Je remercie nos collègues Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin pour leur rapport, qui s'inscrit dans la continuité de celui que Jacques Maire et moi-même avons consacré à l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Déjà, nous nous étions intéressés à l'AGRASC à cette occasion. Nous conduisons actuellement des auditions en vue d'établir un rapport d'application du rapport précité ; nous rendrons nos conclusions fin mai ou début juin.
Les constats que vous dressez, monsieur Warsmann, sont identiques à ceux que nous avons faits en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. À chaque fois, on bute sur le même problème : un manque d'interministérialité, de coopération et de coordination entre les services. Un autre constat nous est commun : l'insuffisance de moyens. Imaginez notre étonnement : quand on demande à l'AGRASC un état des saisies et des confiscations en France, elle explique qu'elle ne peut répondre que pour son périmètre, pas à l'échelle du pays. Quand on s'adresse à la chancellerie, elle explique qu'elle ne peut répondre que tribunal par tribunal, pas pour le pays. Quand on s'adresse au ministère de l'intérieur, c'est la même chose : chaque service a ses propres statistiques, et il est impossible de répondre pour le pays. C'est donc trois ministres qui devraient être au banc ce matin, si nous voulions un débat de qualité ! Les évolutions récentes de la lutte contre la délinquance économique et financière vont d'ailleurs en ce sens. Elles se sont accélérées après l'évaluation que le Groupe d'action financière – GAFI – a faite des moyens que la France consacre à cette lutte ; le covid-19 a mis tout cela en pause, mais cette évaluation internationale par nos pairs devrait se poursuivre.
Je le rappelle, l'AGRASC compte une petite quarantaine de personnes – c'est dire combien la dimension interministérielle et la question des moyens sont essentielles. Son effectif mériterait d'être quatre, cinq, voire dix fois plus nombreux, afin qu'elle devienne un vrai service support pour les enquêteurs et pour la justice.
Vous observez, monsieur Warsmann, que les assistants spécialisés auprès des magistrats peuvent faire un bon travail d'identification – mais, objectivement, ce n'est pas censé être leur travail ! Il serait plus efficace que l'AGRASC ait des enquêteurs dotés de ces compétences, que les tribunaux solliciteraient. Il se pose d'ailleurs un vrai problème de recrutement au ministère de l'intérieur, notamment chez les enquêteurs, ceux qui vont mener les travaux d'identification – en réalité, toute la filière économique et financière est en grande difficulté. Il n'est pas rare qu'à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales – OCLCIFF – , des postes ouverts à la mutation restent vacants. On doit alors recruter et former des policiers novices en la matière, qui demandent leur mutation trois ou quatre ans plus tard – alors que c'est la durée nécessaire pour acquérir de l'expérience et être le plus efficace possible. Il faudra réfléchir à des recrutements dédiés. Par le passé, le dispositif des officiers fiscaux judiciaires a bien fonctionné au sein de la police judiciaire : il s'agissait d'inspecteurs des finances auxquels était donnée une qualification judiciaire. Désormais, ils sont plutôt déployés à Bercy, dans le nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances. Dont acte, mais nous n'en avons que quarante ! Pour un pays de 66 millions d'habitants comme la France, quarante officiers fiscaux judiciaires, on peut rêver mieux ! S'il y en avait davantage, ils pourraient mener des enquêtes patrimoniales pour l'AGRASC, en amont des saisies, sur l'ensemble du territoire.
Je rentre d'un week-end à Palerme, où j'ai rencontré des acteurs de la lutte contre la mafia. L'Italie a des lois spécifiques concernant la mafia et les confiscations, qui prévoient notamment la « socialisation » des biens confisqués aux organisations mafieuses – cette mesure figure d'ailleurs dans votre rapport, monsieur Warsmann, et je tiens à l'évoquer. C'est une perspective intéressante : des immeubles saisis et confisqués pourraient être donnés en gestion à des associations d'intérêt général et d'utilité publique. À Paris, un immeuble a été saisi conjointement avec la justice italienne, et l'Italie a demandé expressément à la France que la part qui lui revient soit donnée à une association d'utilité publique. Une disposition similaire figure dans la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, mais uniquement pour de très petites confiscations, dans le cadre d'alternatives aux poursuites. Elle devrait être déployée en haut du spectre, afin qu'on puisse redonner aux citoyens ce que les mafieux ou les criminels leur ont pris indûment.