Ce texte vise à donner aux préfets la possibilité d'interdire de manifestation des personnes considérées comme des menaces pour l'ordre public, en considération de leurs agissements ou de la commission d'actes violents. Cette proposition de loi reprend ainsi le contenu de la loi dite anticasseurs, adoptée en 2019 et censurée en partie par le Conseil constitutionnel.
En reprenant quasiment à l'identique le contenu de la loi de 2019, ce texte encourt les mêmes critiques que celles qui avaient valu la censure du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 4 avril 2019, il a en particulier rappelé, sur la base de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La liberté d'expression et de communication, dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi. »
Comme cela a été maintes fois rappelé en 2019 dans le cadre des débats au sein de notre assemblée, une telle atteinte à une liberté fondamentale ne pourrait être décidée que par le juge judiciaire avec toutes les garanties juridiques qu'il représente, et en aucun cas par une autorité administrative. Notre tradition juridique interdit que l'on place une liberté fondamentale entre les mains de l'administration et, encore moins, sur la base de critères si flous que l'arbitraire ne pourrait être évité.
Comme dans la proposition de loi présentée par le groupe UDI-I, la loi censurée de 2019 visait « des agissements ou des actes violents », alors que la notion d'agissement est particulièrement floue. L'interdiction pouvait ainsi être prononcée sur le fondement de tout agissement, que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences. En outre, tout comportement, quelle que soit son ancienneté, pouvait justifier le prononcé d'une interdiction de manifester. Enfin, lorsqu'une manifestation sur la voie publique n'avait pas fait l'objet d'une déclaration ou que cette déclaration avait été tardive, l'arrêté d'interdiction de manifester était exécutoire d'office et pouvait être notifié à tout moment à la personne, y compris au cours de la manifestation à laquelle il s'appliquait.
Pour toutes ces raisons, le Conseil constitutionnel a donc jugé que, compte tenu de la portée de l'interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur avait porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n'était pas adaptée, nécessaire et proportionnée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette proposition de loi, si elle était adoptée, encourrait la même censure. Les membres du groupe Socialistes et apparentés, qui ont participé à la rédaction du recours contre la loi de 2019 et contribué à la saisine du Conseil constitutionnel avec les autres groupes de la gauche, s'opposeront logiquement à ce texte.
Notre arsenal législatif, cela est souvent rappelé dans cet hémicycle, regorge de textes qui, à chaque fois, surenchérissent par rapport aux précédents et tentent de répondre dans l'instant et l'émotion à des événements, non à de véritables questions – comme celle des conditions satisfaisantes du maintien de l'ordre, qui mérite la définition d'une stratégie comprise et acceptée par tous, donc fondée sur la confiance.
Au moment où nos libertés individuelles et collectives sont de plus en plus bridées pour tenter de trouver une issue à la crise sanitaire incroyable qui nous asphyxie et nous inquiète chaque jour un peu plus, cette proposition est particulièrement mal venue. Si l'ultraviolence interroge fortement les démocrates que nous sommes et si, comme vous, nous la dénonçons, nous ne voyons pas dans ce texte de moyens spécifiques de la combattre sur le fond ni les moyens de mieux soutenir nos forces de l'ordre et, par la même occasion, les manifestants pacifiques.
Par contre, l'urgence dans laquelle nous nous trouvons ne peut conduire à porter une nouvelle fois atteinte, et sous quelque prétexte que ce soit, à la liberté de manifester et à l'expression collective à laquelle la société française est particulièrement attachée. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte.