Intervention de Yaël Braun-Pivet

Séance en hémicycle du mercredi 24 mars 2021 à 15h00
Suivi de la crise sanitaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

… je crois que nous pourrions, dès maintenant, nous inspirer de ce travail. Nous partageons tous la conviction que le Parlement doit être un acteur incontournable de la gestion de l'urgence sanitaire. Comme le recommandent Sacha Houlié et Philippe Gosselin, nous pourrions prévoir la tenue d'un débat, à l'Assemblée, chaque fois que l'exécutif modifie profondément sa stratégie. Dans le même esprit, nous avons proposé, lors de la dernière commission mixte paritaire consacrée à l'état d'urgence, d'organiser un débat au terme de six semaines de confinement, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution. Nous pourrions également associer les parlementaires aux travaux du Conseil scientifique, dont nous avons d'ores et déjà ouvert la saisine aux commissions permanentes. J'ai plaidé, à titre personnel, pour la création d'un comité de suivi parlementaire ad hoc, qui serait associé beaucoup plus étroitement à la gestion de l'épidémie.

Un an après, il nous revient de penser le retour progressif à une vie normale, en dépit du virus. Un passeport sanitaire est évoqué au niveau européen, et certains pays le développent déjà. Ce pourrait être le moyen de recouvrer totalement nos libertés. Aussi, j'ai souhaité que la commission des lois s'interroge sur les conditions juridiques de l'éventuelle création d'un tel passeport et sur ses répercussions en matière de libertés fondamentales. Nous avons mené une première table ronde à ce sujet avec Karine Lefeuvre, professeure à l'École des hautes études en santé publique, membre du Comité consultatif national d'éthique, Serge Slama, professeur de droit public, et Bernard Stirn, président de section honoraire au Conseil d'État. Les lignes de force qui s'en sont dégagées devront impérativement guider nos travaux, le moment venu.

Tout d'abord, nos interlocuteurs ont tous affirmé qu'un tel dispositif est conforme à notre droit et que son instauration éventuelle relèverait de la responsabilité du législateur : elle ne pourrait être décidée que par la loi. Nous devrons alors être particulièrement attentifs au principe d'égalité entre les citoyens car en l'absence de vaccination obligatoire, nous devrons préserver la liberté de choix de chacun. De surcroît, il conviendra d'être très vigilant sur la proportionnalité de ces mesures. S'il est possible de légiférer pour introduire des droits différents selon les personnes, l'objectif d'intérêt général doit apparaître clairement et dans la stricte mesure du nécessaire.

La seconde ligne de force concerne les limites à la conception d'un tel dispositif. Ainsi, la couverture vaccinale est aujourd'hui trop faible pour le mettre en oeuvre. Les personnes que nous avons auditionnées ont évoqué un seuil minimal de 20 à 30 millions de personnes vaccinées. Par ailleurs, ce type de passeport ne pourrait être que temporaire. Le contraire, bien sûr, apparaît totalement exclu.

Une autre limite tient à son champ d'application. Il devrait être strictement circonscrit. Il n'est pas question que l'accès aux services essentiels, aux transports collectifs par exemple, soit d'une quelconque façon discriminatoire. Nous devrons donc être particulièrement prudents pour définir les lieux dont l'accès serait ouvert dans ce cadre.

Cette table ronde a également soulevé de nombreuses questions d'ordre pratique. Si l'on peut imaginer qu'une personne se fasse tester avant d'assister à un concert ou un spectacle, il semble difficile de la contraindre à faire de même chaque fois qu'elle se rend dans un café. Comment se présenterait ce passeport sanitaire, serait-il accessible à tous, quelle protection pour nos données de santé, quel contrôle à l'entrée des lieux concernés ? Ce sont toutes ces questions auxquelles nous devrons répondre. La commission des lois continuera ses travaux dans les semaines à venir.

Mes chers collègues, plus de 20 millions de Français sont soumis à des restrictions renforcées. Tous, nous avons besoin de perspectives. Elles ne seront pas établies au prix de nos libertés ni au prix de nos grands principes. Je l'ai souvent dit, en période de crise ce sont nos institutions et nos principes fondamentaux qui nous permettent de tenir. Nous continuerons d'y veiller.

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