Je remercie tout d'abord le groupe Agir ensemble pour l'inscription à l'ordre du jour de ce débat essentiel. Questionner la place de la France face à la révolution des NBIC, c'est, plus largement, questionner la place de l'Europe et son autonomie dans les secteurs stratégiques d'aujourd'hui et de demain, ainsi que notre capacité à réguler et à imposer nos standards éthiques dans un jeu international complexe.
Conjuguées, les NBIC vont bouleverser l'humanité. Leurs prolongements apparaissent à la fois prometteurs et porteurs d'espoir lorsqu'il s'agit de soigner, d'informer et de nourrir, et potentiellement très menaçants si on parle de transhumanisme ou d'exploitation des données. Au moment où que des révolutions technologiques sont bien engagées aux États-Unis et en Chine, et où émergent des champions internationaux extra-européens, l'Union a tardé à prendre conscience de l'importance des NBIC, des perspectives qu'elles offrent, mais aussi des menaces dont elles sont porteuses. Un travail d'anticipation, de régulation et d'encadrement est pourtant impérieusement nécessaire si nous voulons maîtriser les conséquences de leur développement sur la physionomie de nos futures sociétés. L'autonomie stratégique européenne est donc au c? ur des débats relatifs à une évolution qui, compte tenu de son ampleur et de son intensité, est désignée comme la quatrième révolution industrielle.
En ce début d'année, la Commission européenne a en effet annoncé la création d'un observatoire européen pour les technologies critiques et le lancement d'un plan d'action baptisé « ceinture à trois points », dont l'objectif est de favoriser l'autonomie stratégique de l'Europe. Ces annonces font écho au travail lancé depuis le printemps 2020 par Thierry Breton sur la définition d'écosystèmes industriels et aux enseignements d'une crise sanitaire qui agit comme un révélateur de nos faiblesses industrielles dans le domaine de la santé, qu'il s'agisse de notre capacité à produire les médicaments traditionnels ou de notre aptitude à innover.
Si cette double dynamique de prise de conscience en faveur de l'autonomie industrielle et de la filière santé est centrale, c'est parce qu'un des points de convergence des NBIC, où se concentrent bon nombre d'enjeux, est la santé humaine. La révolution de la biotechnologie est apparue au grand jour avec la mise sur le marché des vaccins à ARN messager et l'attribution du prix Nobel à Emmanuelle Charpentier. Certains domaines de la recherche médicale – nanomédicaments, cellules artificielles, nanomatériaux – ne relèvent pas seulement des biotechnologies, mais du croisement des NBIC. À chaque fois, les enjeux technologiques se doublent de considérations éthiques : s'il nous faut prendre le virage de l'innovation pour la santé, il nous faut aussi promouvoir et faire respecter nos principes bioéthiques et prévenir toute dérive. On retrouve d'ailleurs le même dilemme dans des domaines toujours plus nombreux : la justice – quid du droit à l'oubli ou des droits d'auteur ? – , la fiscalité – où, comment et par qui assurer l'imposition des richesses créées ? – , la culture – comment prévenir le pillage de la valeur créée par les artistes européens ? – ou l'éthique – quelles modifications à l'environnement immédiat de l'homme ?
Notre action doit donc s'engager dans un double mouvement.
Le premier est la régulation, pour que la révolution des NBIC soit une révolution éthique, respectueuse de nos valeurs et de l'humain. Cet encadrement peut être national – je pense à la loi votée en 2019 à l'initiative de Patrick Mignola tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse – ou européen – comme la directive sur les services de médias audiovisuels. Sur le plan international, un rapport de force devra s'engager pour que soient préservés l'indépendance et la souveraineté européennes et le respect de notre modèle démocratique.
Le second mouvement consiste à rester à la pointe de l'innovation à l'intérieur du cadre éthique que nous aurons défini, ce que traduit notamment l'initiative Scale-up Europe lancée au début du mois par le Gouvernement pour promouvoir des filières et des champions européens.
C'est dans le même objectif que l'Union a engagé le chantier de l'autonomie stratégique. Seule une action politique volontariste pourra en effet faire émerger des pépites sur notre sol.
La marge est aussi étroite qu'est vaste l'ampleur de la révolution des NBIC. Nous faisons face à quatre domaines technologiques dans lesquels s'accomplissent des sauts technologiques majeurs et dont l'alliance ouvre la voie à de nouveaux champs de connaissance et d'action. Nous sommes face à des acteurs internationaux engagés dans un tournant économique et industriel significatif. Il nous faudra de l'élan. Il nous faudra des limites.