Intervention de Jean-Luc Warsmann

Séance en hémicycle du vendredi 26 mars 2021 à 9h00
Investir pour mieux saisir confisquer pour mieux sanctionner

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Warsmann, UDI-I :

La loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a incontestablement changé la donne, et le décret du 1er février 2011 créant l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – AGRASC – fut une seconde révolution. Depuis, le montant des saisies et des confiscations ne cesse de progresser. Faut-il, pour autant, verser dans l'autosatisfaction ? Dix ans plus tard, M. le Premier ministre a confié à Laurent Saint-Martin et à moi-même le soin de dresser un état des lieux de la question. De toute évidence, un changement de culture est à l'? uvre. Nos 144 auditions, menées y compris en Belgique et en Suisse, ont prouvé que la France avait beaucoup progressé, aux côtés des autres pays développés, en matière de saisies et de confiscations.

Je concentrerai mon propos sur deux points. Tout d'abord, le rôle central de l'AGRASC doit être réaffirmé : elle doit devenir, plus encore qu'aujourd'hui, un centre de ressources à l'intention des magistrats et des professionnels. Lors de nos déplacements, certains magistrats nous ont fait part de leurs appréhensions à l'égard des saisies : non seulement ces dossiers sont techniques, mais encore, dans les contentieux, les avocats font de plus en plus de contestations financières, conscients des conséquences graves qu'encourent leurs clients.

Il est par ailleurs essentiel que tous les services concernés utilisent le même outil informatique – et, oserais-je dire, un même outil statistique. Certains font encore leurs statistiques à la main, sur une feuille de papier ! Les pratiques étant très hétérogènes entre les services, on peut douter que la consolidation statistique effectuée au niveau national soit de grande qualité.

Nous préconisons de recruter 128 équivalents temps plein – ETP – pour renforcer la présence de l'AGRASC dans les tribunaux. Il faut le reconnaître, la loi du 9 juillet 2010 n'a pas atteint tous ses objectifs. Pourquoi, par exemple, de nombreux tribunaux s'abstiennent-ils de saisir des voitures ? Tout simplement parce que cela oblige à payer des droits de garde. Certes, la loi prévoit qu'un magistrat puisse ordonner la vente immédiate d'un véhicule. Le fruit de la cession est alors consigné auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Si la procédure se conclut par une confiscation, l'argent est confisqué ; dans le cas contraire, il est rendu. Or tous les tribunaux n'appliquent pas cette procédure, et certains accumulent des montants extrêmement importants de droits de garde. J'estime – sans penser trop me tromper – qu'un parquet sur trois donne la consigne à ses enquêteurs de ne pas saisir de voitures : cela demande du temps et de l'argent, et il y a d'autres priorités. Le but visé par la loi n'est donc pas atteint. Permettez-moi une image choc : les greffes devraient devenir la « gare de triage » des très nombreux objets qui entrent dans des tribunaux. Certains sont nécessaires à l'enquête – les preuves d'un meurtre, par exemple – , mais d'autres sont destinés à être saisis puis confisqués : ils doivent ressortir immédiatement. Nous n'avons pas à payer des locaux pour les entreposer ! Ils doivent être remis en vente s'ils risquent de perdre de la valeur le temps de la procédure, et l'argent doit être consigné, comme le prévoit la loi. Notre première recommandation fondamentale est donc de renforcer le rôle de l'AGRASC et son maillage géographique.

Un deuxième point essentiel réside dans l'identification préalable du patrimoine. Un changement culturel est certes enclenché, mais – je le dis, au risque d'être provocateur – on ne doit pas placer les membres d'un réseau criminel en garde à vue avant d'avoir enquêté sur leur patrimoine. Le jour où la garde à vue est déclenchée, il faut bloquer les comptes et procéder à des saisies – encore faut-il avoir recensé le patrimoine en amont ! L'expérience prouve que le recours aux assistants spécialisés est très concluant, car il permet d'apporter les compétences d'autres ministères. Les policiers et les gendarmes ont beaucoup de qualités, mais ils ont parfois besoin d'accéder à d'autres réseaux de compétences, pour donner toute l'ampleur nécessaire à leur travail.

Par ailleurs, nous avons constaté de grandes lacunes concernant l'international. Comme les voyous ont compris qu'il n'était guère efficace de placer leur argent en France, ils investissent à l'étranger. Les enquêteurs relatent que lors des perquisitions, ils trouvent des photos de vacances toujours prises dans la même maison, à l'étranger. À qui appartient-elle ? Pour investiguer ce type de sujet, il faut conclure des accords internationaux et établir un réseau relationnel avec les services des pays concernés.

Le ministère de la justice est certes pilote dans le champ des saisies et confiscations, mais une démarche interministérielle est indispensable. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a un rôle à jouer : la question des saisies et confiscations doit être abordée chaque fois que la France négocie un accord de coopération avec un pays étranger – qu'il s'agisse des biens détenus dans les États concernés ou des biens détenus par leurs ressortissants en France. Par ailleurs, un appui technique renforcé du ministère de l'intérieur est nécessaire – beaucoup a déjà été fait, mais il faut diffuser plus largement encore les pratiques. Enfin, les tribunaux ont besoin d'être secondés par des personnels du ministère des finances – même, si j'ai cru le comprendre, ses effectifs sont à la baisse. L'expérience le prouve : quand Bercy fait bénéficier les tribunaux de sa manière de travailler et de rechercher l'information en matière financière, cela fait grandement progresser la collectivité.

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