Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mercredi 24 mars 2021 à 15h00
Évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot, FI :

Depuis plus d'un an que la pandémie s'est emparée de nos vies, nous avons peu, très peu évoqué son origine. Les épidémiologistes ont pourtant sonné l'alarme : en cinquante ans, les maladies liées aux zoonoses – c'est-à-dire transmises par les animaux aux êtres humains – ont été multipliées par dix.

À l'origine des pandémies : les activités humaines qui détruisent les écosystèmes. En cause, d'abord, l'élevage industriel, la déforestation qui détruit les habitats naturels, ou encore le commerce illégal d'animaux sauvages qui favorise l'émergence des virus et leur propagation ; et, ensuite, nos manières de « faire société », avec l'urbanisation forcenée et la métropolisation du monde. Dans la densité des villes, la pollution de l'air agit comme une autoroute pour la transmission du virus. Le grand déménagement du monde et le trafic aérien achèvent de rendre sa propagation incontrôlable.

L'épidémie est un fait social. Elle ne prend son sens que dans le moment spécifique de la civilisation humaine où elle s'inscrit – en l'occurrence celui du capitalisme globalisé et de l'explosion des inégalités. Les inégalités sociales jouent un rôle déterminant dans la mortalité provoquée par le virus. Souvenez-vous en, collègues : en mars, au moment du pic de la crise sanitaire, la Seine-Saint-Denis atteignait un taux de surmortalité de 134 %.

Le virus ne pense pas, n'a pas d'intentions cachées. En revanche, il met à nu l'organisation sociale. Il touche principalement les zones où les pauvres ont été refoulés et où la qualité de l'air est médiocre. Il exploite les inégalités. Le diabète, accentué par l'obésité, est lui-même corrélé au faible niveau de revenu. Le virus frappe de plein fouet celles et ceux dont les logements sont insalubres et qui souffrent, par conséquent, de maladies chroniques et de problèmes respiratoires. Il touche en premier lieu celles et ceux qui peinent à accéder à des soins. Bref, le virus n'invente rien. Pire, il rend flagrant ce que nous savions déjà – les inégalités environnementales lui préexistent.

Nous savons que, dans les années 1980, un ouvrier avait quatre fois plus de risques de mourir d'un cancer qu'un cadre supérieur ; eh bien c'est dix fois plus aujourd'hui. Nous savons que les communes les plus pauvres sont celles dans lesquelles les déchets les plus toxiques et dangereux sont enfouis, que les incinérateurs sont implantés à côté des populations les plus vulnérables – c'est le cas du plus gros incinérateur d'Europe, à Ivry-sur-Seine. Nous savons que les plus pauvres habitent à proximité des trafics routiers, que ce sont eux qui sont les plus exposés à la pollution et au bruit. Les plus pauvres sont ceux qui vivent au plus près des rebuts d'une organisation sociale et économique devenue folle.

Nous savons aussi que les populations d'outre-mer subissent un racisme environnemental dramatique avec la persistance du chlordécone et autres pesticides dans les sols et les cours d'eau – on en retrouve même dans les cordons ombilicaux – , substances qui poursuivent leur oeuvre mortifère. Nous savons que 92 % de la population des Antilles est contaminée par ce pesticide toxique et cancérogène.

La civilisation humaine produit des manières dégradées d'habiter le monde. Qu'est-ce que ces inégalités révèlent, sinon que l'on refuse à certains d'habiter le monde dignement ? Que révèlent-elles, sinon que certaines vies humaines valent moins le coup d'être pleinement vécues que d'autres ?

L'épidémie de coronavirus, à partir de laquelle je fais ma démonstration, a pourtant ce pouvoir révélateur qui aurait dû vous éclairer. Parce qu'il épuise la biodiversité et transforme le vivant en marchandise, le capitalisme dans lequel nous vivons a favorisé l'émergence du virus et sa propagation. C'est lui qui a créé les conditions de son apparition et liquidé nos moyens d'y faire face. Voilà le coupable du désastre.

Je tiens à affirmer à cette tribune le choix de civilisation qui s'impose à nous. La création et l'accumulation illimitée de richesses, la croissance infinie sont incompatibles avec le respect des écosystèmes et la vie humaine en bonne santé. Il y aura toujours des femmes et des hommes épuisés pour accomplir le dessein de quelques-uns, sacrifiés sur l'autel du gain, comme le furent les salariés exposés à l'amiante, les sous-traitants du nucléaire exposés à la radioactivité ou, de nos jours, les agriculteurs exposés au glyphosate. On ne compte plus les grands brûlés du capitalisme.

Ce que la pandémie nous enseigne, c'est que la santé humaine et la santé des écosystèmes sont irrémédiablement entrelacées. C'est la même loi d'airain qui brise les corps et détruit la nature. Placer l'économie en haut de la hiérarchie des normes nous mène au désastre. Mettre fin à l'empire du capitalisme globalisé, voilà ce que nous appelons la meilleure des politiques publiques de santé environnementale. Il faut rompre avec ce système économique qui dévaste le vivant et exploite la vie humaine. Comme l'écrivait Romain Gary : « L'espèce humaine est entrée en conflit avec l'espace, la terre, l'air même qu'il lui faut pour vivre. Comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? »

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