Parmi les mots que vous avez prononcés, docteur Hamon, j'en retiens deux particulièrement : anticipation et adaptation. J'en ajoute un troisième : priorisation. Ce sont les trois sujets problématiques de cette séquence de vaccination et de sa logistique.
L'été dernier, lorsque, au sein de la Ville de Paris, nous avons commencé à réfléchir à la question vaccinale, les contrats de commande européens n'avaient pas encore été signés, mais nous savions que les vaccins arriveraient pour l'hiver. Nous avons donc commencé à identifier les lieux de vaccination possibles, susceptibles d'accueillir des « vaccinodromes », et fait une demande en ce sens à la préfecture de police. Mais les échanges entre nos institutions ont cessé, non pas de notre fait, mais de celui de la préfecture et de l'ARS, qui considéraient qu'il était trop tôt et que nous ne disposions pas encore des moyens pour avancer sur cette question. C'est dommage, parce que nous aurions pu établir des scénarios dès cette époque.
En novembre et en décembre, les contrats européens ont été signés. À partir de là, nous savions à peu près ce que nous pouvions escompter en matière de vaccins, même si nous ne savions pas précisément à quel moment la HAS – Haute Autorité de santé – délivrerait ses préconisations. Nous attendions les vaccins Pfizer et Moderna pour fin décembre, puis les autres, ce qui nous a permis de préciser nos scénarios.
Nous avons donc, dès le mois de décembre, proposé plusieurs dispositifs. Afin de gérer les flux de vaccins, en particulier de celui de Pfizer qui devait être conservé à -80o, ce qui impliquait des super-congélateurs et une logistique compliquée, nous avons suggéré de stocker des doses. Cela aurait permis ne pas perdre de vaccins et de fluidifier le processus de vaccination. Nous avons reçu, tardivement, fin décembre, alors que nous avions préréservé des super-congélateurs, une réponse négative, nous indiquant que cette proposition était inutile et que l'AGEPS, l'Agence générale des équipements et produits de santé, organiserait les flux.
Nous avons alors proposé de gérer directement les allers et retours entre l'AGEPS, c'est-à-dire la pharmacie hospitalière, d'une part, et les EHPAD et nos centres de santé, d'autre part, pour faciliter le travail. Au départ, en effet, l'organisation prévue ressemblait à une usine à gaz : chaque centre devait indiquer le nombre de ses rendez-vous, l'information devait remonter au ministère des solidarités et de la santé, puis redescendre vers les ARS. Nous avons donc fait une contre-proposition prévoyant une organisation plus directe, mais ce scénario n'a pu devenir effectif qu'en janvier ; entre décembre et janvier, nos propositions étaient restées lettre morte.
Lorsque l'autorisation de mise sur le marché – AMM – est enfin intervenue au niveau européen et que la HAS a formulé ses préconisations, il a fallu organiser en catastrophe, en quelques jours, la vaccination dans les EHPAD, puis dans les centres. Nous avons été en mesure de le faire à partir du 18 janvier, mais nous avons dû agir dans la précipitation, ce qui est dommage car nous aurions pu commencer quinze jours plus tôt.
La vaccination dans les EHPAD a elle-même pris beaucoup de retard, en raison des autorisations nécessaires et d'un certain nombre de problèmes qui auraient pu être réglés plus tôt. Or chaque semaine perdue se traduit par des morts en plus !
Et ce problème d'absence d'anticipation perdure : 50 % des plus de 75 ans et 90 % des résidents des EHPAD sont actuellement vaccinés, ce qui signifie que 60 % à 80 % des plus de 75 ans le seront dans quinze jours ou trois semaines. Vous le savez peut-être, mais pas nous ! Nous avons pourtant, là encore, proposé d'anticiper cette troisième phase, pour déterminer comment poursuivre la campagne de vaccination. Nous sommes dans une période de transition : des créneaux commencent à se libérer dans nos centres, sur Doctolib, aussi pourrions-nous, pour ne pas réduire le flux, ouvrir la vaccination à d'autres populations, âgées de moins de 75 ans, par exemple aux enseignants et aux équipes d'éducateurs.
Tout cela n'est pas pensé et l'on nous dit qu'il faut encore attendre, mais attendre quoi ? Les 70 % ? Les 80 % ? Nous sommes exactement dans la même situation que celle décrite par M. Hamon : nous sommes informés une semaine au préalable, ce qui ne nous permet ni d'être efficaces ni de protéger les plus fragiles, alors que la situation épidémique reste grave. Les écoles, par exemple, sont un vecteur considérable de contamination : ne pas essayer d'anticiper la libération des créneaux pour proposer la vaccination au personnel qui y travaille est un véritable problème !