En introduction de mon propos, je souhaite, comme vous l'avez fait monsieur le garde des sceaux, exprimer toute ma reconnaissance aux personnels pénitentiaires, qui remplissent une mission majeure et attendue de la société, et ce dans des conditions de travail très difficiles. Je ne veux pas que les critiques sur la situation carcérale laissent penser que nous ignorons combien ce travail est immense et compliqué, combien il engendre de satisfactions, mais aussi de fortes déceptions, parfois de l'exaspération en raison du comportement de certains détenus. Ces personnels ont vécu le risque sanitaire de manière tout à fait exemplaire et sereine et apprécié la diminution de la population carcérale, qui a atteint un niveau inédit depuis vingt ans.
Nous le savons, la France est régulièrement condamnée pour des conditions de détention contraires aux dispositions de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. La proposition de loi vise donc à instaurer un droit de recours effectif pour les détenus qui subiraient un accueil de cette nature. Le texte se situe donc dans le registre de la réparation : ce n'est pas glorieux ! De plus, la création de ce recours nous est dictée par la CEDH, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.
Son introduction dans le droit positif emporte évidemment notre adhésion. On peut toutefois regretter que ce texte, qui n'est qu'une simple proposition de loi, ne traduise pas une ambition du Gouvernement sur un sujet qui méritait mieux que cette réponse minimale aux injonctions qui lui sont adressées. Je ne commenterai pas vos propos introductifs, monsieur le garde des sceaux, sur l'échelle des peines. Je souscris totalement à vos orientations, qui tirent d'ailleurs le fil de ce que nous avions commencé à faire dès 2016.
Sur le fond du texte qui nous occupe aujourd'hui, je ferai quatre remarques essentielles. La première est que nous prévoyons ici un effacement du juge au profit de l'administration pénitentiaire. Tout se passe comme si nous organisions un recours administratif préalable obligatoire – RAPO – après la saisine du juge, et non avant, alors que l'objet de notre action est de créer un recours effectif.
Priver le juge de la capacité d'une injonction immédiate s'il y a lieu nous semble contraire aux exigences qui nous sont rappelées par les diverses juridictions déjà citées. Placer le juge au second plan dans une procédure de recours contre un manquement à un principe fondamental n'est pas le remède attendu. La CEDH préconise l'indépendance de l'instance chargée de l'examen de la requête vis-à-vis de l'administration pénitentiaire. S'il est cohérent et pertinent que cette dernière soit associée au processus de réparation, il ne saurait s'agir, selon nous, d'un parcours imposé au juge.
Deuxième remarque : le cumul des étapes obligatoires allonge la durée de la procédure, alors que l'effectivité d'un tel recours requiert de la célérité. Les dispositions que nous allons voter doivent exprimer cette préoccupation. Or des délais pouvant atteindre deux à trois mois ne peuvent, dans ce contexte particulier, être considérés comme rapides.
Troisièmement, le recours est alourdi par un formalisme qui risque de décourager les détenus. La forme sous-entendue écrite que doit prendre la requête ferme la porte à des circonstances moins formelles au cours desquelles les allégations, ou les simples descriptions, pourraient être évoquées auprès d'un juge. À cet égard, le risque de dépôt d'un grand nombre de recours infondés ne peut être valablement opposé puisque le juge peut apprécier leur bien-fondé dans un délai bref.
Enfin, quatrième remarque, il importe de préciser dans le texte que le transfèrement d'un détenu vers un autre établissement n'est qu'une solution parmi d'autres pour améliorer les conditions d'accueil. Le transfèrement ne doit pas constituer une menace ou un barrage au dépôt d'un recours. Nous savons que l'éloignement géographique peut entraîner de multiples conséquences sur les droits du détenu. Pour assurer le caractère effectif du recours, des garanties doivent donc être apportées en la matière dans la proposition de loi.
Celle-ci ne peut constituer une fin en soi, cela a été dit. Elle est une réparation dans un contexte très dégradé, elle appelle des mesures de prévention et un engagement de la puissance publique à faire en sorte que, lorsque le juge condamne une personne ou la place en détention provisoire, l'exécution de cette décision soit exempte de tout traitement inhumain et dégradant. Or ce n'est pas le cas actuellement. Certes les mauvais traitements ne se limitent pas aux effets de la surpopulation carcérale, mais ils lui sont très majoritairement liés – nous en sommes tous convenus – et, ce sur ce dernier point, la surpopulation carcérale est actuellement en progression.
Pourtant, la crise sanitaire nous a contraints à des mesures législatives qui ont eu des conséquences positives dans ce domaine : pourquoi, monsieur le garde des sceaux, n'avons-nous pas pérennisé ces modes de gestion des flux ? Cela n'interdit pas de projeter d'autres dispositifs complémentaires : la prévention doit l'emporter sur la réparation et l'encellulement individuel devenir la règle générale incontournable.
À ce stade de l'analyse, sous réserve d'un débat qui nous permettrait de progresser sur ce sujet, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra majoritairement sur ce texte, pour les raisons que j'ai évoquées.