Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du mardi 23 mars 2021 à 21h00
Seniors face à la crise sanitaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, Agir ens :

La covid a lourdement et longuement perturbé nos vies : des privations de liberté aux restrictions de nos déplacements en passant par les proches durement éprouvés et ceux qui en sont décédés. Tous, nous avons dû modifier nos façons de travailler, d'apprendre et surtout nos façons de nous rencontrer et de communiquer. Tous, nous avons dû modifier nos façons de vivre, mais les seniors ont payé et paient encore un très lourd tribut. Les « vieux » – ce terme si négativement connoté alors qu'il est synonyme de respect, de sagesse accumulée, d'expériences multiples, de vie pleine – ont beaucoup souffert.

Les politiques de soins destinées aux « vieux » durant la pandémie les ont malmenés psychologiquement en les isolant, sans parler du tri – horreur et honte – en fonction de l'espérance de vie pressentie. Les personnes âgées ont subi une mortalité très élevée. « Une tragédie humaine inimaginable » : c'est ainsi que Hans Kluge, directeur de l'OMS – Organisation mondiale de la santé – pour l'Europe, a décrit la situation qui prévaut derrière les portes closes des maisons de retraite européennes. Les plus âgés de nos concitoyens ont été les premières victimes et les plus nombreuses. À domicile ou en EHPAD, ils ont souffert plus que le reste de la population.

En EHPAD, la situation a été dramatique, avec des clusters nombreux et parfois incontrôlés : une douleur sourde, des chiffres effrayants, des morts, beaucoup, beaucoup trop. Pourtant, comme les équipes ont été professionnelles ! Comme elles ont travaillé jour et nuit pour les protéger ! Que de dévouement et d'imagination pour aider les résidents à supporter l'isolement ! Nous devons les remercier tous. Cette crise devra néanmoins nous faire réfléchir rapidement à un nouveau modèle d'EHPAD. Ce n'est pas que leurs équipes aient failli, mais les limites de ce mode d'hébergement ont été vite pointées, alors que les morts se comptaient par dizaines, même au sein d'établissements sérieux.

« On évite si soigneusement d'aborder la question du dernier âge. C'est pourquoi il faut briser la conspiration du silence », écrivait Simone de Beauvoir. Il nous faudra collectivement sortir de ce silence et bâtir avec les premiers intéressés l'EHPAD de demain, plus ouvert et mieux lié à la vie de tous. Bien évidemment, il nous faudra toujours penser à la fois au cure– les soins, au sens de thérapeutique – et au care – le soin, au sens de « prendre soin ». Il s'agit, en se fondant sur des valeurs éthiques, de penser la relation à tout individu nécessitant un soin ou un accompagnement, avec empathie, en tenant compte de son contexte social, en se tenant proche, avec bienveillance – terme souvent utilisé de nos jours, mais qui recouvre cette notion d'humanité dans le soin. Il est grand temps de réhumaniser le système afin de prendre soin des personnes dans leur globalité, tant en matière de santé que d'accompagnement sanitaire et médico-social. Il faut décloisonner, pour agir non seulement avec plus d'efficacité, mais surtout avec plus d'humanité, en remettant l'humain au coeur du dispositif. Les intervenants peuvent être multiples, s'ils apportent chacun les compétences nécessaires, et ils doivent échanger avec pour boussole le bien-être de la personne. Même si cette nécessité n'est pas oubliée, grâce à la très grande humanité des intervenants, elle passe parfois au second plan de la prise en charge, à cause de la lourdeur administrative et de la longueur des procédures.

À domicile aussi, nos aînés sont morts, discrètement mais tout aussi douloureusement. Là encore, des professionnels les ont accompagnés, soutenus, soulagés : nos remerciements leur sont dus.

Les seniors qui vivent chez eux ont aussi souffert de l'isolement lié au covid : un isolement long, certes protecteur mais aussi fort délétère. D'après le rapport publié par l'association des Petits Frères des pauvres en juin dernier, 720 000 personnes âgées n'ont eu aucun contact avec leur famille durant le premier confinement et 650 000 personnes âgées n'ont trouvé personne à qui parler. Pour les protéger, nous avons presque enfermé des personnes qui avaient besoin de lien social, en décidant à leur place, alors que certains auraient pu dire : « Je préfère le risque de la maladie à l'isolement et au fait de ne voir personne. » Toute la difficulté est de maintenir la citoyenneté et la dignité des personnes, quelle que soit leur situation.

L'isolement a entraîné des pertes d'autonomie parmi ceux qui n'ont pu recevoir la visite de proches, voire celle de certains soignants à domicile. Certains de nos aînés ont développé des comportements d'évitement des soins, pour ne pas déranger ou par peur. D'autres ont été fragilisés par l'isolement, qui les a rendus plus vulnérables, les a livrés à la merci des arnaques et autres abus.

Plus largement, les personnes âgées ont perdu une partie de leurs relations, de leur lien social : plus de garde des petits-enfants, plus d'activités bénévoles pour faire vivre les associations, plus de sports, plus de randonnée ou d'activités culturelles.

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