Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du vendredi 19 mars 2021 à 9h00
Droit au respect de la dignité en détention — Discussion générale

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Il faut pourtant, à un moment, faire face à ses responsabilités, et je réunis d'ailleurs, cet après-midi, des élus à propos d'un projet prêt pour la signature.

Autre paradoxe qu'il nous faut souligner : on veut plus de prisons, mais on ne s'interroge jamais sur leur caractère désocialisant ou criminogène. On crie à la récidive, mais s'interroge-t-on, comme on devrait le faire, sur les sorties sèches ou sur le sens de la peine ? Et il faut, chaque fois, réexpliquer. Les mêmes qui se lèvent pour crier à la récidive – car, évidemment, ceux qui ne récidivent pas ne font jamais la une des journaux – sont les mêmes qui nous préparent leur boîte à outils, avec les peines planchers, par exemple. Extraordinaire ! L'idée en a ressurgi il y a quelques jours, et je suis certain qu'à l'aube de la nouvelle campagne électorale qui se profile, nous en entendrons parler tous les jours.

Monsieur le député Bernalicis : vous dites que si l'on construit des prisons, c'est pour incarcérer davantage. Mais qu'il me soit permis de vous donner un exemple. Le centre pénitentiaire de Lutterbach en Alsace, établissement neuf du programme 7 000, ouvre fin 2021, dans quelques mois : on a fermé la maison d'arrêt de Mulhouse. Donc ce que vous dites n'est pas juste. C'est encore un paradoxe : nous ne vivons qu'avec des paradoxes et beaucoup d'a priori.

Quand des crimes sont commis, c'est le garde des sceaux qui est responsable de cette politique laxiste ! Mais peut-on s'arrêter quelques secondes ici – pardon pour ce moment de défense pro domo – pour rappeler que, dans une grande démocratie, le garde des sceaux ne peut pas prononcer les peines ?

Je sais bien qu'on nous propose autre chose là-bas, à droite, à l'extrême droite. Je sais qu'on voudrait tout maîtriser. Mais, en vérité, que faut-il choisir, entre la démocratie qui est la nôtre, dans laquelle l'exécutif ne peut pas intervenir pour infliger des peines, et une justice qui sera totalement sous contrôle, avec un garde des sceaux, déjà désigné – c'est extraordinaire ! – , qui pourra demander aux juges de délivrer telle ou telle sanction telle ou telle peine, de rendre telle ou telle justice ? Mais enfin, on rêve !

Toujours, nous retombons dans le paradoxe, les mêmes difficultés, ce qui explique que nous ne parvenions pas à réfléchir ensemble, avec le recul, la mesure et la circonspection qui s'imposent. On est toujours soit trop laxiste, soit trop répressif, mais laissez-moi vous rappeler très clairement ce que j'ai toujours dit : oui, la prison est utile. Elle est même indispensable pour protéger la société des gens dangereux. Si vous me permettez cette familiarité, dans certains cas, il n'y a pas photo. La prison est utile, bien sûr, mais, en même temps, elle peut être criminogène pour les petites infractions. On veut plus de répressif, mais les statistiques montrent – et il faut oser l'affirmer – qu'il est parfois plus efficace de ne pas incarcérer que d'incarcérer quelqu'un, qui perdra peut-être son boulot.

Je me bats pour que l'on puisse concilier ces deux dimensions, ce qui est difficile quand on est confronté au manichéisme absolu. Mais il faut savoir être franc et ne pas se raconter d'histoires. Je me suis rendu à plusieurs reprises, et pas plus tard qu'hier, dans des centres éducatifs fermés – CEF. Les faibles taux de récidive ont de quoi nous enthousiasmer, même s'ils ne font pas la une des journaux : seul intéresse l'accident qui se produit inéluctablement.

Nous avons le devoir de nous battre ensemble en dépassant les clivages politiciens. L'un d'entre vous a évoqué le livre de Mme Vasseur, qui, à l'époque, avait bouleversé tout le monde. Depuis, il y a eu beaucoup de discours, mais pas grand-chose de fait, en réalité.

Monsieur Bernalicis, vous avez critiqué mon projet de loi dont vous ne connaissez pas les termes, et je vous ai interpellé – ce que je n'aurais sans doute pas dû faire – alors que vous quittiez la tribune. Vous m'avez répondu : « C'est de la politique ! »

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