La présente proposition de loi, composée d'un article unique, a pour but de « contribuer à la lutte contre ces scènes de guérillas urbaines en interdisant [… ] aux personnes les plus violentes de participer à des manifestations ». Elle crée dans le code de la sécurité intérieure des interdictions administratives à l'encontre des individus violents que les forces de l'ordre n'ont pas réussi à appréhender ou qui n'ont pas encore été jugés. L'exposé des motifs indique, par ailleurs, que les dispositions proposées « s'inspirent de l'article 3 de la loi » anti-manifestants d'avril 2019, loi qui a été dénoncée comme liberticide par nombre de défenseurs et de défenseuses des droits et des libertés, et dont ce fameux article 3 a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Nous sommes résolument contre ce texte. Les nouvelles mesures administratives qu'il contient, fondées sur la suspicion et dont la violation aboutit à des sanctions pénales, ce qui constitue un renversement de la charge de la preuve, sont inutiles et dangereuses. Elles portent atteinte aux droits et aux libertés fondamentaux, constitutionnels, de manifester et de s'exprimer.
Elles s'inscrivent surtout dans la droite ligne de la dérive autoritaire que connaît le régime macroniste depuis trois ans. En effet, depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron accompagne son projet de destruction de l'État social d'une restriction de plus en plus affichée des libertés individuelles et des moyens du débat démocratique pluraliste. Dans tous les domaines, les pires tendances de ses prédécesseurs ont été aggravées : immigration, justice, police, encadrement du droit de manifester, censure sur internet, surenchère sous prétexte d'antiterrorisme et désormais de crise sanitaire, et ainsi de suite. Du point de vue législatif et réglementaire, ce quinquennat est probablement le pire concernant les libertés publiques et individuelles.
Au total, c'est tout le régime républicain de la liberté qui ressort abîmé de ce mandat. Ce texte poursuit en particulier le mouvement entamé par le Gouvernement et la majorité consistant à abolir les grands principes du droit pénal. Je voudrais revenir sur trois d'entre eux : la légalité des délits et des peines, la nécessité et la présomption d'innocence.
Le principe de légalité des délits et des peines implique que les lois doivent définir de manière claire et précise les incriminations et les peines. Or l'ensemble des infractions déjà introduites par la majorité étaient précisément des infractions floues et générales, laissant un pouvoir discrétionnaire aux forces de l'ordre. La présente proposition de loi est également contraire à ce principe, car elle laisse aux préfets le même pouvoir décisionnaire de déterminer les agissements et les actes violents fondant l'interdiction. Elle laisse place à un arbitraire policier et préfectoral encore plus fort.
S'agissant de la nécessité des délits et des peines, rappelons que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen stipule que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », afin d'exclure l'arbitraire. Or l'ensemble des dispositions déjà introduites en 2019, les lois précédemment promulguées ainsi que la présente proposition de loi laissent à nouveau place à l'arbitraire, comme je l'ai déjà dit, d'autant qu'il existait déjà dans le code pénal, préalablement à 2019, un arsenal répressif permettant de condamner les violences commises par des individus dans les manifestations. En conséquence, l'introduction de nouvelles infractions, visant à incriminer des comportements qui ne sont pas en soi répréhensibles, ne sert qu'à masquer une forme d'incompétence du pouvoir politique et l'incurie des ordres qui sont donnés à l'appareil policier dans les cas de désordres survenus lors des mobilisations.
Enfin, le recours aux interdictions administratives est une manière détournée de vider de sa substance le principe de présomption d'innocence. En droit pénal, une personne est présumée innocente jusqu'à ce que la preuve de la commission d'une infraction ait été apportée. On ne peut pas restreindre les libertés d'une personne au motif que l'on suppose qu'elle va commettre une infraction. Or c'est précisément ce que fait cette proposition de loi, là encore dans la droite ligne de tout ce qui a été voté par cette assemblée et défendu par ce gouvernement. D'ailleurs, les collègues du groupe UDI et indépendants expliquaient s'inscrire pleinement dans la logique du Gouvernement et aller au bout de celle-ci.
Il faut mettre fin à l'escalade sécuritaire et liberticide qui voit notre pays être critiqué et condamné par toutes les instances nationales et internationales de défense des droits humains et des libertés civiles, tout en étant pris en exemple, en revanche, par nombre de régimes autoritaires. Si nous sommes désormais placés dans la catégorie des « démocraties défaillantes » dans les classements internationaux, c'est en raison autant des restrictions de libertés entreprises sous la crise sanitaire que des reculs auxquels a procédé par ailleurs le Gouvernement.
La République ne peut être autre chose qu'un régime de liberté. En poursuivant dans ce sens, le Gouvernement, la majorité et, désormais, cette proposition de loi, vont à l'encontre de nos principes fondamentaux. Il faut non seulement rejeter ce texte mais remettre en cause l'ensemble des politiques qui ont été amorcées et vont dans le même sens. C'est ce à quoi nous nous attellerons lorsque nous serons au pouvoir.