Le 16 mars dernier, partout en France, se rassemblaient des lycéens, des étudiants et des jeunes précaires. Ils battaient le pavé pour ne pas être une génération sacrifiée sur l'autel de la crise pandémique. Partout en France, au rythme des confinements, des restrictions et des couvre-feux, des jeunes se sont organisés spontanément – et continuent de le faire – dans des actions de solidarité et d'entraide. Rendu largement invisible l'année dernière, l'impact dramatique de la crise sanitaire sur la jeunesse fait désormais l'objet d'émissions, de reportages et de témoignages qui mettent en exergue les conditions de vie particulièrement éprouvantes de nos jeunes.
Ce constat amer fait désormais l'objet de diagnostics partagés, qui ont été formulés dans l'excellent rapport de la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, publié en décembre dernier. Je salue la rigueur et l'ampleur de ce rapport ; avec justesse, il démontre que sur bien des aspects, la jeunesse fut – comme c'est hélas souvent le cas – la grande oubliée d'une gestion erratique et désordonnée de la crise pandémique par les pouvoirs publics qui a amplifié les maux de la crise sanitaire.
Il aura fallu attendre le mois d'octobre, soit bien après le début de la propagation du virus dans notre pays, pour que le Président de la République résume cette situation en une formule qui est aussi un aveu d'échec : « il n'est pas facile d'avoir 20 ans en 2020. » Et rien n'indique que 2021 se déroulera sous de meilleurs auspices – c'est le moins que l'on puisse dire. L'annonce quelque peu éthérée d'un nouveau confinement dans maints départements n'est pas pour nous rassurer sur ce point…
Comme le souligne le rapport de la commission d'enquête, la multiplication des annonces gouvernementales, le désordre des rumeurs successives et la communication particulièrement anxiogène qui a saturé les médias et les réseaux sociaux n'ont pas été sans incidence sur nos jeunes : tout cela a largement contribué à accentuer leur détresse psychique. À l'heure actuelle, près d'un jeune sur deux se dit inquiet pour sa santé mentale. En outre, un rapport préoccupant de Santé publique France indique que plus de 30 % des 18-24 ans sont en état dépressif, selon l'échelle d'évaluation de l'anxiété et de la dépression HAD.
À l'isolement corrélatif au premier confinement, à la quasi-disparition des lieux de sociabilité permettant aux jeunes de se construire et de s'équilibrer peu à peu, s'adjoint un sentiment délétère d'incertitude face à un avenir qu'on peine à dessiner et qui, pour le moment, semble obstrué. S'appuyant sur l'analyse de Mme Hélène Romano, docteur en psychologie clinique, le rapport de la commission d'enquête souligne que « Le confinement, le déconfinement puis le reconfinement et enfin son allégement sans horizon précis sont aussi des événements traumatiques pour les enfants et même pour certains adultes, car le sentiment de sécurité et de protection disparaît. » La maîtrise du temps est un enjeu éminemment politique. Pouvoir se projeter et appréhender son avenir, c'est pour l'individu, et notamment pour les jeunes, s'assurer une certaine sécurité psychique.
À cette détresse psychique, s'adjoint encore une détresse socio-économique grandissante. Certes, elle n'a pas débuté avec la crise pandémique, mais cette dernière l'a encore amplifiée, comme c'est le cas pour toutes les détresses et toutes les inégalités. Entre 2002 et 2018, on avait déjà pu constater une hausse spectaculaire du taux de pauvreté chez les jeunes – plus de 50 % ; la crise sanitaire, en se faisant sociale et économique, assombrit encore ce noir tableau. Les chiffres sont accablants : près de 30 % des jeunes ont renoncé aux soins, faute de moyens ; près de 20 % sont sans emploi, alors que 700 000 autres vont bientôt faire leur entrée sur un marché du travail saturé ; près d'un jeune sur six a arrêté ses études du fait de la crise. Cette précarité frappe désormais aussi bien les étudiants, les jeunes en formation ou en alternance, que ceux qui sont au chômage, même si les proportions sont variables selon l'environnement social.
Ces chiffres devraient appeler des propositions fortes et adaptées. Or, face à la crise inouïe – sanitaire, sociale et je dirais même existentielle – que traverse notre jeunesse, le Gouvernement n'a répondu que par des mesurettes, des pis-aller et un bricolage incessant. Si le chiffre de 4,7 milliards a pu être avancé concernant le volet jeunesse du plan de relance – le fameux « 1 jeune, 1 solution », formule davantage révélatrice de l'individualisation des réponses que d'un projet global et porteur d'avenir – , on déchante bien vite quand on y regarde de plus près. En effet, près de la moitié des moyens consiste en des aides directes et indirectes destinées aux employeurs, notamment en faveur de l'alternance, laquelle ne constitue, selon le syndicat des lycées professionnels, qu'une illusion et une aubaine, plus souvent synonyme de main d'oeuvre à bon marché que d'un vrai apprentissage. Pour le reste, ce sont de très vieilles recettes permettant tout au plus d'adoucir certains maux, mais nullement d'en traiter durablement les causes : les accompagnements renforcés, 100 000 services civiques supplémentaires et 110 000 emplois aidés.
Les étudiants se heurtent à la difficulté de trouver des jobs d'appoint, alors que près d'un jeune sur deux est contraint de travailler pour parvenir à financer correctement ses études. Pour ne prendre que cet exemple, l'arrêt presque total du secteur de la restauration prive les jeunes de jobs d'étudiants et de tout revenu complémentaire. Certes, des aides ponctuelles ont pu être mises en place, comme cette obole de 150 euros généreusement distribuée en décembre. Je ne méconnais pas l'importance que cette dernière a pu représenter pour de nombreux jeunes : dans ma permanence, une jeune étudiante de première année, boursière d'échelon 6 et logée en résidence universitaire, m'a confié qu'avec son budget hebdomadaire de 20 euros pour se nourrir, 150 euros représentaient sept semaines de repas. Elle m'a demandé si cette aide allait être renouvelée, mais je n'ai pu lui apporter aucune réponse claire.
Je n'évoquerai pas les trois consultations chez un psychologue offertes aux étudiants mais inaccessibles dans l'immédiat faute de psychologues, ni la fermeture incompréhensible des universités, alors que les classes préparatoires accueillent plus de quarante élèves par classe et que l'enseignement hybride, comme au lycée, serait envisageable. Les plans du Gouvernement, tirés sur la comète des ministères, ne répondent en rien aux urgentes nécessités du moment et n'aident pas davantage nos jeunes à se projeter dans le futur.
La verticalité d'un pouvoir qui se fait pourtant cyniquement le chantre de la décentralisation, du dialogue social et de l'horizontalité, est d'ailleurs dénoncée par le rapport parlementaire précité : « donner la parole [aux jeunes] et, plus que la parole, leur donner l'occasion de coconstruire les réponses avec les pouvoirs publics est essentiel pour cette génération que l'on commence déjà à appeler la "génération confinée" ».
Il suffirait pourtant d'écouter les jeunes et de lire les principales revendications de leurs organisations syndicales ou associatives pour mesurer le sérieux de ces dernières. En effet, si la sécurité est un thème pour le moins récurrent dans le débat public, on glose beaucoup moins de la nécessaire sécurisation des conditions économiques, sociales – et psychologiques – des jeunes. Ainsi, plutôt qu'une kyrielle d'aides dispersées – près de 23 % des jeunes disent d'ailleurs ne pas y avoir accès – , la mise en place d'un revenu d'autonomie pour toutes et tous doit permettre à notre jeunesse de se projeter plus sereinement dans l'avenir. Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, s'y est dite favorable ; qu'elle ne tarde pas.
Dans l'attente d'un tel dispositif – qui existe d'ailleurs déjà chez nos voisins danois – , des mesures immédiates, destinées notamment aux étudiants, pourraient être prises : l'augmentation des bourses sur des critères sociaux, la livraison de repas pour celles et ceux qui sont éloignés des lieux de restauration universitaire, la gratuité des masques dans les facultés et les transports, voire la mise en place d'un prêt étudiant à taux zéro sous conditions, comme l'a suggéré un étudiant qui nous a écrit, et aussi – bien sûr – la réouverture promise des universités.
Sur le front de l'emploi des jeunes, une bataille décisive, au moins aussi importante que celle contre le virus, doit être menée : la mise en place de 300 000 emplois jeunes, soit un peu moins de la moitié du nombre de jeunes qui entrent actuellement sur le marché du travail, dans le cadre d'un véritable plan de relance au service de l'investissement public dans des champs comme l'écologie ou l'éducation – nous en avons fait mille fois la promotion. Cela aurait le mérite de permettre aux jeunes d'acquérir un statut et un revenu, à rebours de l'ubérisation comme unique horizon. Il faudrait bien évidemment évoquer le RSA jeunes, le revenu de solidarité active, pour tous ceux qui ne peuvent intégrer l'emploi, faute tout simplement d'en trouver. Mais je ne voudrais pas détailler par trop ces mesures – ce serait contradictoire avec la coconstruction que les jeunes appellent de leurs voeux.
Plutôt que les mines affligées et compatissantes que nous pouvons tous arborer face à la situation, c'est d'un plan Marshall pour la jeunesse, coconstruit avec elle, dont la société a besoin. Nous en sommes loin : les demi-mesures du Gouvernement et sa gestion au jour le jour, d'imprécisions en colmatages, ne donne à notre jeunesse aucune vision d'ensemble cohérente sur le moyen terme.