La crise sanitaire mondiale aura permis de mettre en évidence nos nombreuses lacunes en matière de recherche sur la santé environnementale et de cohérence de l'action publique, ainsi que le manque d'initiatives sur le plan local. Ces lacunes sont toutefois une occasion pour repenser et redéfinir ce qu'est la santé environnementale et lui donner une place prioritaire.
Les milieux qui nous entourent constituent un cadre dans lequel chaque action humaine laisse une trace et a des conséquences. La crise de la covid-19, par exemple, fait ressortir le lien existant entre santé animale et santé humaine. Cette commission, en enquêtant sur la façon dont les pouvoirs publics traitent des problématiques environnementales et sanitaires, répondait ainsi à un besoin nettement identifié ; c'est pour cela que j'ai souhaité sa création et son suivi.
En effet, la santé environnementale questionne le rapport intime qui lie les êtres humains, l'environnement et la nature. En ce sens, elle concerne tout le monde et relève d'une vraie préoccupation sociétale, dans un monde artificialisé qui, en s'éloignant de la nature, glisse peu à peu vers le nihilisme.
Plus prosaïquement, la préoccupation environnementale, liée aux effets grandissants des facteurs pathogènes sur la santé humaine, ne fait que croître depuis les années 1970 ; elle a fait éclater de nombreux scandales sanitaires comme ceux de l'amiante, du chlordécone et tant d'autres encore. Le nombre de zoonoses, les maladies de l'homme issues de l'animal, a été multiplié par quatre depuis les années 1980.
De fait, la part des maladies chroniques liées à des causes environnementales ne fait qu'augmenter dans notre pays. Selon la CNAM – caisse nationale de l'assurance maladie – , à l'horizon 2023, les cas de diabète devraient augmenter de 12 %, ceux de cancer de 7 % et les maladies respiratoires chroniques de 6 %. Pourtant, la France est à la traîne pour ce qui est des dépenses de santé liées à la prévention puisqu'elle se classe au dix-huitième rang mondial en la matière ; pour un pays de l'OCDE, c'est assez peu.
À l'inverse de l'approche curative qu'il ne faut certes pas délaisser – j'en suis consciente – , l'approche préventive et la recherche des causes peuvent s'appréhender comme une sorte d'investissement bénéfique à notre système d'assurance maladie.
De mon travail sur les politiques publiques de santé environnementale, j'ai déduit une amère réflexion : le plan national santé environnement n'a ni portée normative ni mission budgétaire spécifique, et il n'a aucune prise sur le réel. Par ailleurs, la prolifération de différents plans se chevauchant sur des questions connexes ne facilite guère la cohérence de l'action publique. Le plan national santé environnement, le programme national nutrition santé, le plan obésité, la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et la stratégie décennale de lutte contre les cancers en sont des exemples ; cette panoplie de plans dévitalise l'action publique.
Au niveau territorial, le même phénomène prévaut. Les impulsions politiques données aux questions de santé environnementale se révèlent variables et dépendent surtout de l'implication personnelle des élus.
Prenons l'exemple du quatrième programme national nutrition santé et du plan obésité. Ils restent centrés sur le comportement des personnes sans traiter les facteurs environnementaux de la maladie, et omettent de préciser que l'alimentation industrielle contient des polluants, des perturbateurs endocriniens obésogènes, diabétogènes et d'autres additifs limitant par exemple le sentiment de satiété.
Comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport de 2018, des mesures plus vigoureuses pourraient être envisagées, comme l'adoption de taux maximaux de sucre, de sel et de gras dans les aliments transformés ou la limitation de la publicité en direction des enfants pour les aliments les plus obésogènes.
Par ailleurs, je crois profondément que les initiatives locales demeurent les plus adaptées pour répondre aux inquiétudes concrètes et croissantes de la population s'agissant de la dégradation de sa santé en lien avec l'impact de l'activité humaine sur l'environnement.
La commission d'enquête a aussi permis aux acteurs auditionnés de s'exprimer sur les dispositifs nationaux existants, et nous avons remarqué que la plupart dénoncent un manque de coordination qui dessert la stratégie de santé environnementale. Voici la principale conclusion de la commission : nous avons besoin d'une stratégie claire, énonçant des objectifs précis et autour de laquelle tous les acteurs concernés devraient s'organiser.
Pour garantir la santé de tous – humains mais aussi animaux et végétaux – , il faut privilégier l'analyse et le traitement des données au niveau local, afin de collecter et de faire remonter toutes ces informations au niveau national. Les acteurs locaux doivent être plus impliqués dans la conduite des politiques publiques de santé environnementale, selon une approche coconstructive qu'il me semble opportun de développer. De nombreux agents des collectivités territoriales font montre d'une réelle volonté de progresser à ce sujet, car ils savent que les enjeux de santé environnementale auront à terme une importance majeure dans la gestion de leur territoire.
L'implication des responsables qui dirigent les institutions et des professionnels qui les servent est incontournable. À ce titre, je considère que nos conseils économiques et sociaux et environnementaux régionaux devraient se saisir des questions prioritaires de santé environnementale touchant leurs régions respectives. Ils constituent des vecteurs adaptés pour faire oeuvre de pédagogie, pour améliorer la connaissance et pour mobiliser les acteurs concernés. La taille de la région la rend apte à initier des actions en faveur d'une meilleure prise en compte de la santé environnementale.
Les vingt et une propositions officielles formulées par la commission d'enquête reprennent d'ailleurs l'approche « une seule santé » adoptée par l'OMS – Organisation mondiale de la santé – : le rapport présente l'idée d'une santé globale en insistant sur l'interdépendance de la santé de tous les êtres humains, animaux et végétaux.
La formation des professionnels de santé est un levier puissant mais sous-exploité. Ceux-ci sont pourtant le rouage essentiel d'une prise en charge adaptée des patients en situation de surpoids ou d'obésité et de ceux qui sont atteints de cancer, de diabète ou d'une maladie respiratoire. Je dénonce le décalage très marqué entre le volontarisme des pouvoirs publics, notamment à l'échelle locale, et le manque d'évolution concrète dans les programmes d'enseignement. Il faudrait massifier les formations en santé environnementale en décloisonnant les spécialités, afin de ne plus réfléchir ni agir en silo.
En parallèle, le personnel des administrations chargées de la régulation de l'environnement doit également être formé aux risques sanitaires liés à certaines expositions. Il me semble judicieux d'améliorer la formation des agents des administrations publiques pour qu'ils développent des compétences en matière de santé environnementale, car celles-ci seront utiles à la gestion et à la régulation des problèmes sanitaires et environnementaux.
Enfin, il est essentiel d'amplifier la prise en compte des enjeux de santé environnementale dans l'entreprise – de l'avis des personnes auditionnées et d'une majorité de citoyens, cette question est relativement nouvelle. En tant qu'élus de la nation, nous devons tous nous mobiliser pour faire évoluer les formations scolaires et universitaires, afin qu'elles intègrent des éléments ayant trait à l'environnement et à la santé environnementale dans leur tronc commun. De nombreux secteurs de l'économie, par exemple celui du bâtiment, seraient intéressés par le développement de formations spécialisées dans ce domaine ; la diffusion de connaissances pourrait nettement participer à la croissance d'un intérêt pour ces questions.
Nous sommes nombreux à porter ce message au quotidien, et je suis persuadée que notre mobilisation portera ses fruits.