Nous sommes tous conscients que les vaccins arrivent lentement. Néanmoins, nous qui sommes sur le terrain, nous trouvons la gestion des stocks inacceptable. Il faut cesser les effets d'annonce, tels que ceux du week-end dernier, et agir de façon sérieuse.
Imaginez-vous qu'au centre de vaccination de Clamart, nous avons appris jeudi, à 15 heures, par l'agence régionale de santé – ARS – , que nous allions obtenir 1 800 doses. Rien n'ayant été prévu jusque-là, nous avons alors mobilisé vingt-quatre médecins et vingt-quatre infirmières parce qu'il fallait faire fonctionner six cabinets de consultation, six lieux d'injection et que nous avions aussi besoin de deux infirmières pour préparer les fameuses doses. Or à 18 heures, alors que toutes les vacations étaient pourvues, nous avons appris que nous ne recevrions pas 1 800, mais 760 doses.
Cela a de quoi énerver, car nous avions passé l'après-midi à mobiliser du personnel alors même qu'en ce moment, je le rappelle, nous consacrons notre temps à soigner des gens. Cet incident montre que la mobilisation des médecins libéraux et des infirmières libérales, qui représentent la majorité de ceux qui ont prêté leur concours, est totale – même si nous travaillons aussi avec le centre de santé de Clamart, qui fournit quelques infirmières et quelques médecins. Mais que, trois heures après nous avoir annoncé l'arrivée d'un grand nombre de doses, on nous informe que finalement ce n'est plus possible, cela prouve qu'il reste des progrès à faire, aussi bien en matière de gestion des stocks que de respect des professionnels de santé.
Par ailleurs, vous avez tous entendu parler de la fameuse question de l'extraction d'une septième dose du vaccin Pfizer. Nous sommes confrontés à une administration sclérosée et incapable de s'adapter. Il y a quelques jours, nous avons dilué dans un flacon, selon le protocole recommandé, 0,45 millilitre de vaccin Pfizer dans 1,8 millilitre de sérum physiologique, obtenant ainsi 2,25 millilitres de liquide à injecter. Nous disposons – miracle ! – de seringues chinoises aux aiguilles serties, qui permettent de ne rien perdre. Avec les anciennes seringues, pour obtenir six doses, la manoeuvre était acrobatique ; ce jour-là, les infirmières m'ont dit qu'elles réussissaient à en obtenir sept.
Quelqu'un a alors prévenu l'ARS qui a répondu qu'il ne fallait pas toucher à la septième dose. Nous, médecins et infirmières, expliquions pourtant qu'il n'existait aucune différence entre la première et la septième dose. Nous nous sommes bagarrés toute la journée ! Chaque fois qu'une infirmière obtenait une septième dose, elle la mettait de côté en espérant que la lumière allait arriver. Mais la lumière n'est jamais arrivée, si bien qu'à la fin de la journée, nous nous sommes retrouvés avec cinquante doses que l'on n'avait pas utilisées car on nous l'avait interdit. Je peux vous dire que, le samedi soir, médecins et infirmiers étaient très énervés.
Il a fallu nous bagarrer très fort pendant quarante-huit heures pour obtenir enfin une réponse de M. Jérôme Salomon nous autorisant à utiliser les sept doses. Il est tout de même invraisemblable que l'on ne nous écoute pas, que l'on méprise notre façon de travailler et que l'on puisse douter de notre investissement. Car je rappelle tout de même qu'en moins de trois heures, nous avions trouvé vingt-quatre médecins et vingt-quatre infirmières prêts à travailler un samedi et un dimanche ; nous étions même prêts à en faire plus. On comprend, dans ces conditions, notre agacement.
J'ai appris que, de la même manière, on avait interdit à des professionnels dans des centres de vaccination en Bretagne ou en Occitanie d'utiliser la septième dose. Dans certaines ARS, on se montre tout de même plus souple et on fait preuve d'intelligence en autorisant cette dose parce que l'on constate que la procédure est respectée et qu'il reste bien 0,30 millilitre de vaccin, soit la dose nécessaire pour l'injection. Voilà à quoi nous sommes confrontés sur le terrain.
S'ajoute le problème du vaccin AstraZeneca. Je devais recevoir aujourd'hui trois flacons, prévus pour dix doses chacun. Je vais vous révéler une chose que normalement l'on ne dit pas publiquement : à partir de ces flacons, nous injectons en réalité douze doses. Nous ne l'avons pas crié sur les toits pour que, le contrat ayant été signé en doses, le prix du vaccin d'AstraZeneca n'augmente pas de 20 %. Nous utilisons donc les douze doses sans problème. Il suffit pour cela de prendre le temps.
J'aurais normalement dû programmer trente rendez-vous, mais la pharmacienne m'a indiqué ce matin qu'elle ne disposerait finalement que d'un flacon de dix doses. J'ai donc demandé à ma secrétaire d'annuler les sept rendez-vous en trop. Heureusement que je n'en avais pas programmé trente, parce qu'elle a d'autres choses à faire en ce moment ; et encore, j'ai la chance d'avoir une secrétaire permanente, sur place, pour prendre des rendez-vous ! Elle passe donc beaucoup de temps à déplacer les consultations à samedi, puisque nous ne récupérerons les vaccins AstraZeneca que jeudi ou vendredi. Voulez-vous que je vous donne le numéro de ma pharmacienne ? Vous verrez si elle ment ! Elle m'a dit, aujourd'hui même, ne pas savoir si elle serait livrée vendredi matin ou vendredi après-midi, ce qui implique que je décale mes rendez-vous à samedi.
Je ne savais pas que vous disposiez de personnes venant du secteur privé pour gérer les stocks. Sachant que le Gouvernement embauche des communicants du privé, je supposais qu'il pourrait également embaucher des gestionnaires de stock du privé, et que, ainsi, le processus vaccinal fonctionnerait peut-être mieux.
Comprenez que les médecins et les infirmières libérales – mobilisés, n'en doutez pas – sont à cran, car le problème n'est pas nouveau. Il faut avouer que nous n'avons pas suffisamment de vaccins : nous le savons tous et nous sommes capables de le comprendre. Les Français peuvent entendre que l'on ait du mal à se procurer des vaccins qui n'existaient pas il y a un an, mais il faut le dire. Cessons d'organiser la campagne de vaccination de telle sorte que les stocks se vident en un week-end, alors que dans le même temps, M. Salomon nous écrit, le samedi soir à vingt-deux heures six, qu'il n'y aura pas de vaccins pour la semaine suivante et qu'il faut annuler les rendez-vous programmés.
Comment continuer à travailler dans ces conditions, avec un risque de démobilisation des médecins et des infirmières ? Nous connaissons vos difficultés, mais prenez au moins conscience des nôtres. Arrêtez de faire des effets d'annonce et dites-nous où l'on met les pieds.