions et l'insécurité dans les prisons, et complexifie le travail des personnels.
La proposition de loi vise à permettre aux détenus qui s'estiment victimes de conditions de détention particulièrement inhumaines de disposer d'un droit de recours effectif. En effet, actuellement, les détenus peuvent seulement effectuer un recours devant le juge des référés, non devant le juge judiciaire. Cette situation a été dénoncée par la CEDH, par la Cour de cassation et par le Conseil constitutionnel, qui a demandé au législateur d'agir dans sa décision du 2 octobre dernier en réponse à une QPC – question prioritaire de constitutionnalité. Ainsi, le texte met en ? uvre la demande formulée par le Conseil constitutionnel : les détenus pourront désormais saisir le juge judiciaire, s'ils estiment être victimes de conditions de détention indignes, et celui-ci pourra prononcer une libération du détenu sous certaines conditions, si les conditions de détention sont jugées contraires à la dignité humaine.
Nous accueillons cette amélioration du droit au recours des détenus de façon très favorable et le groupe Libertés et territoires soutiendra ce texte.
Toutefois, nous souhaitons alerter sur quelques points. Nous considérons que la décision de transfèrement doit faire l'objet d'un examen approfondi de la situation familiale du détenu. Il n'est pas concevable qu'un détenu se voit éloigné de sa famille. Ce problème est très important pour nous : de nombreux détenus sont obligés de vivre loin de leur famille, de leur terre, ce qui provoque des difficultés émotionnelles et matérielles qui pourraient être évitées. Le lien social et familial est pourtant crucial pour permettre la réinsertion dans la société des personnes condamnées.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous demandons depuis longtemps le retour des détenus, notamment en Corse, dans leur région d'origine, en application simple mais stricte de la loi. Faudra-t-il, là aussi, une énième condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour rappeler l'État à la raison et à la légalité ? Nous attendons – la Corse attend – de votre part, monsieur le ministre, et de vos services l'adoption d'actes justes, légaux, des actes immédiats de rapprochement, puisque toutes les conditions sont réunies.
Par ailleurs, la proposition de loi impose que les allégations mentionnées dans la requête déposée par la personne détenue soient circonstanciées, personnelles et actuelles. Ce caractère personnel est trop réducteur. Ainsi, si la proposition de loi est adoptée en l'état, un demandeur ne pourra se prévaloir d'être détenu dans un établissement surpeuplé, il devra expliquer précisément comment cette surpopulation l'affecte personnellement. Or les conditions indignes de détention sont non pas un problème individuel affectant certains détenus, mais global qui les touche tous. Il serait préférable de remplacer le caractère personnel par le caractère général.
Enfin, nous souhaitons insister sur le fait qu'il est nécessaire de réformer en profondeur notre système pénal pour éviter ces problèmes de surpopulation carcérale. Les peines alternatives devraient être développées de manière beaucoup plus massive. De nombreuses études l'ont mis en évidence : la prison produit des délinquants et l'incarcération systématique ne mène à rien ; elle doit être réservée aux délinquants les plus dangereux. Les peines alternatives éducatives, qui présentent l'avantage d'être plus efficaces pour prévenir la récidive, doivent être privilégiées dès que cela est possible.
Je le répète : nous soutiendrons cette proposition de loi, afin qu'elle puisse rapidement produire ses effets bénéfiques pour les personnes incarcérées. Néanmoins, que de temps perdu ! Heureusement que la Cour européenne des droits de l'homme est là pour faire bouger les lignes.