Mais venons-en au fond du débat qui nous occupe aujourd'hui et que je remercie le groupe Agir ensemble d'avoir proposé. Il soulève des questions complexes, compte tenu notamment des tensions sociales et géopolitiques existantes, mais absolument déterminantes pour l'avenir de la France et de l'Europe. Vous me permettrez de l'étendre à la recherche et à la compétition technologique que se livrent les grands ensembles mondiaux que sont les États-Unis, la Chine et l'Europe et certains autres pays.
Qu'on la trouve positive ou pas, la concurrence technologique est très forte et c'est là que ma position diffère un peu de la vôtre, monsieur Lecoq. En tant que député d'une circonscription qui comprend une partie du Havre, vous en êtes témoin plus que d'autres, compte tenu de l'importance des échanges maritimes dans la compétition internationale – mais aussi intra-européenne, puisque les premiers concurrents du port du Havre sont les ports du nord de l'Europe. Mais vous savez aussi quelle importance a le progrès technologique, progrès à concevoir bien sûr dans le respect de l'humain et des transitions. Le risque, que face aux ports d'Anvers et de Rotterdam, Le Havre courrait à ne pas innover, à ne pas être à la pointe de la technologie, c'est malheureusement de se retrouver déclassé dans la compétition internationale.
Il y a quelques jours, j'étais dans cette belle ville pour évoquer la 5G, que nous estimons être un élément absolument indispensable de la compétitivité des ports. Certes, elle suscite des débats mais j'estime que la responsabilité des décideurs politiques est de prendre en compte le monde tel qu'il est et non pas tel qu'ils aimeraient qu'il soit. Bien sûr, nous souhaiterions tous voir émerger une coopération internationale globale qui permettrait à chaque pays de se concentrer sur une part de la recherche afin de maximiser les gains pour tous. Soit dit en passant, il serait intéressant de savoir, du point de vue de la théorie économique, si ce modèle-là serait plus efficace qu'un modèle de concurrence, mais peu importe, la réalité, c'est que nous sommes en concurrence avec les États-Unis et la Chine. Les choix que nous faisons aujourd'hui, les choix que nous avons faits hier conditionnent l'avenir de nos emplois, de notre souveraineté, de nos modèles sociaux.
Si l'on regarde le monde tel qu'il est, nous voyons bien qu'il y a une compétition technologique, une compétition dans la recherche comme il n'y en a pas eu depuis plusieurs décennies. Nous assistons à une course aux armements, symbolisée par les investissements énormes de la Chine et des États-Unis dans certaines technologies critiques – l'intelligence artificielle, le quantique, le cloud et les NBIC. De manière plus globale, comme l'a indiqué Thomas Gassilloud, nous observons une convergence des biotechnologies, des nanotechnologies et de la micro-électronique. Les pays se livrent une compétition pour acquérir à terme une suprématie technologique et économique. Ce qui est en jeu pour nous, c'est toujours notre souveraineté nationale et l'indépendance de l'Europe car la France comme l'Europe sont exposées au risque d'un déclassement significatif.
Je citerai quelques chiffres pour illustrer mon propos. En 2017, lorsqu'Emmanuel Macron a été élu Président de la République, le différentiel d'investissements dans l'intelligence artificielle entre les États-Unis, d'un côté, et l'Europe, de l'autre, était le même que celui existant entre l'Europe et la Chine : un rapport de un à dix. Les raisons qui l'expliquent ne sont pas les mêmes, bien sûr. Aux États-Unis, marché capitaliste fondé sur l'initiative privée, l'investissement est essentiellement d'origine privée. Rendez-vous compte qu'Amazon investit chaque année dans la recherche de l'ordre de 20 à 22 milliards de dollars alors que la R& D française, dans son ensemble, représente 60 milliards de dollars. Autrement dit, une entreprise américaine dégage à elle seule un tiers des moyens consacrés à la recherche en France. La Chine, quant à elle, repose sur autre modèle, fondé principalement sur les investissements étatiques.
Le risque que nous courons est le déclassement. La France investit 2,83 % de son PIB dans la R& D alors que l'Allemagne en est déjà à 3 % et vise 3,5 %. Si nous restons collés à ces 2,83 % et que les Allemands passent à 3,5 %, ce sont 60 milliards de dollars de plus chaque année qu'ils consacreront à la recherche, à leur industrie, à leur avenir. En Europe, nous sommes globalement en retard même si dans certains domaines, nous restons encore dans la course. Nous pouvons y voir le résultat de choix politiques des majorités précédentes qu'elles doivent assumer.
Les choix ou les non-choix politiques sont à nos yeux décisifs et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi dès le début de faire de la question technologique un axe extrêmement fort de sa politique, en étant parfois, il faut le dire, un peu raillé, sur la question du numérique notamment. Citons les plans sectoriels consacrés à l'intelligence artificielle, au quantique, à la cybersécurité, aux biotechnologies. Plus globalement, la loi de programmation pour la recherche représente un effort de plus de 25 milliards d'euros sur dix ans. Certains ont jugé cette ambition insuffisante – que n'ont-ils tiré de telles conclusions lorsqu'ils étaient au pouvoir ; pour nous, cet investissement historique dans la recherche publique est absolument indispensable. Ne décidons pas, de manière inconsciente, d'abandonner notre économie, nos emplois, notre souveraineté et notre modèle social.
Le modèle social français tient à certains choix économiques, bien sûr, mais aussi à l'inventivité, à la créativité, à l'audace d'entrepreneurs, de chercheurs, d'entrepreneuses et de chercheuses qui ont choisi, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, de se consacrer au rail, à la chimie, à l'aéronautique, et au lendemain de la seconde guerre mondiale, au nucléaire. D'ailleurs, monsieur Lecoq, si un référendum lui avait été consacré alors, …