Intervention de Brigitte Bourguignon

Séance en hémicycle du mardi 23 mars 2021 à 21h00
Seniors face à la crise sanitaire

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée :

La crise sanitaire, loin de la stopper, l'a accélérée.

L'engagement du Gouvernement au service des personnes âgées depuis le début de cette crise est sans précédent, tant par la philosophie qui l'anime que par les financements engagés, et je me tiens devant vous pour en témoigner. Notre philosophie consiste d'abord à considérer que les personnes âgées sont des citoyens, des sujets de droit, et ne se réduisent pas à des objets de soins. Cette conception remplit une promesse élémentaire de notre contrat social et s'applique à tous, du premier au dernier souffle. Je le dis et le répéterai avec acharnement – nous devons combattre une pensée simpliste, réductrice et discriminante à l'égard des personnes âgées.

Vouloir traiter différemment nos aînés, c'est mettre un coup de canif dans le contrat social. Protéger sans isoler, c'est prendre en considération les fragilités de chacun, tout en gardant à l'esprit que par-delà les différences, nous formons une seule et même communauté de destin. Je salue à cet égard l'intervention de Stéphanie Atger, qui a souligné le caractère indispensable de ce que nos aînés apportent à la société, et que jamais nous ne devrions entretenir la confusion entre les personnes âgées et celles qui perdent leur autonomie.

Cette recherche d'équilibre m'a guidée pendant la gestion de la crise sanitaire, à la fois dans les EHPAD et pour les personnes âgées vivant chez elles. Oui, lors de la première vague, alors que nous ne connaissions pas le virus, des mesures strictes d'isolement se sont imposées. Nous avons eu à coeur de protéger les plus vulnérables, en premier lieu les personnes âgées, au risque parfois de les isoler, avec les conséquences que l'on sait désormais.

Dès ma nomination, je me suis particulièrement impliquée pour défendre l'application d'un principe fort dans les EHPAD : protéger sans isoler. L'objectif est de maintenir à tout prix le lien des résidents avec leur famille, le lien social, tout en les protégeant.

Il s'agit évidemment d'une ligne de crête, et la suivre a suscité chaque jour des dilemmes et des interrogations – que je connais – dans les directions d'établissement. Sur ce point, je veux être claire : dans ce débat, et dans ce contexte, il ne s'agira jamais – je dis bien jamais – de stigmatiser, encore moins de juger, des équipes, des professionnels, des directeurs qui ont fait preuve d'un engagement sans faille et qui ont appliqué des mesures au mieux.

Les personnes âgées vivant à domicile ont aussi été particulièrement touchées par l'isolement pendant la crise sanitaire. Pour y remédier, l'État a mis en place un numéro vert d'écoute afin de les accompagner. Il a reçu jusqu'à 25 000 appels par jour. Grâce à la réserve civique, ce seul mois de mars a totalisé près de 47 000 interventions de jeunes auprès de personnes âgées isolées. Dernièrement, j'ai lancé un comité de lutte contre l'isolement, problématique qui dépasse malheureusement la seule crise sanitaire.

Ainsi, mon action est guidée par la même philosophie que celle qui a présidé au choix du Gouvernement de vacciner en priorité les résidents d'EHPAD, puis nos aînés qui vivent chez eux. Ce choix était le seul possible, puisqu'ils sont les plus susceptibles de développer une forme grave de la maladie et, trop souvent, d'en mourir. Les faits sont éloquents : les personnes âgées de plus de 80 ans ont 200 fois plus de risques de décéder du covid que leurs cadets de 20 ans.

Les résultats sont là : nous avons quasiment terminé la vaccination des 600 000 résidents des EHPAD. Certes, ils représentent 1 % de la population française, mais 30 % des décès dus au covid survenaient parmi eux. Peu de personnes auraient pu prédire ce succès en décembre, quand certains annonçaient au contraire l'échec d'une campagne qui n'avait pas encore vu le jour – je n'aurai pas la cruauté de rappeler leurs critiques de l'époque. Forts de ce résultat, je crois que nous pouvons nous réjouir de la réussite de la campagne de vaccination.

C'est un vrai succès logistique, et je félicite tous les acteurs locaux et les équipes du ministère des solidarités et de la santé qui y ont contribué : faire parvenir aux 7 500 établissements des vaccins fragiles pour 600 000 résidents et 400 000 professionnels est un tour de force. À l'heure où je vous parle, près de 90 % des résidents d'EHPAD ont reçu une première dose de vaccin ; près de la moitié des personnes de plus de 75 ans ont reçu une première injection. Notre action dépasse donc pleinement les murs des seuls EHPAD, et ce résultat nous place d'ailleurs en tête des pays de l'Union européenne – nous pouvons en être fiers.

Protéger sans isoler signifie bien sûr protéger, mais aussi et surtout lutter contre l'isolement, en particulier dans les établissements, et permettre aux familles de se retrouver. Le vendredi 12 mars, nous avons ainsi publié une série de recommandations à destination des directeurs d'EHPAD et d'unités de soins de longue durée – USLD – afin d'assouplir les mesures de protection de leurs résidents. Le protocole a été élaboré avec toutes les parties prenantes : médecins, scientifiques, directeurs, résidents et familles de résidents, juristes, gériatres et éthiciens, pour qu'ensemble nous construisions le chemin des retrouvailles. Ces recommandations assurent les mêmes droits et les mêmes libertés aux résidents, quel que soit leur statut vaccinal et immunitaire. Elles visent à assurer un retour progressif à une vie sociale, intime et personnelle à l'intérieur comme à l'extérieur des établissements. Mme Firmin Le Bodo l'a souligné, il s'agit d'un impératif.

Cette philosophie nous invite à construire une action publique fondée sur les désirs et les aspirations des personnes âgées. Notre modèle de sécurité sociale se devait de protéger tous les Français, du premier cri jusqu'au dernier souffle. La création de la cinquième branche de la sécurité sociale, que cette assemblée a votée, vise à mettre un peu plus de fraternité et d'égalité dans un secteur qui n'a été que trop longtemps inégalitaire et injuste.

Cette nouvelle branche, réclamée depuis des années mais jamais encore créée, constitue un changement de paradigme fondamental : elle replace les personnes en perte d'autonomie au centre d'un système d'accompagnement et de soutien dédié. Hier, le modèle d'accompagnement imposait un type de solution aux personnes âgées, en particulier à celles qui n'avaient pas les moyens de faire autrement. Demain, avec la réforme que je défends, elles auront le droit de choisir.

Donner le choix de rester chez soi le plus longtemps possible suppose d'élaborer un plan d'attractivité et de revalorisation des métiers du soin à domicile. En cette période de crise, le Gouvernement mobilise des enveloppes sans précédent afin de pourvoir aux attentes légitimes que l'inaction de nos prédécesseurs a renforcées.

La prime covid aux services d'aide à domicile a été versée parce que l'État a entrepris une démarche partenariale en mobilisant 80 millions d'euros pour accompagner les départements. Avec cette main tendue du Gouvernement, j'ai souhaité ouvrir un dialogue confiant avec les départements, qui ont une responsabilité historique dans le déploiement des moyens pour bien vieillir à domicile.

Au cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – pour 2021, vous avez voté à l'unanimité un amendement qui prévoit le versement d'une dotation de 200 millions d'euros par an à la CNSA afin de revaloriser les salaires des professionnels de l'aide à domicile dans le cadre de la négociation de l'avenant 43 à la convention collective de la branche.

Les professionnels du secteur attendent, légitimement, l'aboutissement des négociations avec les partenaires sociaux et les départements. Elles doivent trouver une issue favorable dans les prochaines semaines, après l'agrément de l'avenant 44 relatif à la valeur du point, qui prévoit une revalorisation globale de 15 % pour les aides à domicile. Cela n'avait jamais été fait ! Cette revalorisation est essentielle ; elle contribuera à rendre ces métiers plus attractifs. Il s'agit d'une condition sine qua non pour effectuer le virage domiciliaire que nos concitoyens attendent.

Enfin, le Ségur de la santé et du médico-social augmente les salaires de tout un secteur trop longtemps délaissé. Les travaux continuent, notamment sous l'égide de Michel Laforcade, que le Premier ministre a missionné pour donner suite à la clause de revoyure spécifique prévue par le Ségur de la santé. Entre la prime « grand âge », les mesures de revalorisation du Ségur et leurs récentes extensions, l'État versera chaque année plus de 8,4 milliards d'euros, dont 1,8 milliard destinés aux personnels des EHPAD. Cela non plus n'avait jamais été fait.

Choisir, c'est aussi permettre aux personnes qui en ont besoin d'être mieux accompagnées en établissement. Demain, chacun doit pouvoir trouver la solution d'hébergement adaptée à sa situation comme à ses aspirations. Avec le plan de relance, nous mettons sur la table 2,1 milliards d'euros sur cinq ans, afin de rénover et transformer en profondeur les établissements médico-sociaux. Après des années de disette, voire d'abandon du parc public par l'État, cette enveloppe nous permettra de faire mieux avec plus. Nous devons en effet construire l'EHPAD de demain. Beaucoup en ont parlé, nous le faisons.

Il nous faut tirer les leçons de la crise. L'établissement du futur doit être bien-traitant, plus sécurisant pour les personnes ; il doit s'ouvrir davantage vers l'extérieur, sur la société ou, à l'inverse, inviter l'extérieur en son sein en se constituant en tiers-lieu. À l'horizon 2025, 65 000 places en EHPAD seront ainsi rénovées, pour un budget de 1,2 milliard d'euros. Cette semaine, les ARS – recevront 450 millions d'euros pour financer les appels à projets dédiés. Le programme de rénovation immobilière soutiendra le nouveau modèle, structuré en petites unités de vie plus chaleureuses, adaptées aux troubles cognitifs et aux aspirations de nos aînés.

Un programme d'investissement en petits équipements à forte valeur ajoutée pour les résidents et les personnels est lancé dans les EHPAD. Le budget de 300 millions d'euros financera notamment le déploiement de rails de transfert, de fauteuils électriques et de capteurs de détection de chutes – autant d'éléments indispensables attendus dans ces établissements. Enfin, un effort de 600 millions d'euros sur cinq ans est prévu en faveur de la mise à niveau numérique des établissements du grand âge et du handicap. Il s'agit de développer des outils facilitant le quotidien des professionnels, comme la télémédecine, pour améliorer leur coordination et donc la prise en charge des personnes.

Voilà notre réforme. Voilà ce que nous avons fait pour les personnes âgées pendant la crise sanitaire. Nous remplissons concrètement la promesse d'autonomie, en remettant la personne au centre de l'action publique. Vous le voyez, nous avons accompli bien davantage en ce domaine pendant les huit mois écoulés depuis ma nomination que pendant les dix dernières années.

Je ne veux pas m'adresser aux seuls citoyens en perte d'autonomie. Notre débat concerne les seniors pendant la crise sanitaire ; je veux leur dire que le Gouvernement a continué à agir pour eux cette année. Je pense en particulier à la réforme « 100 % santé » dans les domaines des soins auditifs, optiques et dentaires. Les seniors en seront les premiers bénéficiaires. Pour donner un exemple très précis, le reste à charge moyen sur les aides auditives, pour l'équipement des deux oreilles, sera passé de 1 700 euros en 2018 à 800 en 2020 et 0 en 2021.

Si la crise sanitaire a eu des conséquences négatives sur le déploiement de la réforme en 2020, celle-ci présente néanmoins des résultats concrets. En dentaire, pour citer un autre exemple, l'offre « 100 % santé » est largement plébiscitée, puisque la moitié des prothèses posées entre janvier et septembre 2020 l'ont été dans ce cadre.

Chacun sait que le prix de telles prothèses était jusqu'ici un motif important de renoncement aux soins, notamment pour les seniors, qui en ont davantage besoin ; or ce renoncement était la source de trop nombreux problèmes de santé. Nous avons en partie résolu cette difficulté. Au total, cette réforme représente un investissement de plus de 1 milliard d'euros au bénéfice de tous, mais particulièrement des seniors.

Par ailleurs, je le rappelle, tout au long du quinquennat, le Gouvernement a conduit des politiques visant à soutenir les personnes les plus exposées à la précarité, à travers notamment la revalorisation massive de certaines prestations sociales, au bénéfice des seniors en particulier. Je pense ici à l'allocation adulte handicapé et à l'allocation de solidarité aux personnes âgées que peuvent percevoir les seniors en situation de précarité ou de handicap. Elles sont revalorisées pour atteindre plus de 900 euros par mois, ce qui représente un investissement de l'État de 2,5 milliards d'euros par an. Les 400 000 bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées gagneront à ce titre près de 100 euros par mois. Cela représente donc, pour tous les seniors bénéficiaires, une augmentation de plus de 1 200 euros par an. Faciliter la vie de nos aînés et faire plus pour ceux qui ont moins, c'était une promesse d'Emmanuel Macron.

Je pense aussi aux seniors en activité, qui ont peur de ne pas pouvoir le rester. Je veux leur dire que le Gouvernement est engagé pour protéger les emplois menacés par la crise et permettre aux salariés de se former, grâce à une enveloppe dédiée de près de 8 milliards d'euros. Par ailleurs, des outils puissants ont été utilisés dès le début de la crise sanitaire. Au plus fort de la crise, l'activité partielle a ainsi concerné 9 millions de salariés.

Le dispositif d'activité partielle de longue durée, qui prend le relais de l'activité partielle, a pour objectif de se dresser en véritable bouclier anti-licenciement. Cet outil permet notamment aux entreprises de faire face à une réduction durable d'activité en réduisant le temps travaillé de leurs salariés et en les formant sur les heures non travaillées. Enfin, nos seniors ont été parmi les premiers bénéficiaires de ces mesures massives de soutien au pouvoir d'achat, avec l'exonération progressive, pour quatre Français sur cinq, de la taxe d'habitation, qui représente 800 euros par an en moyenne, la baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros et la simplification de la fiscalité du capital, avec la création d'un taux unique de 30 %.

Pour conclure ce propos, je voudrais que nous puissions ici élargir notre réflexion. En effet, l'année que nous venons de passer doit nous forcer à poser un regard différent sur la vieillesse et sur nos aînés. Si nous voulons profondément bouger les lignes, il faut parvenir à changer le regard sur les personnes âgées et les représentations qui les entourent. Pour cela, il faut parvenir à intéresser l'ensemble de la société à la question du vieillissement et de l'isolement. Je l'ai dit et je le redis : la vieillesse n'est pas le problème des vieux, mais celui des petits-enfants, qui ont à apprendre de leurs grands-parents, celui des urbanistes et des architectes, qui doivent penser des espaces adaptés à la perte d'autonomie, celui des entreprises, qui doivent apprendre à valoriser l'expérience des seniors au sein de leurs structures. En somme, c'est le problème de chacun d'entre nous. Il faut recréer du lien entre les générations.

À l'heure où j'entends partout des discours qui accusent nos aînés d'être responsables du malheur des jeunes, pointer du doigt au lieu de tendre la main est un péril qui pèse sur la cohésion sociale, et je ne m'y résoudrai pas. Recréer du lien n'est pas une incantation : c'est faire se rencontrer jeunes et anciens dans le cadre de projets qui ont du sens pour chacun. Il nous faut, pour cela, vivre avec les formidables élans de solidarité entre les générations que l'on a vus naître ou qui se sont renforcés face à la crise – je pense à ces jeunes qui envoyaient des cartes postales aux résidents d'EHPAD, à ceux qui allaient voir si les personnes âgées de leur immeuble et de leur quartier ne manquaient de rien, ou aux personnes âgées qui donnaient un peu de leur temps et de leurs connaissances pour apporter leur contribution aux attentes de nos jeunes. Tant d'autres initiatives, petites ou grandes, illustrent, chacune plus que l'autre, le fait que les générations se renforcent, s'enrichissent mutuellement et font naître de nouvelles solidarités. À l'heure où certains voudraient créer un conflit de générations dans notre pays, ces exemples sont autant d'espoirs pour notre futur. Loin des polémiques, ces jeunes, ces personnes âgées, ces citoyens agissent pour faire vivre au quotidien la fraternité de notre République.

Les huit mois que j'ai passés dans ce ministère sont aussi pour moi un avertissement du bouleversement sociétal que représente la transition démographique. Cette dynamique rebat les cartes de notre société, qui n'a jamais connu de situation semblable depuis les guerres mondiales. Dans le même temps, les difficultés que rencontrent nos plus jeunes nous interpellent. Pour éviter que, de la souffrance de chacun, ne naisse une fracture générationnelle, nous devons sortir de cette crise sanitaire en offrant à notre pays toutes les occasions de développement suscitées par une société de longévité. C'est le meilleur moyen de dépasser les conflits que certains aimeraient créer, tout en ouvrant le champ des possibles, et je remercie Elsa Faucillon d'avoir abordé le débat sous cet angle.

Le projet de loi sur l'autonomie, dont je souhaite qu'il réponde à toutes ces questions, est, comme je vous le disais, une priorité réaffirmée de ce quinquennat. Je suis confiante quant à notre capacité collective à faire aboutir cette grande réforme sociale annoncée par le Président de la République et désormais engagée de manière irréversible, comme je viens de l'évoquer. Mesdames et messieurs les députés, c'est ensemble que nous conjuguerons solidarité et transition démographique. C'est dans cette perspective que j'accueille volontiers ce débat et vous remercie de votre attention.

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