Depuis plus d'un an, nous vivons une guerre, une guerre totale, une guerre mondiale, et si les casques ont cédé la place aux masques, si les confinements ont remplacé les tranchées, si les stéthoscopes se sont substitués aux baïonnettes, force est de constater que ce qui ne change pas, c'est l'issue tragique de cette situation martiale, au vu des innombrables victimes de par le monde. Dans chaque guerre et de tout temps, les victimes furent des citoyens, ces citoyens que nous représentons ici, à l'Assemblée nationale, et auxquels nous devons d'appliquer notre devoir de contrôle sur les décisions gouvernementales.
En mars 2020, comme nos prédécesseurs en 1914, nous envisagions une bataille relativement courte. Aussi le champ lexical de l'union sacrée fut-il un temps un temps utilisé. Cette union, fédérant une indignation commune contre l'agresseur et dans une même foi patriotique, comme le dit alors Raymond Poincaré, nous avons pu l'observer lors du premier confinement, lorsque notre assemblée a continué de faire battre le coeur de la République avec la mission d'information de la conférence des présidents. Après un premier rapport d'étape, cette mission a acquis les prérogatives d'une commission d'enquête, que j'ai d'ailleurs eu l'honneur de présider pendant près de six mois. Le pouvoir de l'Assemblée fut respecté, et même salué par M. le rapporteur, en ce qu'il ne fut mis aucun frein, aucun obstacle ni aucune limitation durant les soixante-seize auditions réalisées auprès de deux premiers ministres, de nombreux ministres, de représentants d'administrations, de syndicats de patients et d'élus locaux.
Certes, nous ne nous sommes jamais déplacés jusqu'au front, comme le voulait en son temps Georges Clemenceau, mais nous avons néanmoins auditionné tous les soignants qui l'ont souhaité. Si j'ai cité le nom de cet illustre parlementaire, président du Conseil et médecin, c'était à dessein, car c'est bien dans la même optique de défense des prérogatives parlementaires que le contrôle du Gouvernement et des politiques publiques a été transféré à toutes les commissions permanentes à l'issue de la commission d'enquête. Ces commissions permettent aujourd'hui à tous les députés, chaque jour et à chaque heure, d'exercer leur pouvoir de contrôle sur les décisions du pouvoir exécutif. Cette démarche constitutionnelle promeut l'idée qu'exprimait Pasteur en disant : « Ayez le culte de l'esprit critique ». D'ailleurs, dans cette nouvelle forme de guerre contemporaine, nous affrontons, comme Pasteur dans son laboratoire, un ennemi impalpable, imprévisible et invisible. Les lieux de confrontation sont multiples et disséminés jusque dans l'intimité de nos foyers.
Cette labilité virale s'affranchissant des frontières et de tout règlement humain nous oblige à une modestie quotidienne et nous impose une certaine humilité face aux critiques que nous pourrions proférer à l'endroit des décisions successives. C'est d'ailleurs en cela qu'il me paraît déplacé d'opérer le glissement, auquel nous assistons parfois, de l'esprit critique vers la simple critique. Jean de La Bruyère disait d'ailleurs à ce propos que le plaisir de la critique nous ôte celui d'être vivement touchés de très belles choses.
Ces belles choses, ce sont nos réussites collectives depuis plus d'un an, la formidable résilience de notre pays, de nos institutions et de nos compatriotes. C'est le combat sans relâche de nos soignants face au seul ennemi que nous devions éradiquer : le virus. Il n'y a ici point d'ennemi humain, point de responsable physique, aucun représentant de l'exécutif corrompu, mais seulement des hommes et des femmes engagés pour défendre ce qu'ils estiment être le meilleur pour notre pays, offrant ainsi à la France une riposte humaine à une situation inhumaine.
Parmi ces réussites collectives, citons la politique vaccinale. Notre assemblée prend part quotidiennement, dans une volonté de critique constructive, à l'adaptation de la cohérence décisionnelle grâce à une indispensable plasticité territoriale dont nous sommes les garants en tant que députés. Les résultats sont là : 90 % de taux de vaccination en EHPAD, 50 % de personnes de plus de 75 ans ayant reçu une dose, une protection prioritaire et rapide de nos concitoyens les plus fragiles, la baisse de la mortalité en institution. Nous pouvons nous enorgueillir de cette stratégie à la française, qui va s'accélérer au fil de la disponibilité croissante des vaccins, nous permettant d'envisager une campagne massive d'injection partout, tout le temps et pour toutes et tous. Je souhaiterais d'ailleurs que M. le ministre nous détaille le calendrier des prochaines étapes du déploiement de la vaccination en France.
Ces réussites collectives s'illustrent également par le choix récent d'éviter tout confinement strict, alors que nos voisins européens imposent un stop-and-go plus restrictif. Cette troisième voie à la française est une traduction manifeste de notre volonté équilibrée de conscience basée sur la science au bénéfice de nos concitoyens. Cette ligne de crête perpétuelle, de plus en plus aiguisée entre d'abrupts versants sanitaires, sociétaux et économiques, impose une réévaluation permanente et rapide. Les décisions qui en découlent sont du reste régulièrement diffusées au Parlement, dans une volonté de transparence indispensable à la cohésion nationale.
Toutefois, s'il est toujours hasardeux de prévoir l'imprévisible, on peut à tout le moins l'envisager. Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, nous expliciter les variables d'ajustement imaginées pour les semaines à venir quant aux mesures de prévention de la diffusion du virus ?
Parce que ni l'écharpe de député ni le maroquin ministériel ne sont accompagnés d'une boule de cristal, astreignons-nous à l'humilité et à la cohésion nationale, car c'est de cela qu'ont besoin nos concitoyens. C'est de la divergence et de la désinformation que se nourrit l'ennemi, même lorsqu'il est viral. C'est de notre unité que naîtra la solution. C'est grâce à notre travail commun que triomphera la vie.